Voyage Ultime
Marx Daria
Sticky Fingers pourrait passer comme un de ces disques essentiels, qu’on achète par bonne conscience bourgeoise, pour dire qu’on aime le rock puisqu’on en respecte les piliers. C’est criminel d’enfermer cet album dans cette catégorie d’objet à sanctifier, il est tout le contraire d’une pièce de musée, il continue à faire remuer les pieds des ados qui découvrent les riffs puissants de Brown Sugar et d’une époque où l’on parlait sans se cacher des drogues, d’une époque qui n’en finissait pas de tout révolutionner. Les Stones crachent leur énergie à la gueule de ceux qui voudraient faire du rock’n’roll une industrie aseptisée et réservée aux petits minets à mèches étudiées, le son est propre le message est génialement sale, les accents de blues viennent racler le fond de la mélancolie pendant que la voix de Mick se prête à toutes les transes. C’est la sorcellerie, le vaudou, sur le break de Sway, quand tu vois les mains de ton père s’agiter, mimer un riff d’air guitar aussi étonnant que déjanté, et que tes mains n’en finissent pas de l’accompagner, tu ne l’avais jamais vu comme ça, dans sa voiture c’est France Info et BFM, tu le vois comme il a été, ce mec qui se souvient de la gratte sèche sur laquelle il a essayé de reproduire le balancement langoureux des accords de Wild Horses pour mieux emballer. Et ouais mec, tes parents aussi ont aimé les Stones, ils les connaissent mieux que toi, ils grimacent quand tu envoies du BB Brunes pour te réveiller, pas de dogmatique dans le rock, juste des découvertes pour se créer la bande originale d’un moment. Les Stones nous accompagnent depuis longtemps, ils sont entrés dans nos mémoires collectives, une cigarette qu’on écrase avant de se remettre à danser, quelque chose qui t’appelle dans le saxophone de Can’t You Hear Me Knocking sans que tu puisses te contrôler, You Gotta Move, c’est juste celle d’après, le voyage continue, route désertique, décapotable amochée, rêve américain au rabais, la plus belle fille de ta vie dans un jean déchiré, désert et cactus, indiens saouls et tambours chamaniques. I Got The Blues, tu sais, Sister Morphine, être et avoir été, le souvenir qui te fend le crâne et qui te retourne le bide, les moments passés au ralenti par ton cerveau embué, par la drogue, par l’amour ou par le vice, on a tous quelque chose qui nous brûle, qui rend la musique importante, qui la transcende. Ne sois pas Bitch, ne le réveille pas, chacun voyage à son rythme sur chaque piste, c’est ce qui rend Sticky Fingers universel, cette capacité à t’emporter sans te demander la permission, voyage obligatoire, n’attache pas ta ceinture, on se fout des règles, pour quelques minutes on s’embarque sur un Moonlight Mile apaisé, profond, lenteur désabusée, voix perchée, chaque route est unique, Dead Flowers pour un album si vivant qu’il mérite d’être reédité, encore, toujours, pour que le voyage ne finisse jamais de commencer pour ceux qui tombent dans les Stones comme on rentre en religion, avec ferveur et abandon.