VU DU CIEL

oliveir

Bob avait de la chance, par le jeu des remises de peine, il sortait au bout de treize ans. Ses victimes rappliquaient déjà chez St Pierre et criaient à l’injustice. J’avais beau leur rétorquer que treize n’était pas un chiffre porte-bonheur, elles me disaient que de telles sornettes n’avaient pas cours au paradis. Même ici, il y avait des grincheux! Je prétextais qu’il fallait faire des économies. Ils ne se rendaient pas compte, un séjour dans les châteaux de la république coûtait plus cher que le Club M, all included…

En prison, Bob avait le temps de réfléchir, de regretter, d’avoir des remords, de la compassion… que sais-je ? Ma Créature n’était pas une franche réussite mais elle avait résisté quelques millénaires, elle n’était pas foncièrement mauvaise. A cette époque-là, j’avais encore un faible pour les sorties de prison. J’étais un peu voyeur.

Bob se dirigeait vers le jardin public ! La Création était ce que je réussissais le mieux, un jardin public, c’était l’Eden en plus petit. Le sens de la beauté était ancré tellement profond qu’il ne s’éteignait jamais. Bob faisait plaisir à voir, il touchait les arbres, il respirait l’air frais, il ressemblait à ces enfants qui jouaient dans les jardins avant l’apparition de ces satanés jeux informatiques. Après avoir mis sa main dans le tronc creux, il sortait son couteau de sa cache. Depuis l’invention de l’inox, le temps n’était plus mon allié et il m’arrivait d’oublier de faire disparaitre ces armes diaboliques. Je m’en voulais, je tentais le diable par mon inadvertance et Bob affûtait déjà la lame sur la bordure du trottoir, il n’avait pas perdu la main.

Cela me rassurait de le voir se diriger vers la gare, il regardait les voitures, c’était son truc les bagnoles. Il y avait quelques nouveaux modèles pour se rincer l’œil. Heureusement, il lorgnait aussi d’autres carrosseries, son instinct n’était pas mort. L’instinct, c’était quand même mon coup de génie pour faire durer le film. Sans l’instinct, point de Création durable.

Bob s’arrêtait devant les boutiques, il me faisait penser à Adam quand il découvrait la Création. Il regardait les vitrines de la boutique du philatéliste, j’étais presqu’attendri de lui revoir un cœur d’enfant. J’aimais tant le regarder en culottes courtes quand il classait ses timbres par séries, c’était la manipulation des timbres qui lui avait forgé une âme collectionneur et ce goût pour les actions dans la durée. Il avait toujours son regard de petit garçon, il devait se remémorer ses heures passées le nez collé dans son classeur.

Une gendarmette papillonnait les pare-brise des voitures comme à la plus belle saison, Bob se demandait comment l’aborder. Ce n’était pas la plus moche, quelques boucles de cheveux s’échappaient de dessous son calot. Pour faire diversion, Bob lui demandait son chemin et comme elle lui tournait les dos pour lui indiquer avec son bras la direction à suivre, il sortait son couteau, lui coupait une boucle de ses cheveux et la mettait dans la poche arrière de son jean. Quand elle se retournait pour s’assurer de la bonne compréhension de son message, Bob lui tournait le dos et agitait sa main pour la remercier. Il était prudent, Bob. Il ne voulait pas laisser la trace de son visage dans la mémoire d’une femme ainsi calottée.

Bob se dirigeait maintenant vers la gendarmerie, il voulait voir le maréchal-des-logis-chef Calendini. A sa requête, le planton lui répondait qu’il n’y avait de maréchal-des-logis-chef mais un adjudant-chef à ce nom et qu’il était de permanence entre 13 et 14h. Calendini avait pris du galon. Bob revenait à 13 h, Calendini était seul au bureau du planton. Bob le reconnaissait, c’était bien lui. Les images lui revenaient avec une surprenante précision.

C’était treize ans auparavant mais le regard de l’homme n’avait pas changé. Bob était tombé dans la nasse et les gendarmes voulaient lui faire avouer son crime. Ils n’arrivaient pas à réécrire le scénario.  Ils soupçonnaient Bob d’avoir tué le couple, le fils et un de leurs amis. Pour le couple, il y avait un mobile mais ils ne comprenaient ce que l’ami faisait à cet endroit le jour du crime et pourquoi il n’y avait pas de traces de lutte. Aucun tueur ne pouvait égorger quatre personnes sans rébellion des victimes et donc il devait y avoir des traces de la lutte. Bob était muet, l’enquête n’était pas finie. Sans explications, pas de reconstitution, pas de procès, la galère de l’instruction commençait…

Bob était prostré, il n’ouvrait pas la bouche et ce, malgré les vociférations de la brigade mobile, les pressions de toutes sortes, les vexations, la privation de sommeil et quelques coups (proprement assénés). A l’heure du déjeuner, les tortionnaires partaient au réfectoire, Bob restait seul  avec Calendini. Le gendarme lui parlait en douceur, ils mangeaient ensemble, Calendini lui parlait de sa famille, de son enfance, de sa collection de timbres… Bob se laissait aller, il ouvrait la bouche, évoquait ses souvenirs anciens. A l’insu de Bob, Calendini faisait signe à la brigade mobile de rester dehors, il conversait avec Bob jusqu’à évoquer les crimes dont il était l’auteur et Bob lui racontait le meurtre des époux : Il sortait du domicile, un inconnu lui demandait de l’aide car le fils de son ami l’appelait au secours par téléphone suite à l’agression dont ses parents étaient victimes. Bob revenait sur les lieux du crime avec l’ami de la famille et éliminait les deux témoins de son forfait.

Calendini extorquait à Bob ses aveux tout en douceur. La brigade mobile pouvait retracer le scénario, la reconstitution n’était même plus nécessaire. Les gendarmes félicitaient Calendini en présence de Bob. Bob regardait Calendini, hagard. Il s’imprégnait de son visage pour ne pas l’oublier et le menaçait d’exercer sa vengeance à sa libération. Dans un temps lointain certes mais un terme certain. Les gendarmes riaient des menaces proférées par cet homme enchaîné.

Treize ans plus tard, le moment était venu, le lieu était le même, Bob reconnaissait l’endroit, le radiateur et même les menottes accrochées au porte-manteau. Des rides traçaient des sillons sur le visage de Calendini mais les yeux de son ex-geôlier étaient les mêmes, ses cheveux plats étaient toujours un peu gras,  la détermination de Bob était toujours aussi vivace.

Calendini ne reconnaissait pas Bob, des Bob passaient tous les jours dans la brigade. Il ne se méfait pas. Bob venait déclarer le vol de ses portefeuilles, Calendini prenait la déposition de Bob. Aucune raison de se méfier, il se levait, allait dans son armoire, décrochait le téléphone et tournait le dos à Bob pour ne pas révéler la teneur de sa conversation. Bob ne laissait pas passer sa chance.

Juste après avoir plongé la lame du couteau dans le cou de Calendini, Bob prenait quelques cheveux de la gendarmette dans la poche arrière de son pantalon et les semait au dessus du corps du gendarme. Il sortait de la brigade tranquillement et allait déposer son arme dans le tronc creux. Dans le train qui l’emmenait vers le Sud, Bob se sentait enfin propre, il pouvait commencer une nouvelle vie.

Le lendemain, les journaux évoquaient la double-vie de l’adjudant-chef Calendini, la jalousie d’une gendarmette… La brigade mobile était toujours aussi efficace. Quelques cheveux bouclés, aucune trace d’altercation… Elles n’étaient pas trente-six dans la caserne à répondre au profil, l’analyse Adn confirmait le flair des gendarmes.

J’étais plus que déçu ce jour-là. J’avais tout donné à Bob, des instincts pour le guider, pour vivre, aimer, manger, tuer, respirer, et il se laissait conduire par sa pauvre raison, sans vrai mobile sinon une vieille rancune… Il fallait que je revoie ma copie.  

  • Avoir le point de vue de Dieu ne voulait pas forcément dire l'exprimer !! Ecrire un texte majoritairement à l'imparfait demande parfois une concordance des temps et donc l'usage du passé simple, ce que vous ratez, perturbant ainsi la lecture et surtout le déroulement de l'action. Vous passez trop de temps à nous narrer le passé et pas assez à nous expliquer le présent de votre sujet. Bref, vous avez pris l'énoncé un peu trop au pied de la lettre.

    · Il y a environ 13 ans ·
    10717 1223136733533 1082428138 699165 1338660 n orig

    abeline

  • Quelle chute ! J'aime bien aussi le passage sur le jardin public...

    · Il y a environ 13 ans ·
    Nature orig

    mls

  • Une très belle partition Oliveir ! La chute est efficace et la narration coule...J'ai avalé Gloutonnement cette vue du ciel ! Extra !

    · Il y a environ 13 ans ·
     14i3722 orig

    leo

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