« Soldats sénégalais au camp de Mailly » « Le baiser »

Rémi Bisson

Souviens-toi Mamour de la petite photo en noir et blanc, délavée, tachetée par cette terre de ce pays qui n'est pas le tien.
Souviens-toi de son baiser figé, encré, impression d'un instantané de notre vie.
Ce ne sont pas nos salives qui humidifient nos lèvres, mais nos larmes. C'est pourtant un baiser d'amour, si appuyé qu'il en est presque cannibale. C'est un "au revoir", un "je t'aime où que tu sois" pas un "à Dieu".
C'est un baiser qui projette le regard, à venir, d'un passé sale. Il est déformé dans son intensité, fait de plis et de creux infinis. Il est à l'image de ton visage, gueule cassée refaçonnée, yeux crevés.
 
Souviens-toi de tes lèvres.
 
Souviens-toi de ce baiser parmi ces milliers en partance sur le quai du port.
Souviens-toi Mamour de ton départ pour la métropole. De ton retour à Dakar.

Au dos de ce petit rectangle au contour dentelé, est écrit naïvement à l'encre bleue d'écolier, comme une épitaphe à la vie, un clin d'œil moqueur à la mort ; "Mamour et Méïssa, pour toujours et à jamais. Décembre 1914".

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