3 nouvelles - le pique nique
fractale
-T’as l’camembert ? demanda sèchement rodolphe.
Rodolphe avait toujours cette fâcheuse manie de tomber dans le péremptoire sans annonce préalable. Bon, faut avouer que sa stature de catcheur n’invitait pas franchement à lui chercher des noises.
-l’est là, dans le sac en toile, montra dédaigneux maxime
Maxime donnait lui toujours l’impression qu’on l’emmerdait. Il bougeait en maugréant, répondait en grommelant et s’activait dans toute tâche avec la vitesse d’un paresseux fainéant en soufflant comme si l’effort lui arrachait un morceau du bide.
J’observai la scène avec cette habitude amusée que j’avais de les côtoyer. Ils me faisaient penser à un vieux couple. J’étais bien tenté de leur dire mais fallait être prêt à essuyer des représailles dans pareil cas. Et j’avais pas la carrure pour affronter le Catcheur.
-tu fais quoi là à sourire bêtement toi, tu peux pas nous aider, tiens occupe-toi du sauciflard puisque t’as rien à glander, asséna Rodolphe en me jetant la charcuterie.
-pas de problème....merde, j’ai oublier mon canif, file-moi l’tien stp !
-putain tu penses à rien, on s’organise un pique-nique peinard pour pas être tenaillés par nos vieux et tu viens la bouche en coeur et le cul qui flageole. T’as pensé au dessert au moins ?
-mouais, j’ai les pommes, dis-je en exhibant fièrement mon petit sac et en le posant sur le sol.
On avait décidé de se tailler la campagne. On était un dimanche et le printemps pointait son nez en offrant une journée claire et agréable. On avait tous pris nos vélos, avions remonté le long de la voie de chemin de fer désaffectée et faisant le course puis on s’était affalés essoufflés comme un vieux taureaux à l’ombre d’un orme gigantesque sur un carré d’herbe bien grasse.
-putain c’est un peu humide il aurait fallu une couverture, râla l’ami Maxi.
il détestait qu’on l’appelle comme ça, il y voyait comme un air de défi et ça se réglait toujours par des roulades animées ce genre de provocations... aujourd’hui le ton était pas à ça, on avait décidé de sa la jouer journée d’la paix.
-dis on est pas non plus des taffioles, t’as peur de te choper un rhume du cul ? s’amusa rodolphe qui, puisque plus baraqué que nous tous, jouait déjà les hommes endurcis à qui on la fait plus.
-non, c’est pas ça, j’aime pas la rosée c’est tout c’est interdit ?
Pour clore l’intermède je balançais les tranches de saucissons que je venais de détailler grossièrement au canif, Rodolphe avait l’accompagnement, des chips et comble du raffinement, un pot de cornichons que sa grand-mère préparait elle-même.
-on est pas les rois ! que je balançais en m’allongeant dans l’herbe accoudé comme un prince.... le soleil, le temps, de la bouffe, les potes...
-mouais, je vais verser une larme t’as raison, laisse-moi deux secondes que je me recueille Luther...
j’avais toujours détesté ce prénom bizarre, pourquoi mes vieux avaient tenu à m’affubler d’un patronyme pareil, à croire qu’ils m’en voulaient déjà de venir les enquiquiner dès la naissance. Les autres trouvaient ça cool, ça changeait des habitudes comme ils disaient.
On mangeait doucement quand un bruit de branches cassées nous attira.
-putain c’était quoi ça sursauta Max un saucisson dans le gosier.
-chais pas, c’était assez proche il me semble, ya jamais personne dans les parages, chut, les gars, on va lui fout’ la trouille, on est pas là tranquille pour se laisser déranger par un visiteur.
J’acquiesçai ! on était là entre nous, on devait savourer. Je me levai et m’accroupis derrière un petit bosquet pour tenter de remarquer quelque-chose.
-je vois rien les gars, ya pas un bruit, ça venait bien de par là ?
-oui, le doute est pas permis, de toute façon en face ya la voie ferrée
Rodolphe vint me rejoindre, il aimait ce genre de jeu, yavait pas grand-chose pour l’impressionner dans les environs. Max nous observait du coin de l’oeil en mâchouillant une tranche de pur porc. Il bouffait toujours comme quatre et était pas plus épais qu’une sauterelle. C’est qu’il avait les nerfs on s’disait, ça consommait pas mal.
On restait ainsi quelques minutes aux aguets. Rien ne semblait se produire...
-là... pointa de l’index Rodolphe, tu as vu ? ça a bougé.
-j’ai rien vu, t’es sur que c’est pas le vent ?
il me jeta un regard glacial... le vent ? t’as vu du vent où aujourd’hui , si ya du vent c’est entre tes oreilles qu’y circule faut pas chercher. le genre de remarque à faire marrer notre affamé.
-j’l’ai toujours dit à Luth qu’y avait du zef dans sa caboche à rêvasser comme il le fait.
-chuttt.....j’entends un bruit que je fis pour détourner la conversation. Et c’est vrai que j’avais entendu comme un souffle à quelque pas...
-putain t’as raison, c’est bizarre...ya un truc dans l’air mais on voit rien.
Nos regards se croisèrent un peu inquiets, ça aurait été Jeremy et sa troupe qu’on se frittait parfois, c’était pas un problème, mais là on avait comme un pressentiment bizarre, un truc pas net et inhabituel. ;
Max nous rejoignit pour observer à son tour.
Nos coeurs battaient un peu plus fort, ça s’entendait dans le silence mais personne ne la ramena vraiment car la situation était générale. Quand le danger se resserrait on oubliait nos chamailleries pour se concentrer sur le tracas. Bon c’est pas qu’il y avait danger mais tant que l’affaire était pas résolue on formait une équipe.
-là.... j’ai bien entendu, un souffle rauque ! j’ai pas rêvé. Chuchota rodolphe.
-je l’ai entendu aussi, confirma Max
de mon côté j’étais concentré par un endroit sombre à quelques mètres, une espèce de fourré de tout et n’importe quoi. Ça m’intriguait.
-psst, les gars, vous avez-vu là-bas que je désignais, j’ai l’impression qu’on nous observe. J’ai vu des yeux.
-des yeux comme t’y va, et les lunettes qui vont avec...rétorqua max
-je rigole pas, regardez bien, là....c’est des yeux qu’j’vous dis !
ils fixèrent dans la direction indiquée et en effet, c’est comme si on nous observait en silence. Nous n’osions faire un bruit, à peine respirer. La situation était pas nette. Bon, on était rassuré par Rodolphe quand même. Je le fixai un instant et constatai qu’il n’en menait pas une si large. Je gardai la réflexion pour moi.
Soudain le feuillage se mit à frémir, quelque chose bougea et grogna à l’intérieur... une bête ?
Quand une énorme masse sombre surgit du lieu et nous chargea d’un trait...
-merd.... lança max en filant sans demander son reste
-puta... entama Rodolphe qui se lança lui aussi dans un sprint salvateur
je n’eus le temps de rien dire tant l’effet de surprise m’avait saisi... je pris mes jambes à mon cou...
à ce jeu Maxi gagnait, c’était de loin le plus sportif du groupe. On avait laissé les vélos et on cavalait comme des poules effrayées entre les traverses de la voie, sans se retourner. Rodolphe soufflait comme un boeuf, son gabarit jouait pas en sa faveur même si la peur lui donnait en l’occurrence une vitesse insoupçonnée. J’étais concentré sur mes pas, l’aurait pas fallu en faire un de traviole maintenant...
la masse sombre... courrait derrière nous..
un ours !
certes des rumeurs circulaient dans les environs et on l’avait déjà cherché mais personne n’avait jamais apporté la preuve concrète de la bête. Et des ours, ça faisait longtemps que yen avait pas dans les parages aux dires des anciens..
il nous coursait... c’était pas normal, il traçait plutôt faut l’avouer. Yavait un truc qui clochait,
-ça bouffe les humains un ours ? que je lançai tout essoufflé.
-nan... mais... ça.. aime... le fauuu…ci...ffon... hacha Rodolphe que l’instinct de survie avait transformé en gazelle intelligente. Dans d’autres circonstances on aurait apprécié le spectacle mais l’heure était pas à la contemplation.
La bestiole se rapprochait. Ça semblait lourdaud comme ça mais ça maniait une vivacité insoupçonnée.
je compris l’allusion de Rodolphe....Max dans la précipitation courrait avec la charcuterie dans la main...
-Max ... jette ton saucisson nom de dieu, que je lui criai !
il obtempéra et lança derrière lui les victuailles, l’ami Rodolphe faillit se le prendre sur la tête ce qu’il n’aurait à mon avis pas vraiment apprécié. Il le remarqua cependant à peine..
c’était bien ça. La bête avait faim... elle s’empara du saucisson et le croqua d’un coup sec sur la voie..
on s’arrêtait plus loin, n’en pouvant plus, le souffle coupé par la course et les jambes en hydrophile...Rodolphe se tenait les mains sur les genoux pour récupérer, il soufflait autant que l’ours. Max respirait à grands coups et moi je faisais ce que je pouvais pour reprendre mon souffle appuyé sur un tronc....
-on a eu chaud...c’était moins une...dit Max livide.
-mouais, nous a fichu une sacré trouille le bestiau ! que je confirmais
-et l’aut’ con qui l’appâtait avec son saucisson...lança Rodolphe d’un air assassin !
-j’y pensais pas protesta Maxime sans même râler sous le coup de l’émotion.
-T’as vu comment il a gobé la jambon ? s’inquiéta Rodolphe qui trouvait là une mâchoire plus impressionnante que la sienne.
-vrai, la peau des fesses aurait pas tenu longtemps avec cet affamé...
on observait l’ours de loin, il rentrait tranquillement l’air de profiter du printemps naissant en furetant de droite et de gauche et en grognant par à-coups...
-il doit sortir de son sommeil, dis-je... me rappelant un article de magazine. Yavait pas de raison qu’il nous charge pour si peu de bidoche.
Les autres ne dirent rien.
Le pique nique avait tourné court, nos vélos étaient pris en otages, il fallait les récupérer...
On se regarda... et partit d’un grand rire nerveux que la peur nous avait jusque-là interdit...
On s’en sortait bien et on s’en rendait compte...
et ça ferait une putain d’histoire à raconter en rentrant....