3 nouvelles - Les trolls

fractale

Le troll arriva en chuchotant devant ses compagnons… en titubant aussi tant il avait bu du lait de hyène non pasteurisé mais ribot.

« Pssstt, les gars, vous venez ? c’est l’heure ! »

Il y avait là le korrigan qui couinait avec la lampe torche dans les yeux, un elfe défait par une soirée hyper alcoolisée et un farfadet pas net qui désirait ardemment une scission avec le clan habituel, une sorcière à la voix éraillée se tenait là entre deux peaux de crapauds putréfiées et un balai estampillé javelnet, un nain se faisait petit en attendant son heure.

En fait, la joyeuse troupe se préparait à arpenter les landes pour aller piquer des pêches de la mère Denis, une sale mégère qui vivait au centre des monts d’Arrée, non loin des chemins empruntés par l’ankou lorsqu’il rejoignait le pays des morts.

Avec un barouf pas possible ils se préparèrent… Korry tu as mis où mon balai hurla la sorcière en menaçant de sa baguette de buis. L’elfe cherchait son arc planqué mais coincé sous le lit et le farfadet se contentait de grogner, ce qui pour lui constituait une sorte de rituel amical et finalement plutôt chantant dans ce monde imaginaire souvent mal décrit.

Vers minuit 15, ils se mirent en route éclairés par la pleine lune pour mieux appréhender la marche à suivre…. Se suivaient à la queue leu leu et dans l’ordre suivant : troll en tête doté de sa sale gueule, le korrigan doté du sens de l’humour, la sorcière munie de son balai, le nain doté de sa taille relative et l’elfe, cette flèche, mais sans son arc introuvable.

Il fallait voir la petite troupe arpenter les landes un peu brumeuses, éructant, se grattant, grognant et vociférant en buttant sur des pierres imprévues. Sous la pleine lune le spectacle valait le coup, on les apercevait à des lieues à la ronde, là haut sur la colline, non loin de la maison bleue. Leur ombre se projetait à qui voulait se donner la peine de regarder et leur boucan s’entendait jusqu’à landerneau.

Notre joyeuse tribu, bien que consciente de l’aspect didactique de son œuvre nocturne, se permettait une joyeuseté un peu insolente.

Korrigan avait apporté du chuchen dans une gourde en peau de bouc, et le farfadet soucieux de sa bonne forme transportait sous ses vêtements épais une fiole de lambig…hips…

Malgré le côté hétéroclite de la chose, il faut convenir que la troupe avançait bon train. Le rythme était soutenu et l’elfe désirait un chant de marche à tendance militaire pour revigorer la bande, n’ayant pas d’alcool divers  ni même d’été, il voyait dans ce chant ridicule la seule alternative à l’ennui et à la transpiration que provoquait immanquablement cette marche rapide.

Tra la la.. youp la la… dictait le troll de tête.

Pam la li répétaient les autres en cœur….

Hips clôturaient le korrigan et le farfadet, les deux bretons adeptes des boissons à maturation.

Chutttt signalait de temps en temps la sorcière qui désirait flanquer un coup de balai à ce manque de discrétion évident.

Nos amis sous-estimaient la force de persuasion de la mère Denis….en matière de ménage et de lave-linge elle s’y connaissait assurément mais en réception de voleur de pommes ou de pêches elle n’était pas aux fraises.

Avec moult traversées de champs de maïs, avec divers passages de rivières et de ruisseaux, après quelques chants grivois voire paillards et quelques tonneaux de chuchen frelaté réquisitionnés dans quelques fermes de traverse. La ferme de la mère Denis était en vue.

Gloups. Se contenta de marmonner le troll.

Quand même. Souffla le farfadet.

Mazette, siffla le korrigan

Oups, balaya d’un geste la sorcière

Aïe, osa l’elfe un peu mal en point devant tant de légèreté.

Pourquoi tant de circonspection face à quelques arbres fruitiers me direz-vous ?

Je me dois à cet instant précis du récit de préciser la particularité de la mère Denis. Elle fut mariée à un marine’sssss américain (en phonétique dans le texte). Le pourtour du verger était bardé de barbelé épineux et agressif, un mirador en pierre de sicile surplombait la plaine avec un phare en mouvement quasi-circulaire pour repérer les rôdeurs. Quelques chiens à la mine pas si bulaire aboyaient comme des furies assoiffées de chapeaux à plumes lors d’une représentation de french cancan.

Comment allons-nous passer cette solide barricade ? demanda l’elfe.

Il parait qu’il existe un passage souterrain  sous le mirador, objecta le troll en tant que chef de l’expédition.

Il serait bouché par une pierre de granit de plougastel, intervint le nain toujours au courant des petites informations circulant sous le manteau.

Moi je constate que nous avons péché… ce sont des pommes que j’aperçois, constata l’elfe toujours très précis dans son sens du détail…

« du balai !»…. Hurla un moment la sorcière face à une mouche adepte de promiscuité épidermique chatouilleuse.

Le farfadet ne dit rien, soucieux de rester coi.

La mère Denis, bien que sourde et plantée devant la télé pour passer le temps, possédait quelques stratagèmes pour surprendre les badauds adeptes de ses fruits qu’elles savaient savoureux.

Elle fut mise au courant par son circuit d’informateur animalier, des lucioles à économie d’énergie fort perspicaces au demeurant, que quelques individus mal intentionnés, à priori bien entendu car le délit de sale gueule n’existait pas encore, rôdaient dans les environs.

Dès lors elle sut quoi faire pour protéger les fruits de son verger.

Elle se saisit de son escopette à double détente intégrée et sortie affublée de son casque des années 200, à pointes de rhinocéros en bronze de naples. Elle cria…

Qui va là… ?

La troupe s’arrêta net !

Comment a-t-elle su que nous étions là, questionna le farfadet ?

Je n’en sais rien, répondit le nain qui se faisait petit en ses temps de tempête annoncée.

La sorcière voulut faire place nette mais fut retenue par le korrigan qui s’apprêtait à tomber dans les pommes justement.

Le troll s’interrogea… en effet, un tel accueil n’était pas envisagé…..

Il se gratta la tête, sous le feu du phare miradorien…. Et dans la visée de l’escopette tremblante de notre bonne vieille mère Denis…

L’instant était terrible.

Tendu.

Incroyablement stressant.

Qu’allait-il se passer ?

Une musique de morricone passa dans les airs…

Lam plam lam plam…

Soudain….

Un bruit incongru...

PAUSE...

C’est à ce moment que vous pouvez vous moucher, vous grattez le nez, boire un verre d’eau ou préparer un tasse de thé. Les images qui vont suivre risquent de heurter la sensibilité des plus jeunes lecteurs, aussi leur est-il recommandé de dire Non à Oui-Oui, pour parodier Polnareff. Allez faire un tour aux toilettes, sans omettre de vous lavez les mains, puis revenez vous installer pour assister au dénouement de notre histoire féerique. L’image est fixe… attention… c’est parti !

La mémé tenait en joue Trolly le Troll, nany le nain, Crax la sorcière au balai, Elfy l’elfe, et Korry le korrigan, je crois que je n’oublie personne dans la petite troupe.

Je rappelle à nos lecteurs assidus que le but de l’expédition était de piquer des pêches, qui s’avèreraient plus tard être des pommes, dans le verger de mamie Daniel, femme vieille et acariâtre mais réputée être avare comme un harpon ? comme un appeau ? comme Herr Pagon ? bref vous savez ce gars grippe-sous de chez Molière…

Molière n’ayant pas la dent dure, il ne m’en voudra pas.

Le moment était tendu…et…

PUTAIN qui c’est qui passe dans le champ ? là-bas au fond ? on peut pas me le virer le rhino ? ça sonne pas crédible.. que fout-il là ? ils font quoi les vigiles ?

On reprend..

Tout le monde reprend sa place, on tourne, clap !!

POUMMMMM

Le coup d’escopette partit, ricocha sur une pierre, contre le mur et enfin contre une timbale qui résonna qu’on l’avait tirée bruyamment du sommeil.

La troupe ne bougeait plus, attendant le pire… auquel on échappa, mémé Denis étant en effet un peu gauche, bien que supposée pro-droite.

Soudain le troll, dans un moment luminescent de génie , chose il faut l’avouer relativement rare dans son crâne préhistorique, se rua dans la brèche vers la porte en bois du verger…. Il comprit que le temps de recharger cet ancêtre du fusil lui laissait une marge large.

Il courut, suivi par sa troupe joyeuse, zigzaguant, boitillant, grognant, essoufflée..

Ah mes amis quel spectacle grandiose et drolatique que de voir ces individus si variés unis dans la même maladresse de course. Le public végétal autant qu’animal était en haleine. Qu’allait-il se passer ? allaient-ils réussir sans avoir le fessier plombé ?

Mère Denis se rendit compte de son erreur (deux en fait, une de visée et une autre d’analyse), et fut rendue nerveuse à tel point qu’elle desquama !!!

AHHHHHHHHHHHHHHHHHH

Le monde en cet instant d’horreur absolu.

S’arrêta

Le temps se figea.

Les habitants furent pétrifiés de cette vision d’outre-tombe…

Et si un jour vous passez dans Brocéliande et que vous apercevez des pierres usées par le temps aux formes un peu inquiétantes….

Pensez à cette troupe de joyeuses créatures légendaires qui laissèrent leur peau quand Mère Denis perdit la sienne !!

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