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New-York. 28/03/1902. Nous sommes arrivés hier au soir et nous avons mouillé devant le phare de la Liberté, le plus beau du monde. Puis, les 1200 passagers ont débarqué. Capitaine Octave Vincent.

  

     Une visite au musée de la marine de Southampton est chargée d'émotions. Au milieu de maquettes de rafiots légendaires et d'objets hétéroclites du monde de la mer, se trouvent breloques, babioles et autres bibelots qui furent soit destinés au Titanic mais jamais embarqués pour des raisons qui nous échappent, soit sauvés lors du naufrage, soit récupérés après le naufrage. Des tas de trucs, qui, répartis dans tous les autres musées (il en existe un pour chaque escale de l'unique voyage) destinés à l'insubmersible immergé, représentent un nombre hélas bien supérieur à celui des personnes qui ont réchappé à la catastrophe.


Le regard s'attardera surtout, toujours dans ce même musée de la marine, naguère en entrée libre le dimanche, sur des morceaux du bateau, pour les plus gros, offerts au toucher, pour les autres, soigneusement polis et conservés sous verre. Ils portent sur eux les stigmates d'une tragédie inouïe. Ici des lambeaux de bois, là des touffes de moquettes, et sur les planches, de longues traînées qui évoquent des ongles aux abois cherchant à agripper un dernier bout de solide avant de sombrer, pour toujours, au fond du liquide.


C'est lors d'un dîner entre armateurs et constructeurs en 1907 que naît le projet de bâtir, non pas un, mais, 3 paquebots mirifiques, l'Olympic (!), le Titanic et le Gigantic pour faire de la White Star Line, la compagnie de transport maritime la plus prestigieuse de tous les temps. Bruce Ismay, célèbre propriétaire de la Ligne de l'Etoile Blanche, se met d'accord avec le fameux constructeur Lord James Pirrie (patron de la Harland and Wolff) et l'entreprise prit forme avant de prendre l'eau.


Le Titanic, puisque c'est celui-là qui nous intéresse, fut construit en 3 ans à Belfast, une ville qui devait aussi connaître une descente aux enfers sous les affrontements répétés des religions. Décidés à braver toutes les superstitions, les constructeurs n'hésitèrent pas à le mettre à flot un premier avril, ce qui était loin de ressembler alors à une immense plaisanterie. La suite prouvera que ces choix n'étaient pas très orthodoxes : les rivets catholiques et les attaches protestantes n'ont jamais fait bon ménage.


C'est donc le 10 avril de l'an de grâce 1912 que le plus grand bateau du monde entama sa seule croisière. A son bord quelques personnalités et des passagers de toutes classes. Contrairement à beaucoup d'idées reçues, le bâtiment n'était pas rempli jusqu'à la gueule : mille places environ restaient vacantes, un mal pour un bien. Le fier navire arborait ses innovations remarquables, parmi lesquelles les compartiments étanches en question.


Cependant, aucun des voyageurs et très peu de membres d'équipage savaient que juste après le remplissage du charbon, soit le 2 avril, un feu, que l'on ne put éteindre avant le 13 avril, s'était déclaré dans le compartiment numéro 5: mais il était impensable d'annuler le départ, pour un incendie que l'on finirait tôt ou tard, c'était sûr, par maîtriser…


Rien ne pouvait donc empêcher le paquebot du siècle de se lancer à l'aventure malgré un feu à bord. Rien. Encore moins le fait qu'en larguant les amarres du port de Southampton, il arrache celles du New-york qui stationnait paisiblement dans la baie, un autre mauvais signe ?


Arrivé à Cherbourg avec ses attaches et rivets catholico-protestants, son incendie dans le compartiment 5 et un premier choc avec une autre nef importante au sortir de l'Angleterre, il rate son entrée dans le port puis en repartant, manque de détruire un chalutier qui ne doit son salut qu'à quelques centimètres.


A Queenstown, lors de l'escale suivante, l'un des soutiers s'esquive sans demander son reste. Avant de disparaître il avait confié à ses camarades que quelque chose de malsain régnait a bord. Assigné au magasin à charbon, il savait mieux que quiconque que le feu ne serait pas sans conséquences.


La suite nous la connaissons tous. Aux 3 quarts de son voyage, lancé à 22 nœuds à l'heure, le navire percute, de biais, un iceberg bleu quasi invisible dans la nuit du 14 au 15 avril, une nuit sans lune ni étoiles. En 1912, il n'y avait pas de radars et les jumelles, allez savoir pourquoi, étaient interdites. Le compartiment 5 est le premier à céder. Puis le reste de la coque finit de s'éventrer et il s'enfonce dans les eaux glaciales de l'Atlantique en 2h40 minutes. Le capitaine, grandiose à la fin, cloîtré au fumoir à l'instar d'un certain Noodles dans un chef d'œuvre de Sergio Leone, coule avec son bateau.


L'insubmersible s'est ouvert comme une boîte à sardines à cause d'une manœuvre désespérée visant à éviter l'obstacle aperçu à la dernière minute. De nombreux spécialistes prétendent qu'il aurait mieux valu le prendre de front: quand on va dans le mur, autant y aller tout de go.


On est en droit de se demander ce qui a bien pu inciter les radios et le capitaine à se mettre derrière l'oreille les messages signalant les icebergs. Les 2 radios mandatés par les compagnies de TSF et non par les compagnies maritimes, relayaient surtout les dépêches à caractères personnels et commerciaux plus lucratives. Ce flot de missives, la plupart aussi inutiles que nos sms, encombrèrent un réseau sur-saturé, noyant de cruciales informations d'alerte: les règlements étaient déjà dépassés par l'avancée technologique.


Il s'agissait de la dernière traversée du capitaine Edward Smith avant sa retraite. Grisé par le commandement du bateau le plus énorme de la planète, aveuglé par des inventions censées le rendre incoulable, sûr d'une expérience de 45 années de navigation, il y avait de quoi vouloir battre des records et relâcher un peu plus la vigilance. Mais tout homme a ses faiblesses et chacun de nous s'est un jour laissé aller à des décisions risquées.


L'un des aspects les plus frappants de la catastrophe est son côté spectaculaire honnêtement rendu sans grande finesse dans le film de James Cameron. Le bateau est comme un mini monde reconstitué et ce qui touche le public est d'assister à la mort des protagonistes en accéléré, comme s'ils assistaient un peu à leur propre mort finalement. Souvent nous oublions que nous sommes tous, nous aussi, sur une sorte de Titanic et que tôt ou tard nous disparaîtrons. Nous rappellerons donc ici qu'il y eut autour de 1500 victimes.


Autant certaines négligences peuvent être imputées à l'équipage avant la tragédie, autant il fut d'une exemplarité à toute épreuve lors du sauvetage qui fit 700 rescapés, pour la plupart des passagers, puisque le capitaine et le personnel restèrent sur le pont, dignement et héroïquement (contrairement aux responsables du Costa Concordia). Les miraculés furent récupérés sur un bâtiment croisant non loin, le Carpathia, un nom bizarre aux consonances draculesques, qui, lui aussi, finit au fond de l'océan, torpillé en 1918.


Le Titanic était loin d'être la première, et encore moins la dernière (de nos jours 150 naufrages par an sont répertoriés) embarcation à s'échouer. Depuis La Méduse, les accidents maritimes hantent l'imaginaire, et c'est donc sans grande surprise que l'on redécouvrit un roman de 1898 décrivant l'histoire d'un bateau du nom de Titan qui termina sa course dans un iceberg, comme une prémonition funeste.


Enfin, l'hommage le plus vibrant, nous le rendrons aux musiciens qui, selon la légende, ne cessèrent de jouer que le bec dans l'eau. Quant à l'énigme, éculée, du titre: il s'agit du numéro de coque du Titanic, qui, reflété dans un miroir, laisse apparaître la rivalité catholico -protestante mise en cause dans l'accident, au travers de 2 mots aux allures de sabotage: NO POPE…

Musique: La légende du pianiste sur l'océan Ennio Morricone 
https://m.youtube.com/watch?v=suLC7YgC6Iw
Illustration : Titanic à quai. Southampton.
                                                                                                       2012
  • Titanic : LE film que je ne pourrais pas revoir..

    · Il y a presque 5 ans ·
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    Susanne Derève

    • Pourrais ou pourrai?

      · Il y a presque 5 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • pourrais : une phobie

      · Il y a presque 5 ans ·
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      Susanne Derève

    • Entre nous si vous m'aviez dit ''je ne pourrai plus jamais voir Apocalypse Now ou Le Mépris'', je vous plaindrais, mais Titanic...

      · Il y a presque 5 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • Apocalypse Now : adoré, rien à voir

      · Il y a presque 5 ans ·
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      Susanne Derève

  • L'imagination se déchaîne toujours après des accidents de ce genre. Un chalutier aurait suscité moins de vagues, si je puis dire.

    · Il y a presque 5 ans ·
    Coquelicots

    Sy Lou

    • Vous avez raison. Et cependant,une vie est vie. Merci.

      · Il y a presque 5 ans ·
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      enzogrimaldi7

  • Merci pour ce texte. Il parait, selon les dernières trouvailles des scientifiques, que c'est la qualité de l'acier des rivets qui ont servi à assembler les tôles, que l’insubmersible aurait fini par sombrer. Je vois dans ce texte une belle allégorie de notre monde "moderne". En un seul mot, ... Bravo.

    · Il y a presque 5 ans ·
    Gaston

    daniel-m

    • Tout à fait Daniel, merci à vous!

      · Il y a presque 5 ans ·
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      enzogrimaldi7

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