A CONTRE-JOUR

ploufou

Synopsis:

Margot rencontre Julien à dix-sept ans, le retrouve à vingt-trois, et part complètement en vrille à vingt-six. Une histoire d'amour tumultueuse en trois temps, entre une héroine misanthrope au caractère impossible et un bourreau des coeurs indomptable.

Début du roman:

La cloche sonne. Tout le monde se lève, se bouscule, se marche dessus et s’écrabouille mutuellement contre les tables et les murs. Ridicule.

            J’atterris enfin sur ce trottoir brumeux. Ce trottoir-de-tous-les-matins. Ce trottoir où la foule se disperse peu à peu après l’avoir maculé de mégots, chewing-gums, crachats et autres trucs dégueulasses. Je suis sortie en retard et je me demande pourquoi. Et je suis la seule à être seule. Les autres sont en petits groupes, rient fort ou parlent bas, peu importe. Je fume ma cigarette au milieu du trottoir, immobile, seule et tellement, tellement invisible. Alors je me console en décidant de pas aller en cours cet après-midi. De toutes façons j’ai qu’une heure d’italien et je le parle couramment. Ça sert à ça, les langues, à sécher les cours. J’irai me promener tout l’après-midi, sans doute.  

           

 Un gars est seul, assis sur son scooter. Je me demande pourquoi on se regarde. Et pourquoi il se lève. Et pourquoi, et pourquoi…

« Bonjour Margot ».

Mes yeux s’écarquillent. Je m’arrête brusquement. Je sais qu’il est dans le lycée, mais pas dans ma classe. Alors comment connaît-il mon nom? 

« Salut, euh…  

- Julien.

- Julien?

- Oui, c’est ça.

- …

- Tu vas bien?

- Euh… Oui, ça va…

- T’as des petits yeux.

- Ah, c’est possible… »

            Je sais vraiment pas quoi lui répondre, moi. C’est tellement inattendu, d’abord, tellement rare que quelqu’un me parle. Silence. Je regarde par terre parce que c’est plus pratique mais je sais qu’il me regarde, tandis que mes yeux vont du trottoir aux voitures, des voitures au trottoir, du trottoir à la brume, de la brume à l’incohérence, et de l’incohérence à ses yeux… Il sourit.

« Tu déjeunes où, ce midi?

- Je…je rentre chez moi.

- Tu veux qu’on déjeune ensemble quelque part? T’as l’air perdue…

- Euh…Non merci. Je peux pas…Ma mère m’attend et…et voilà. »

J’ai l’air con là. Je sais pas si c’est ça qui le fait sourire encore plus. Je sais pas comment je dois le prendre, les relations humaines, la vie sociale, tout ça, c’est pas tellement mon truc.

« Bon alors tant pis. Mais on pourrait déjeuner ensemble un de ces jours, si ça te dit?

- Oui, peut-être ».

Il sort son téléphone portable et me demande mon numéro. Je lui donne. Il fronce les sourcils, il a l’air étonné :

« Margot…hum… Il a vraiment quatorze chiffres, ton numéro ?

- Bah…non ».

Morte de honte, je le lui redonne avec dix chiffres. Il dit que c’est mieux comme ça et moi j’ai simplement envie d’aller m’enterrer. Faut couper court. Je trépigne. Comme si j’avais envie de pisser.

« Je dois y aller.

- Ok, salut Margot.

- Salut… »

            Je me détourne et marche vite, vite, vite. Assez vite pour sentir le froid mordre mon visage, pour croire que ce qui vient de se passer ne sort pas de mon imagination. Assez vite pour croire en quelque chose. Je ne comprends plus rien. On m’a parlé. À moi. On m’a souri. Peut-être bien que j’existe pour de vrai, finalement. Que je vis pas dans un univers parallèle où seuls mes parents, les profs et les gens chiants peuvent me voir.

Signaler ce texte