A corps expédié

ellis

Derrière les courbes des lettres, il y a. Mes mots n'ont qu'un corps. Le mien.

J'ai jeté à ta tête  mon corps entier. Des mois et des jours et des heures. Vécus. Sentis. Gardés. J'ai rassemblé tout ce bordel dans mes mains, sans trop serrer, je l'ai tenu, chaud et pudique, encore ivre de chagrins, et je l'ai déposé à tes pieds. Boite mail. Sans accusé.  Je suis une aventurière.

Quelque part flottant quelque part nulle part. Immatériel. Mon corps entier replié sous une petite icône. Pièce jointe.  Prends-le doucement. Prends-le comme tu voudras. Entre la poire et le dessert. Avant d'entamer autre chose. Prends-le, il n'est plus à moi. Je l'ai sorti et donné à voir. Sorti et donné à vivre.

J'ai rédigé un objet. Il devrait avoir un bon taux d'ouverture. Mon corps objet marketing. Clair et concis, annonce de ce que tu trouveras.  Ce que tu trouveras à ton goût ? Ce que tu trouveras trop dur ? Ce que tu trouveras effrayant ? Trop tard, c'est déjà parti. Déjà expédié, il est sur le chemin jusqu'à toi. Replié cacheté, rien ne dépasse. Quand tu ouvriras il te sautera au visage, en times new roman non justifié, tout brouillon, petites astérisques qui rythment les jours, les longs jours, de présence et de silence, les longs jours de l'expérience de toi. Tu vas tout savoir. Ni toi ni moi ne pourrons plus faire semblant désormais. Il y aura un avant et un après.

C'est le genre d'acte de bravoure qui veut forcer le destin. Qui appelle à l'action.

 

Je pleure longtemps et je m'étonne de mon courage. Je n'ai pas de courage. Je répète qu'il le faut. Je te demande pardon en moi-même de te blesser. Mon corps entier est chaud, plein d'amour, plein de colères et de blessures. Il va venir se tendre sous tes yeux et te montrer tout ce que je cache pour préserver tes yeux. Tes yeux – dorés qui rient qui s'embrument – oh je les voudrais sur moi encore, encore. Mais c'est trop tard.

 

Désormais je t'ai perdu. C'est certain. Je suis totalement nue dans tes mains. Mon corps entier, dans tes mains. Tu détourneras les yeux, j'en suis sûre. C'est ce qu'il faut pour m'inscrire dans cette vie. Pour m'inscrire dans ce quotidien où tu n'es pas, là où je continue encore de te vivre en secret.

 

Les jours passent et roulent ton silence dans leurs doigts. Je sais que tu as tout lu désormais.

Sur mon corps je ne sens rien. Dimanche soir je pleure contre l'oreiller. Je te supplie de ne pas me laisser. Il fait nuit noire. Télé allumée dans la pièce à côté. Les enfants dorment depuis longtemps. La solitude est l‘histoire que je me fais.  Un corps viendra dans une heure ou deux se serrer contre le mien pour trouver la chaleur. Et je serai endormie, au milieu des larmes et de la pensée de toi, loin, loin de tous ici. Loin de lui. Je ne suis plus là depuis longtemps. Je suis suspendue. Nulle part. Mains grandes ouvertes, écartelées dans le vide, cherchant la caresse.

 

Finalement tu as appelé. Longtemps. Plusieurs fois. Je suis incrédule, passive, passivement heureuse. Tu m'as dit merci. L'impression de m'être mise à poil et rien. Qu'on a juste couvert mes épaules pour couper court. Tu dis des mots de douceur et de reconnaissance. Ils me réchauffent mais ne suffisent pas. Et que tu m'aimes, et que tu me demandes pardon et encore, et encore. En moi s'ébroue violemment le refus de la moindre forme de pitié. Je le dis. Tu réfutes. Tu parles d'amour. Mais tu ne dis rien vraiment.

 

J'ai jeté mon corps entier à ta figure. Et c'est comme si de rien.

Les questions sans réponse se cabrent dedans. La liste des jours s'allonge. J'attendais l'action. J'attends.

Je ne t'ai pas perdu. Te voilà plus vivace.

Tu es debout sur ma poitrine, l'idée de toi claire comme du cristal.

Je sais que c'est une parenthèse. Une petite rémission avant de plonger.

Tu ne sais pas que mon corps demande à être couvert de tes mains. C'est sa seule ambition.

Les mots racontent quelque chose qui n'existe pas. C'est gracieux.

Demain, je te demande.

Je te demande.

Raconte-moi dedans, comment ça t'a fait, mon corps entier jeté à ta figure ?

 

  • Tu me vois surpris.
    D'abord parce que ce texte est dantesque. Genre tu l'imagines plus ou moins universel sans qu'il le soit pourtant. De ceux au contenu duquel tu peux t'identifier, ou aimerait pouvoir t'identifier...
    Surpris également parce que je suis surpris de la faible audience de ce texte. Il mérite tellement plus...
    En fait il ne lui manque que de la musique à ton texte. Je te suggère humblement d'envisager le "Coeur ouvert" de Bertignac (paroles de Roda-Gil)

    Merci pour texte.

    · Il y a plus de 9 ans ·
    332791 101838326611661 1951249170 o

    wic

    • Alors, d'une, merci sonne tout petit pour ce très touchant commentaire... Mais je te le tends quand même. Merci... De deux, je ne connaissais pas cette chanson. Mais j'adore Roda-Gil. Merci deux fois :)

      · Il y a plus de 9 ans ·
      248407193 78b215b423

      ellis

  • Waw

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Cat

    dreamcatcher

    • merci....

      · Il y a plus de 9 ans ·
      248407193 78b215b423

      ellis

  • Un texte magnifique! De bout en bout.
    Je suis ravi d'être passé par ici. Merci.

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Un inconnu v%c3%aatu de noir qui me ressemblait comme un fr%c3%a8re

    Frédéric Clément

    • Merci, beaucoup.

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      ellis

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