A Hossegor
antoine19
A Hossegor
L’été s’endormait dans sa langueur d’août en brumes orageuses sur les fins d’après-midi. Le lac renvoyait parfois une fraicheur doucement corrompue par les essences subtiles de la végétation, l’océan ronflait au loin, l’été s’étirait. Hossegor vibrait de sa vie estivale, quelques promeneurs se hasardaient dans les allées, sous le couvert ombreux des arbres. On voyait passer par grappes des cyclistes de tous genres, certains vêtus de ces étonnantes combinaisons criardes, d’autres, plus rêveurs, sur des bicyclettes d’un autre âge partis à la recherche du calme.
C’était un cycliste de ce genre-là, un jeune homme vêtu d’un short de lin crème et d’une chemise plus sombre qui vint percuter la barrière du jardin et fit un vol-plané par-dessus la haie en arrachant quelques fleurs d’hortensia décolorées. Sa bicyclette s’était cabrée et elle était restée fichée dans les lattes de bois de la barrière. Le jeune homme avait atterri sur une allée de terre sèche. Il était allongé sur le dos, la jambe droite désaxée, le genou replié vers l’intérieur, le pied droit en dedans. Son visage portait plusieurs traces un peu brunes, il semblait dormir d’un sommeil paisible.
L’allée se situait sur le côté de la maison, dans une partie assez sauvage du jardin où l’on venait assez rarement. Le choc avait été violent et le bruit de la chute suffisamment fort pour qu’il soit perceptible à quelques mètres de là.
La jeune fille qui se trouvait sur la terrasse de bois devant la maison se leva de son siège. Elle tendit le cou et chercha à percer du regard l’ombre du bosquet de pins. Comme elle ne voyait rien, elle attrapa du bout des pieds ses sandales, les enfila et descendit de la terrasse. Elle portait une robe de plage légère en liberty, ses cheveux dorés étaient ramenés sur sa nuque en un chignon informe et maintenus ensemble par une pince en écaille brune. Elle avait l’air de sortir d’un tableau de Botticelli, sa peau était d’une blancheur subtile, ses yeux grands et bruns, sa bouche d’un rose tendre, elle ne devait pas avoir beaucoup plus de vingt ans. Comme elle ne voyait rien de particulier sous les arbres, elle fit encore quelques pas, tourna derrière une rangée de rosiers mauves et faillit changer d’idée. Quand elle allait revenir sur la terrasse, elle s’arrêta net, elle avait vu une chaussure de sport usée, au bout du pied se trouvait tout le reste du corps du jeune homme et à son front la plaie rendait un sang mêlé de lymphe.
La jeune fille resta figée un instant puis s’approcha. Elle s’accroupit près du jeune homme et toucha son bras pour voir s’il réagissait. Elle se redressa et appela d’une voix forte, surprenante tant elle tranchait avec son apparence, une voix un peu rocailleuse, elle avait une pointe d’accent, peut-être anglo-saxon.
« Livia ? Livia ? Tu m’entends ? Viens vite ! »
Comme rien ne se passait, que les secondes s’égrenaient et que le jeune homme ne reprenait pas ses esprits, elle courut jusqu’à la terrasse et entra en trombe dans la maison.
*
Livia avait passé un moment à observer les évolutions des rameurs sur le lac par la fenêtre de sa chambre. Elle s’était ensuite étendue sur son lit, simplement vêtue d’un paréo. Elle pensait à Marlon qui lui avait promis de venir la voir. Elle attrapa le livre de poche qui traînait entre deux oreillers, un exemplaire de Mrs. Dalloway de Virginia Woolf, et se replongea dans sa lecture quand elle entendit la voix d’Erika.
« Livia ? Livia ? Tu m’entends ? Viens vite ! »
Le timbre de la voix trahissait une tension. Livia se leva et passa la tête par la fenêtre juste à temps pour voir Erika s’engouffrer dans la maison. Elles s’étaient connues trois ans auparavant à Galway, elles avaient partagé un appartement pendant leur année d’études là-bas, puis Erika était repartie à Amsterdam et elle avait poursuivi ses études à Paris. Depuis, elles se retrouvaient chaque été pour un mois dans la maison d’Hossegor des grands-parents d’Erika, dans laquelle ils ne venaient qu’au printemps.
Livia interrogea du regard son amie.
― Viens voir, il y a eu un accident, il faut aider ce type !
Elle suivit docilement Erika dans le jardin en resserrant le nœud de son paréo autour de son cou. Elle avait les cheveux lâchés, ses boucles brunes venaient caresser ses épaules dorées par le soleil. Elle comprit vite en voyant le jeune homme évanoui et se pencha sur son visage.
― Il respire, c’est déjà ça ! Qu’est-ce qui s’est passé ?
― Il est tombé de son vélo, il faut appeler une ambulance… non ?
― Il a une vilaine blessure au front, c’est vrai… Viens, on va essayer de l’amener sur la terrasse, attrape son bras !
Le soutenant tant bien que mal par les épaules, elles parvinrent à le traîner jusqu’à la terrasse pour l’allonger sur un canapé de rotin. Le jeune homme n’avait toujours pas recouvré ses esprits mais sa respiration se faisait plus rapide, ce que Livia jugea encourageant.
― Dis donc, il est mignon ce mec, non ? constata-t-elle après avoir repris son souffle.
Erika éclata de rire.
― Pas mal… si on aime le genre balafré, pas mal oui…
Elle repartit d’un rire de soulagement.
― Je vais aller chercher de l’eau et quelque chose pour le nettoyer un peu.
Erika entra dans la maison. Livia, resta seule sur la terrasse avec le jeune homme, un sourire sur les lèvres. Il devait avoir une vingtaine d’années tout au plus. Elle jeta un regard vers l’intérieur de la maison, puis elle vint s’asseoir sur le canapé tout près de lui. Elle posa une main sur sa joue et elle la fit courir lentement sur son cou, elle défit quelques boutons de sa chemise pour caresser du bout des doigts son torse en osant même effleurer son téton, puis elle glissa sa main jusqu’au renflement de sa braguette et referma sa main sur son sexe qu’elle se mit à palper au travers de son short de toile. Elle ressentait quelque chose s’emparer de sa poitrine, elle éprouvait comme l’envie de mordre à pleine bouche dans cet accident du hasard.
En entendant Erika, Livia relâcha à regret son étreinte, le jeune homme toussa faiblement.
*
En courant vers la terrasse, Erika s’était sentie légère. Depuis quelques jours elle ressentait une certaine pesanteur, pas exactement de l’ennui, plutôt une sorte de manque. Elle adorait pourtant cette maison et les moments qu’elle passait avec Livia, les promenades à la lune montante, les poissons qu’elles dévoraient avidement. Il lui arrivait aussi de partir seule, très tôt le matin et de marcher longtemps sur le sable. Elle aimait le cri du vent dans ses cheveux, la solitude ne l’inquiétait pas.
Elle accompagnait Livia sur la plage en plein après-midi quand le sable était blanc de soleil, elle suivait des yeux la silhouette des baigneurs nus. Elle admirait la beauté solaire de Livia, elle aimait la voir se déshabiller entièrement et entrer sans faiblir dans l’eau. Elle la suivait de loin, mais maladroitement, la nudité l’embarrassait, ensuite elle ressentait le bien être, étendue dans le sable brûlant. De la même façon elle avait remarqué l’aisance de Livia à diriger le sauvetage du jeune homme. Elle songeait à cela en maintenant l’épaule du cycliste maladroit tout en reculant. Elle remarqua que Livia ne portait rien sous son paréo et elle s’en amusa. Livia la tira de ses pensées.
― Dis donc, il est mignon ce mec, non ?
Elle en eut le fou-rire, la situation n’était pourtant pas drôle. Livia avait toujours ce sens aigu de la dérision.
― Pas mal… si on aime le genre balafré, pas mal oui… Je vais aller chercher de l’eau et quelque chose pour le nettoyer un peu, s’entendit-elle affirmer.
Elle riait encore en repensant à l’allure du jeune homme, il était élancé, bien bronzé, ses cheveux châtains en bataille lui donnaient une beauté naturelle, sans affectation. Elle se prit à imaginer la couleur de ses yeux en cherchant le désinfectant et le coton. Elle passa ensuite par la cuisine et posa sur un plateau des verres, du chocolat, une bouteille d’eau et quelques sablés anglais. Elle songea à la soirée qui s’annonçait avec la sensation d’une attente. Elle s’ennuyait souvent dans la compagnie de Marlon et de ses copains surfeurs qui amusaient tant Livia, elle avait l’impression de les avoir toujours connus et de rejouer une scène usée qui la ramenait à son adolescence et à ce sentiment de manque étouffant de liberté. Ses parents étaient plutôt rigides et ce n’était qu’à partir de son année d’études à Galway que sa vie avait vraiment commencé, Livia l’avait aidée à s’épanouir.
En traversant le salon, elle ralentit le pas, elle voyait le profil de Livia se découper à travers la baie vitrée. Livia s’était assise sur le canapé près du jeune homme, Erika vit qu’elle avait posé sa main sur son visage. Elle resta dans l’embrasure de la porte, elle vit Livia promener sa main sur le torse du jeune homme, puis sur son sexe. Elle ressentit quelque chose naître sous sa langue et plonger dans son ventre, elle envia la spontanéité de Livia.
Après un temps elle franchit le seuil, Livia tourna son visage lumineux, le jeune homme eut un accès de toux.
*
Comme l’ennui l’accablait, Olympio avait décidé de partir sans prévenir personne, de toute façon, avant qu’on se rende compte de son absence, il pourrait s’être passé une semaine, il ruminait en pédalant et puis quelque chose se grippa. Le choc fut soudain et violent. Il se vit prendre de la hauteur et heurter un obstacle ferme de la tête. Il sentait toute la surface de son dos comme une langue douloureuse, il voyait défiler devant ses yeux des taches de lumière, des formes indéchiffrables comme des sortes d’insectes mutants. Il eut l’impression qu’on exerçait une pression sur son bras, mais il n’eut pas la force d’y répondre. Il ne se sentait pourtant pas mal, il avait l’impression que le temps s’était suspendu comme par un sortilège étrange.
Et puis il entendit des voix légères et caressantes, des éclats de voix d’abord, comme des chants inattendus et mystérieux surgis du profond d’une forêt, ensuite des échanges plus nourris comme ceux d’une mélodie familière. Ce qui était étonnant dans sa situation était la vivacité de son esprit et de ses pensées et l’inertie absolue de son corps, il souffrait de cette incapacité à reprendre le contrôle de ses mouvements, mais il n’éprouvait pas d’inquiétude, il se laissait bercer.
Peu après il se sentit encore autre, son corps remuait mais sans que sa volonté ne le lui ait dicté en aucune façon. Il entendait un bruit de raclement mêlé aux voix rieuses et fraîches. Et puis il éprouva un bien être nouveau, il retrouvait des sensations dans les mains et dans les bras, il avait quitté la surface dure qui l’irritait, il avait l’impression d’être bercé doucement par le mouvement de l’eau dans une barque. Il aurait voulu ouvrir les yeux mais il ne savait pas comment s’y prendre, comme si le bouton de commande de cette opération pourtant simple était hors de sa portée.
Sans qu’il comprenne pourquoi, il se vit sur son vélo, quittant la route pour gagner les allées près du lac. Il flottait littéralement entre la terre et la cime des arbres et pouvait choisir d’aller plus haut encore s’il le souhaitait et gambader sur la canopée au milieu des insectes affairés ou des passereaux rapides. Il voyait tout, il se voyait aussi, libre, élancé, sans fatigue, rapide quand il le fallait, plus lent s’il en éprouvait le désir, tout n’était qu’amusement et plaisir et tant pis si sa tête était un peu lourde.
Il sentit comme un frôlement d’aile sur sa joue, ou peut-être la chaleur du soleil, et cela irradiait en lui doucement comme une douche apaisante. Il sentit sa poitrine vibrer d’une musique nouvelle, mais pourtant tellement simple, il se laissait tanguer, il tournait au manège de ses impressions multiples. Son ventre se fendait comme soulevé d’une lave sereine qui savait que son heure était venue.
excusez moi de ne pouvoir tout lire mais j'ai lu la première page et la dernière votre écriture est sure, très sensation, bien rythmée, un plaisir verbal qui ne mérite que des compliments.
· Il y a plus de 11 ans ·elisabetha