A la Claire Fontaine

L'aéroport. Le ciel est bleu, et les avions volent. Dans la salle d'embarquement, cinquième rangée, septième siège, une fille aux cheveux châtains. Elle lit un livre, mais son esprit n'est pas entre les lignes de son roman, il divague, nage entre les nuages.

"A la claire fontaine, m'en allant promener, j'ai trouvé l'eau si belle que je m'y suis baignée..."

Elle marque sa page avec son vieux marque page jaunie - page 68, paragraphe deuxième, "Harry se penchât vers Sandra, et prononçât les mots tant redoutés..." - et remis son livre dans son vieux sac en cuir, celui qui l'accompagne toujours en voyage. Ce sac, sa mère l'avait déniché dans un vieux magasin de friperies, un de ces magasins qu'on trouve dans les vieilles ruelles pavées de Paris.

"Sous les feuilles d'un chêne, je me suis fait sécher ; sur la plus haute branche, un rossignol chantait..."

Elle ouvrit la poche arrière du sac, et sortit la lettre, cette lettre qu'elle n'avait cesse de relire depuis qu'elle était partie de l'auberge. L'enveloppe avait été tachée par une tasse de café, et portait son nom - l'encre d'ailleurs avait un peu bavé sur la dernière lettre. Elle l'ouvrit, pour l'énième fois depuis le début de la matinée, et sortit la lettre.

"Chante Rossignol, chante toi qui as le cœur gaie ! Tu as le cœur à rire, moi je l'ai à pleurer..."

Cette lettre, c'était bien plus que des mots d'encre bleue sur du papier blanc, c'était une déclaration d'amour passionnel, une profession d'adoration éternelle. "Emily dearest, love of my life, key to my soul" - Emily chérie, amour de ma vie, clé de mon âme. Elle avait relu cette phrase, encore, encore, et encore, mais son cœur revenait toujours se loger dans la gorge quand elle le faisait. Elle parcourait les lignes, relisait ces mêmes mots qui n'avaient de cesse d'ouvrir la plaie qui avait fendue son cœur. "I have never loved any one as much as I loved you. In fact, even the most beautiful and powerful love that has graced the Earth could not compare to the intensity of my love for you !". Il fallait pourtant se dire que tout n'était mensonge, trahison.

"J'ai perdu mon amie, sans l'avoir mérité, pour un bouquet de roses que je lui refusai..."

Les amantes étaient devenues ennemis, et il fallait à présent oublier, laisser tout derrière soi. Oublier les soirées au lac, et les nuits sous les draps chauds, les peaux nues qui se touchaient, les odeurs et les effluves de parfums qui baignaient la chambre de l'auberge. Il fallait oublier cette dernière phrase. "I'm yours forever, I belong to you, body and soul, and I shall wait in eternity for your forgiveness - Sarah". 

"J'aimerais que la rose fut encore au rosier, et que ma douce amie fût encore à m'aimer..."

*Le vol en partance de... *

C'était son avion, il fallait partir. Elle se leva, et prit son sac. Repoussant une mèche de cheveux derrière son oreille, elle fit claquer ses baskets sur le sol, et sortit son passeport et son billet. C'est alors qu'elle s'aperçut, au dos de la lettre, la phrase en français - sa langue maternelle - tiré de cette chanson qu'elle lui avait apprise, le premier soir qu'elles avaient fait l'amour ensemble :

"Il y a longtemps que je t'aime, jamais je ne t'oublierai."