A la page

petisaintleu

En guise de prologue, je vous conterai que je plongeai dans la lecture avec Les Six Compagnonnes.  J'avais de la compassion pour La Tondue. Sous ses aires d'occuper le terrain, elle masquait sa chimio, chapeautée par un éternel béret vert. Quant à Bistèque, je ne comprenais pas pourquoi i(e)l(le) revendiquait d'aimer tout autant les escalopes panées que la boule lyonnaise ou les quenelles. Ce n'est que plus tard, quand on m'offrit un Larousse (pourquoi pas un Leroux d'ailleurs, ce trésor de bienfaits ; c'était trop fort de chicorée ?) pour mes dix ans, que je compris ce que signifiait le terme d'homophone. Je saisis pourquoi il aimait piquer sans aucune honte des phares chez Norauto pour se maquiller comme un camion.

Longtemps, je me suis levé de bonheur. Après avoir trempé mon biscuit dans Madeleine, je la chambrais pour qu'elle restât au pieux avant de me jeter à corps perdu dans mille pages. Ces mignonnes titillaient mes terminaisons nerveuses quand elles me narraient des histoires à dormir debout mettant à mâle ma virilité. Ce que je préférais, c'était de lire entre les lignes. Je louchais pour me mettre à la marge. À cette époque, vous n'étiez pas à la page quand vous lisiez des histoires de tentes. Dans les années 80, nous étions trop urbains pour nous intéresser à des récits d'échevelés qui se la frisaient en grimpant des flancs, en labourant des côtes ou en s'adossant à des pitons qui les faisaient monter au septième ciel.

Bien que rien ne pressât, je me remettais sans cesse à l'ouvrage. Sur ma table de nuit s'empilaient des tomes de Savoie ou de Suisse grignotés par des souris sorties d'un roman de Steinbeck. J'étais aussi à l'aise avec Blaise Cendrars qu'avec Ramuz. Le dos calé contre un édredon, je me réchauffais avec des couvertures illustrées d'enluminures qui éclairaient mes nuits blanches, des histoires à l'eau de rose qui embaumaient mon alcôve aux romans noirs les plus sombres. Elles étaient toutes reliées par un même dessein : celui de me croquer mentalement des mondes parallèles qui me permettaient de me construire des chapitres imaginaires. J'attendais une marque du destin, qu'un signet opportun vînt me faire une révélation.

Elle arriva. Je fus pris d'un chiasme littéraire. Je m'enfermais dans mon cabinet où je maculais des feuillets en écoutant fort opportunément ABBA. Je bataillais pour qu'une figure de style style mes écrits tôt ou tard. Je m'accrochais à mes lunettes pour ne pas tomber au fond du trou, pour que le trou ne me fasse pas la peau à rabâcher des médiocrités moutonnières. Je mettais en selle des histoires avec une fausse aisance. Je devenais un continent perdu au milieu des mots. Ce n'est pas si facile d'écrire avec commodité. Enfin, un jour, je sortis du petit coin où trônait mon bureau avec la conviction que j'avais torché un journal qui ne finirait pas aux toilettes. Moi qui craignais d'être mis à l'index avec mes torche-culs de scribouillard, j'avais désormais la certitude d'avoir écrit une œuvre majeure.

Quand je me rendis chez l'éditeur, j'étais dans mes petits souliers, preuve que j'étais loin d'en avoir rien à cirer. Je ne m'étais pas encore lassé de ces faux-semblants où la pompe a son importance pour briller. Je craignais d'être face à un godillot aux ordres du directeur de collection. Les cordonniers étant souvent les plus mal chaussés, il avoua ne pas avoir été très à l'aise dans ses baskets à la lecture de mon tapuscrit. Mais, il avait pris son pied avec mes Vans que je lui avais offertes pour jouer au lèche-botte. J'étais verni d'être tombé sur un fétichiste qui aimait que je le chausse. Il était donc prêt à porter mon ouvrage en librairie.

Le jour d'être confronté à mon public arriva. Des dix cassos qui se présentèrent pour que je leur signe mon ouvrage, un seul retint mon attention. Il portait un sweat humoristique de chez T-shirt store sur lequel était inscrit ππKK. Autant dire que j'ai tout de suite calculé ce potache d'Alsace (nous étions à Colmar) et qu'une alchimie se créa entre nous. Moi qui suis d'un naturel hermétique, je me suis ouvert à Pierre le philosophe. Nous courons désormais par monts et par veaux, nous introduisant dans les stabulations pour jouer à saute-mouton. Qu'importent les brebis galloises qui nous visent de leurs chevrotines à Galway ? Nous nous sommes émancipés des canons et plus rien ne pourra désormais nous plomber.

  • L'un dans l'autre l'ancre n'en finit pas de couler à la dérive !

    · Il y a plus d'un an ·
    Chainon manquant

    dechainons-nous

  • Je salue bien bas, l'excellence de tes jeux de mots ! Monsieur est au sommet de son art , bravo

    · Il y a plus d'un an ·
    W

    marielesmots

    • Il faut croire que non, puisque tu me me l'écris à chaque texte. ;-)

      · Il y a plus d'un an ·
      Cpetitphoto

      petisaintleu

    • Marie arrête tout ou c'est moi qui vais t'arrêter.....laisses Christophe en pais ou c'est mi qui vais t'allumer, sale crevarde....

      · Il y a plus d'un an ·
      Facebook

      flodeau

    • Je vais rendre visible les auteurs que tu caches....

      · Il y a plus d'un an ·
      Facebook

      flodeau

Signaler ce texte