A la recherche du bonheur (12)

chloe-n

Nous avons attendu que la petite dernière sache marcher pour aller à Lourdes. J'ai toujours entendu parler de cette ville et comme tous catholiques, nous y sommes allés un quinze août. Il y a beaucoup de monde et beaucoup d'invalides. Je me dis que le Bon Dieu va peut-être entendre mes prières et faire quelque chose pour mon fils. Peut-être qu'en allant là-bas, après le bain à l'eau bénite, qui sait, un miracle peut se produire… Mais quand je vois tous ces malades avec juste leur foi et leurs souffrances… Quelle leçon de vie ! Je vois toutes sortes de nationalités, des jeunes, des vieux, des bien portants, mais peut-être avec des problèmes qu'on ne voit pas, des invalides dans des fauteuils roulants, d'autres allongés sur des brancards accompagnés de bonnes sœurs. Tous ces gens sont venus de très loin, parfois même de pays dont je n'ai jamais entendu parler, venus chercher un peu de réconfort. Tous ces gens sont venus pour prier et repartir chez eux avec un peu d'espoir et d'eau bénite.


Mais cette année, c'est la première fois qu'on part en vacances. Tous ensemble. Mon fils aîné est déjà parti seul, enfin avec son groupe d'enfants de chœur, au Vatican. Mais cette année, on part tous ensemble. Finis les vacances à dormir jusqu'à midi, à jouer dehors et à regarder la télévision. On part à la Turballe. L'école de mon fils nous a dit qu'il y a un centre pour handicapés pas très loin de là, à la mer. Il y a toutes sortes d'activités pour eux et leurs familles, en plus des soins. Ça tombe bien, car une de mes patronnes a justement une maison là-bas, en bord de mer. C'est très sommaire mais c'est très bien. Nous y sommes uniquement pour manger et dormir. Les trois chambres sont toutes équipées de lits de camp. Le salon fait office de salle à manger, qui au grand désarroi des aînés, n'a pas de télévision, et qui donne directement à une toute petite cuisine ouverte. La salle de bains est  équipée du strict nécessaire et des toilettes turques. Si vous aviez vu la tête des enfants. Tout est en bois, ça ressemble à une cabane de pêcheurs. Ça va faire du bien à mes aînés qui ont déjà très vite oublié d'où ils venaient. Eh oui, comme tous les enfants, tout leur est dû. Et puis, il y a cette barrière du respect qu'est le vouvoiement qui n'existe plus chez les enfants (ou que dans les grandes familles bourgeoises), et depuis que la petite dernière va à l'école et qu'elle nous tutoie, les grands ont fait pareils. C'est vrai qu'ils ont envie de faire comme leurs camarades, mais je ne peux pas leur offrir tout ce qu'ils veulent, pas avec mon petit salaire qui varie entre 500 et 700 francs selon les mois. Et ce n'est pas à leur père qu'ils demandent. Je commence à avoir du mal à me faire obéir par les deux grands.

L'attitude de mon mari est assez typique de notre culture “à l'ancienne”. Cela pourrait en déconcerter plus d'un, surtout maintenant que les femmes travaillent, portent des cheveux courts, des jupes au-dessus du genou. Chez nous, l'homme se marie et fait des enfants pour faire perdurer le nom de la famille. C'est la femme qui doit s'occuper des enfants, qu'elle travaille ou pas, et de la maison. L'argent qu'elle gagne, c'est son mari qui le gère. L‘épouse doit obéir à son mari, elle n'a pas son mot à dire. Évidemment, elle doit avoir une attitude irréprochable et ne parler à aucun homme, sinon c'est les commérages et le risque de traîner son nom et celui de sa famille tout entière dans la boue, ce qui vous relègue au rang d'infréquentables.

Mais depuis que la petite dernière est arrivée, mon mari a un peu changé. Il s'occupe un peu d'elle. Oh, il a dû changer une ou deux fois ses couches quand j'étais occupée ou pas là, pour ainsi dire en cas de forces majeures. Mais quand il sort acheter ses cigarettes ou marquer son tiercé, il l'emmène avec lui. Parfois, ils vont marcher tous les deux. Peut-être est-ce sa technique pour la fatiguer, car elle est très vive et elle s'ennuie rapidement ! C'est vrai que l'entendre foncer dans les murs avec son tricycle, ça peut devenir très vite épuisant. Par contre, le dimanche après-midi, mon mari va souvent rendre visite à son frère aîné avec qui il a renoué, mais là, il s'y rend seul.


Donc ces vacances à la mer, ça va nous faire du bien. Le centre de rééducation où mon fils est hébergé est à Pen-Bron, pas très loin d'où nous sommes. Nous passons toutes nos journées ensemble quand il n'a pas ses séances de rééducation.

C'est la première fois que nous voyons la mer ici. C'est très différent de ce que nous avions l'habitude de voir. La couleur de l'eau, la température, et même le sable mais l'odeur est la même, et ça fait du bien.

Le matin, nous nous occupons d'aller chercher le déjeuner. Nous partons de bonne heure ramasser des moules, des coques ou des crabes. Parfois, nous allons chercher du poisson frais à l'arrivée des bateaux de pêche. Ensuite, une fois ses soins effectués, nous allons chercher notre fils et nous passons la journée à nous balader sur le port ou à visiter le coin, voir ces énormes pierres comme posées au milieu de nulle part en pleine nature.


L'état de santé de mon fils se dégrade lentement. Il devient de plus en plus faible et passe plus de temps à la maison. La petite s'occupe beaucoup de lui malgré son jeune âge. Elle ne se pose pas de questions. Pour elle, c'est normal. Elle a pour ainsi dire grandi dans cet univers. Elle aime, contrairement à ses aînés, aller à l'école de Garches. La très grande différence d'âge avec ses aînés fait que maintenant ils l'a rejettent, ils ne veulent plus jouer avec elle, ils préfèrent être avec leurs camarades. Du coup, ces deux-là passent beaucoup de temps ensemble. Quand mon fils est dans son fauteuil à faire des maquettes de bateaux ou à dessiner (il est très doué), ma fille s'assoit sur son lit et le regarde en souriant. Quand je les vois tous les deux comme ça, aussi complices, ça me touche. J'aurais aimé que les deux aînés soient moins personnels.

Comme, il a de plus en plus besoin d'être allongé, ils se tiennent compagnie mutuellement. Parfois, elle s'allonge à côté de lui et ils discutent. Parfois, ils restent côté à côte en silence. Mais ce qui le fait rire, c'est quand elle allume le petit poste de radio, et se met à imiter Dalida ou lorsqu'elle se prend pour une Clodette.

Pour accompagner ces drôles de compères, il y a un nouveau venu dans la famille qui a fait son apparition. Non, non, je ne suis pas tombée enceinte. Ca, c'est fini. C'est un petit labrador noir qui ne les quitte pas. Il me rappelle le bâtard marron qu'avait mon père. Je lui ai d'ailleurs donné le même nom. Ce sont des amis au Perray qui nous l'ont offert. Leur chienne Choupette a donné naissance à plusieurs petits, et le petit noir qui dormait tout le temps dans un coin du carton qui lui servait de niche, a beaucoup plu aux enfants. On s'est dit qu'un chien qui dort tout le temps, ça ne fait pas de bêtises... On dit que les chiens ont un côté thérapeutique pour les enfants malades. En tout cas, mon fils a retrouvé le sourire. Et quand ma fille est à l'école, mon fils n'est pas seul. Une fois que son nouveau compagnon a mangé et fait son petit tour, il le rejoint automatiquement et ne le quitte plus. Il s'installe en boule à côté de lui et place sa tête sur le ventre de mon fils, de manière à ce qu'il puisse le caresser. C'est “marrant”comment les animaux comprennent bien les choses. Autant quand cette boule de poils est avec ma fille, ils font toutes sortes de bêtises mais quand il est avec mon fils, il est très doux, il ne jappe pas, il fait tout très délicatement, ce qui ne l'empêche pas de faire parfois le pitre pour faire rire mon fils. Et même quand mon garçon dort, il ne peut s'empêcher d'aller le voir pour vérifier que tout va bien. Ce chien c'est une bénédiction. C'est (presque) comme un cinquième enfant. (©)


  • Douce Chloé si forte dans l'affrontement de toutes ces épreuves ! Et puis je crois sentir que tu as besoin de ne rien omettre qui transforme les faits

    · Il y a environ 9 ans ·
    Loin couleur

    julia-rolin

    • tu sens bien...

      · Il y a environ 9 ans ·
      Au rayon des livres

      chloe-n

  • Tout est empreint d'humilité ! Quelle force, Chloé-n !

    · Il y a environ 9 ans ·
    479860267

    erge

  • Tu arrives à déposer un voile de douceur et de tendresse sur une tragédie horriblement douloureuse...chapeau madame chloe-n.

    · Il y a environ 9 ans ·
    Ananas

    carouille

    • Ben pour tout te dire, je ne m'en rends pas compte. Merci de me le dire, ça fait plaisir.

      · Il y a environ 9 ans ·
      Au rayon des livres

      chloe-n

    • ;) de rien ;)

      · Il y a environ 9 ans ·
      Ananas

      carouille

  • et toujours cette belle sensibilité qui se dégage de tes lignes.....

    · Il y a environ 9 ans ·
    Ade wlw  7x7

    ade

    • merci beaucoup ade

      · Il y a environ 9 ans ·
      Au rayon des livres

      chloe-n

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