A la recherche du bonheur (6)

chloe-n

Les mois ont passé.

J'ai peu à peu découvert ma nouvelle vie. Mon Dieu, ces boutiques où l'on y vend de la nourriture, qu'est-ce que c'est grand et puis tout ce choix… C'en est presque indécent.

On goûte de nouveaux produits qu'on ne connaissait pas mais on ne fait pas de folie, les vieilles habitudes sont toujours là, on achète l'essentiel. On s'est toujours contenté de ce que l'on avait alors… Et puis, la famille restée au pays nous envoie des “parcels” avec des produits locaux qu'on ne trouve pas ici. J'ai quand même goûté pour la première fois de ma vie à un truc que les Français adorent, c'est le fromage. Le camembert, c'est sacré ici. Aïe aïe, qu'est-ce-que ça pue et en plus c'est fort. Je me demande comment ils peuvent manger ça tous les jours. En même temps, chez nous aussi on mange des trucs qui sentent fort.

Les enfants vont à l'école. Je suis surprise qu'ici, les enfants n'ont pas besoin d'uniforme pour aller étudier. Ils se sont, plus ou mois bien intégrés malgré le retard qu'ils ont par rapport à leurs camarades. Les programmes et le niveau n'étant pas le même, ils ont dû redoubler la classe qu'ils avaient intégrée en arrivant. Sur notre île qui a longtemps fait partie du Commonwealth, les enfants apprenaient aussi bien le français que l'anglais.

Ce qui m'a étonné, c'est la façon dont les enfants sont élevés. Ici, ils tutoient leurs parents, ils prennent la parole avec les adultes. Chez nous, un enfant qui se comporterait comme ça, il aurait tout de suite droit à une claque sur la bouche, c'est mal élevé. Et puis ici, les parents lisent des histoires le soir, font des câlins,  jouent avec leurs enfants. Nous, on nous a appris que ça rendait les enfants gâtés. J'aurais quand même aimé avoir ce genre de relation avec mes enfants, mais ils sont trop grands maintenant et puis, mon mari n'accepterait pas ce genre de comportement. Il a toujours la mentalité de “là-bas”. Pour lui, c'est très clair, on retournera vivre et finir nos vieux jours sur notre île.

Moi, j'ai trouvé un travail grâce à l'association qui dépend de notre église. Je fais des ménages pour une grande famille dans une maison tout en pierre, à plusieurs étages. Mes patrons sont tous les deux professeurs dans une école privée. Ils sont gentils avec moi. Parfois, la dame me donne des bonbons pour les enfants et aussi des vêtements qu'ils ne mettent plus. Je ne comprends pas pourquoi ils veulent jeter de linge en aussi bon état. La dame m'a dit que je pouvais emmener mes enfants jouer avec les siens le mercredi après-midi, mais je ne peux pas travailler et surveiller mes enfants en même temps. Et puis, s'ils cassent quelque chose… Non, je ne préfère pas, je ne veux pas de problèmes. L'inconvénient, c'est que je ne travaille que quelques heures par semaine alors j'ai dû me trouver un autre travail pour compléter ma paye. Je cours tout le temps. Il faut que la maison soit propre, faire à manger, laver les enfants, le linge, surveiller qu'ils fassent leurs devoirs, et le tout avant que mon mari ne rentre du travail. Il est fatigué quand il revient de ses chantiers, alors il aime se reposer avant qu'on passe à table.

Moi, j'aime le dimanche, c'est le seul jour où je ne travaille pas. On va à la messe, puis on va au bazar acheter du poisson frais, enfin presque, il ne vient pas de sortir de la mer comme chez nous. Et puis on passe souvent l'après-midi à regarder la télévision. J'aime bien les émissions de variétés : Cloclo, Dalida, Mike Brant, Joe Dassin,... ah et puis aussi les chanteurs américains, Sinatra, Elvis. Et le petit noir qui chante avec ses frères, comment il s'appelle déjà, ah oui, Jackson, lui, il danse bien, c'est mon préféré. Vous verrez ce que je vous dis là, lui, il sera un grand chanteur. Vous verrez. Il me rappelle mon petit garçon.

Une fois par mois, je dois envoyer de l'argent à ma belle-sœur qui le garde mais à chaque fois, elle me demande plus. Dans chaque lettre, elle nous répète que la vie est chère là-bas, qu'elle ne peut pas travailler à cause de mon fils (elle qui n'a jamais travaillé de sa vie !), qu'elle ne peut pas sortir à cause du fauteuil roulant, que ceci, que cela. Moi, je sais très bien où va l'argent. La famille se jette sur les mandats que j'envoie pour acheter de la viande et du rhum. Surtout du rhum. J'envoie aussi des vêtements, des jouets et des chocolats pour mon fils. J'espère au moins qu'elle lui donne. Avec eux, on ne sait jamais.

À chaque fois que je parle à mon mari qu'il est temps qu'on se renseigne pour déménager, il me répond qu'il faut attendre encore un peu, qu'il faut mettre plus d'argent de côté, qu'il faut aussi qu'on achète une voiture. Moi, je ne veux pas dépenser de l'argent pour une voiture, j'économise pour faire venir mon fils. Alors il me répond que justement, la famille va s'agrandir. (©)


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