A la recherche du bonheur (8)

chloe-n

Ca me fait tout drôle de revoir mon île. Ce petit bout de terre qui m'a vu naître, grandir, devenir une femme et enfin une mère.

Ca me rend nostalgique, j'ai une pensée pour mon père qui a fini par rejoindre mon frère. Mais le brouhaha de ce petit aéroport me ramène à la réalité. Ce patois, ce créole, tous ces visages qui se ressemblent. Je me rends compte qu'ici, en présentant mon passeport à la douane, que tout le monde va être au courant que je suis de retour, seule, bien avant le coucher du soleil. Ca va causer ce soir (et les jours suivants) dans les cases.

Je n'ai prévenu personne sauf une de mes cousines, et même pas ma belle-sœur. Je veux faire la surprise à mon fils mais aussi voir comment ma belle-sœur le traite. Je récupère mon unique bagage et aperçoit ma cousine venue me chercher avec son mari.

C'est chez eux que nous allons être hébergé pendant cette semaine. N'ayant pas mon mari, je vais pouvoir profiter de ma famille. Famille que j'ai très peu vue depuis mon mariage. Je ne comprendrais jamais toutes ces jalousies, ces histoires de peaux trop claires, trop noires, de cheveux trop frisés et je ne sais quoi d'autres. Ne sommes-nous pas tous les enfants du bon Dieu, quelle que soit notre couleur, nos origines ?

Lorsque j'arrive devant la maison de ma belle-sœur, j'entends des bruits de gens qui parlent fort. Un peu tôt que pour les hommes soient déjà soûls. Il n'est que cinq heures de l'après-midi. Quoi que…

Quand ma belle-soeur ouvre enfin la porte et me voit devant elle, j'ai l'impression qu'elle voit un fantôme. Ses yeux sont grands ouverts ainsi que sa bouche. Elle ne sait pas quoi dire. Quelle surprise ! Et celui-ci est plutôt grande.

Elle bafouille, ne sait pas trop quoi dire. Je passe la tête pour voir à l'intérieur, pour apercevoir mon garçon. Les bruits que j'entendais sur le pas de la porte proviennent d'un beau poste de télévision. Voilà donc à quoi sert l'argent que je lui envoie.

Ma belle-sœur arrive à reprendre ses esprits, me dit que si je l'avais prévenue, elle se serait habillée et coiffée pour l'occasion, aurait rangé la maison, aurait fait à manger. Je lui dis que je ne viens pas pour manger mais pour mon enfant. Il fait la sieste me dit-elle. Cinq heures de l'après-midi !

Je pousse la porte, et j'entre sans y avoir été invité, suivie par ma cousine. Je l'appelle, ouvre toutes les portes et je le découvre… seul dans une chambre plongée dans la pénombre, avec juste un filet de soleil qui passe entre deux rideaux, assis dans son fauteuil roulant face à une armoire. J'ouvre les rideaux et découvre mon fils très amaigri. Les roues de son fauteuil sont bloquées, impossible pour lui de bouger. Je me précipite vers lui et le prends dans les bras. Je le couvre de baisers, baigné de mes larmes de joies mais aussi de colère.

Comment ? Comment peut-elle traiter un enfant de la sorte, mon enfant ? Comment peut-elle le laisser croupir dans son urine ? Avant de pouvoir  dire quoi que ce soit, cette femme à qui j'ai confié mon bébé, la chair de ma chair me lance qu'elle l'a puni, qu'il a été méchant. Mon fils n'ose pas parler, il a peur de sa propre tante. Je le rassure, je lui dis que je viens le chercher, que plus jamais je ne le laisserai à qui que ce soit et encore moins à cette femme. Il me regarde surpris, la peur se lit dans ses yeux, il me répond qu'elle lui a dit que jamais personne ne viendrait le chercher, que tout le monde se fichait de lui, qu'elle était la seule à bien vouloir s'occuper de lui. Je me retourne et regarde cette femme sans cœur. J'ai envie de la gifler, de lui cracher à la figure. Mais je n'en fais rien. Je l'ignore et tente de me concentrer sur mon enfant malgré la rage qui ne cesse de croître.

Je regarde autour de moi. La pièce ressemble plus à un débarras qu'à une chambre. Je lui demande où sont ces jouets, ceux que je lui ai envoyés. Il ne sait pas, il ne les a jamais vus. Et les bonbons, les chocolats ? Il lève les yeux pour me monter le dessus de l'armoire. Je me lève et passe la main. Une tablette de chocolat s'y trouve. C'était pour le punir me répond la sœur de mon mari, mon fils me dit que s'il voulait la tablette, il fallait qu'il aille la chercher lui-même. C'en est trop. J'ouvre les placards, récupère le peu d'affaire que possède mon fils. En tirant les rideaux, je vois les vêtements envoyés sur le dos de ses petits cousins qui jouent avec les jouets destinés à mon fils.

Je vois également qu'un petit attroupement s'est formé. La belle-famille s'est peu à peu approchée de la maison, à l'affût du moindre commérage à répandre. Ah je les entends déjà : “Maintenant qu'elle vit en France, elle a oublié d'où elle vient ; Elle a laissé son enfant et maintenant, elle vient nous dire comment l'élever ; On lui a offert un beau mariage et voilà comment elle nous traite, elle nous laisse dans la misère,…” Mais je m'en fous de ces commères. En partant, je dis à ma belle-sœur qu'elle ne doit pas compter sur son frère pour lui envoyer de l'argent, celui qu'elle recevait venait uniquement de moi. Elle me demande les larmes aux yeux comment elle va faire maintenant, sans cet argent qui leur permettait d'améliorer leur pitance. Je la regarde, lui tourne le dos et nous quittons la prison où mon fils a vécu pendant près d'un an, sans nous retourner, sans un mot. (©)


  • c'est vrai aussi qu'à La Réunion il y a des gens à l'esprit étriqué, mais d'autres sont tout simplement ouverts et un grand coeur et j'en connais...

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Image pixelmator 465

    mylou32

  • c'est poignant à lire merci

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Image pixelmator 465

    mylou32

    • Contente de vous revoir. Merci pour la lecture et le coup de coeur.

      · Il y a plus de 9 ans ·
      Au rayon des livres

      chloe-n

  • Merci Chloé, ça valait vraiment le coup d'attendre ! Je reste aux aguets ;)

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Ananas

    carouille

  • Une suite intense et bouleversante, écrite avec une grande sensibilité ! au plaisir de te lire encore

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Ade wlw  7x7

    ade

    • Oh merci ade. Tes commentaires qui me font toujours autant plaisir.

      · Il y a plus de 9 ans ·
      Au rayon des livres

      chloe-n

Signaler ce texte