A l'aube de ma vie

Tout se bouscule dans ma tête. Je ne distingue rien, je ne comprends plus rien. J'erre la nuit en direction du pont Neuf. Les astres me guident jusqu'à l'échafaud. Je crois entendre des cris derrière moi, des personnes qui m'interpellent, me suppliant d'arrêter cette folie. Je ne peux pas, il faut en finir. Je dois en finir. Je me tiens droite, accoudée au rebord du pont, face à la pyramide du Louvre. Je me remémore encore ce jour où je l'ai rencontré, ici. C'est fou comment quelque mois peuvent suffire à alimenter une telle passion. Un instant, je revois cette première entrevue en coup de vent. Moi qui cours après l'autocar, toi peignant le pont des Arts, quelques regards échangés, et une telle intensité. En me délaissant ce matin, tu as scellé mon destin. Je me sens lasse en ce premier jour du mois d'octobre. Je suis une feuille morte égarée sur le pont de Neuf, réduite en mille morceaux sous les pas des passants. L'aube se lève, le ciel s'éclaircit et balaye d'un souffle les ombres. Tout en observant d'un œil amusé les dégradés de couleurs du crépuscule, je pose un pied sur le rebord du pont, puis deux. Mon souffle se coupe, mes battements de cœur s'accélèrent. Je tremble de tout mon être. Il n'y a plus qu'un pas à suivre … Non ! Qu'est-ce qui me prend ? Tout à coup, je me fige comme une statue de pierre. L'orgueil m'empêche de basculer dans l'oubli. Peut-être que la bonne étoile qui veille sur moi s'est prise de pitié pour la pauvre âme que je suis. Mais cette fois-ci, elle n'est plus aussi étincelante. Son éclat se ternit, sa lumière n'est plus aussi chaleureuse. Elle verse ses dernières larmes de poussières. En fermant les yeux, je sens l'éclat du soleil effleurer une dernière fois ma peau. Je me sens planer dans un tourbillon de quiétude. La feuille tombe dans un profond sommeil. Son coma est interrompu par les flammes qui jaillissent et dansent autour d'elle. Elles lui ouvrent les portes du salut.

Ah, si j'avais su que Lucifer était aussi laid …