A l’encre du bar / 2

Stéphan Mary

Ipagination : Concours gratuit avec notre partenaire Lasile au Bout du Zinc via @Ipagination .U4eCLSTkGYU.twitter … 3 thèmes. J'ai choisi : 1. Métamorphoses. Fin le 31 mai si ça vous dit...
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C'est attablé à l'encre du bar qu'il songe à cette année qu'il a tant aimée, qui l'a métamorphosé. Il ne focalise pas sur ce monde égoïste empreint du rougeoiement abrasif des extrémismes non, il pense à Elle. Elle, 2013, cette année-là et pas une autre qu'il a désirée par-dessus tout. Il ne regarde ni n'entend rien d'autre que cette flamme allumée en lui. Pendant un an il a plongé en elle pour ressentir la puissante alternative que la nature offre entre la vie et la mort. Près d'elle, quasiment aux portes de l'Olympe, il a enfin découvert la philosophie dans l'acte d'aimer. Il se souvient de cette journée où à moitié grisé, il a marché dans la rue en titubant, haranguant le passant d'un son formidable ! Instantanément tout était devenu lumineux, extatique. Il ne peut pas s'empêcher de sourire. Une femme s'assied auprès de lui au comptoir, subjuguée. « How are you ? » lui demande-t-elle. Il la regarde, fond dans ses yeux et murmure d'une voix presque adolescente « Perfect day ! » puis il revient à lui, en lui. Il a par la beauté de son regard posé sur le monde, atteint un niveau quasi surhumain qui a défié la faucheuse. A son contact il a saisi la pureté de l'instant, dépoussiéré de son passé et point encore dans le futur, simplement vivre dans le présent. Heureux, il se sent la force d'écrire à la vie de la main gauche pour lui dire « J'T'aime tellement ». 2013 lui a offert la dimension inaltérable du sentiment d'être vivant. Il ressent encore de façon épidermique les émotions très fortes tant il a eu peur de se perdre, condamné à mourir avant la fin de cette année.

 

Très intériorisé, en dehors de la réalité ambiante, loin d'une femme assise auprès de lui à l'encre du bar, il écoute inlassablement la progression harmonique de la vie victorieuse sur la mort. Tel un hymne à la joie, celui de Beethoven peut-être, la faucheuse a fini par passer son chemin. Il entend à nouveau la musique mélodieuse des sirènes mythologiques accompagnant le voyageur perdu dans les limbes obscurs de l'oubli. Elles lui ont naturellement signifié qu'il y a une jonction quasi empathique entre l'amour absolu et la vie. Encouragé par leurs chants harmonieux, il a pensé différemment. Lentement il s'est élevé dans l'éther si subtil de la tranquille certitude que pour une seconde d'amour, la vie a un sens que seul l'amant philosophe peut appréhender. Elles l'ont convaincu que la sève des verbes aimer vivre le nourrissait et l'aidait à s'exhausser jusqu'à toucher du bout des doigts le royaume des divinités.

 

A l'encre du bar il commande un autre alcool qui va l'isoler un peu plus de cet univers si décalé que d'aucuns nomment la modernité. Il boit son verre en une fois et repart serein à la rencontre d'Hypérion. Il ressent un besoin viscéral de lui dire « J'ai mis des mots » puis après un silence, le temps d'une respiration, reprendre sa phrase « J'ai mis des mots sur ma douleur ». Il se sourit. Métamorphosé il a gagné. Il est vivant.

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