A prendre ou à laisser
Stéphan Mary
Concours welovewords poche 12-21 / L'apocalypse
A prendre ou à laisser
A Patricia
Elle se dit Tiens c’est le 1er décembre. Dans vingt jours mon anniversaire. Elle reprend le calendrier Maya et se plonge à nouveau dans l’apocalypse prévue le 21 décembre. Elle lit beaucoup, beaucoup trop pour beaucoup de monde, beaucoup trop peu à son goût. C’est ce qu’elle pense. Elle pense beaucoup, beaucoup trop peu pense t-elle. Elle voudrait que quelqu’un d’autre pense à sa place, parle à sa place, vive à sa place. Meurt aussi à sa place. Elle aimerait bien mourir mais elle n’en a pas la force. Elle n’a plus de forces. Forcément avec la vie qu’elle a eu. Elle n’aime pas sa vie. Ni son mari. Elle n’aime plus ses enfants, trop conformistes. Elle leur a pourtant appris à penser mais ils ne pensent pas beaucoup. Ou mal. Alors elle ne les aime plus. Plus assez. Plus comme avant. Avant elle pensait, mal, qu’il suffisait de fermer les yeux et de rêver à une vie meilleure. Mais c’était avant, avant qu’il ne commence à la tromper. Elle n’a pas pu fermer les yeux, penser à autre chose. C’est devenu lancinant, comme la pointe diamantée d’une larme très aiguisée. Et elle en a versé des larmes. Il l’a d’abord quittée. Puis il est revenu et a repris ses quartiers. Elle n’a pas eu la force de s’opposer. Alors il ne s’est pas gêné. Elle a encaissé. Jusqu’à ne plus l’aimer. Il a même eu le culot de présenter sa maîtresse à sa famille. Elle l’a appris. Elle n’a plus encaissé. Elle a fini par trouver une photo d’identité de lui et elle au fond d’une poche. Elle a craqué. Elle lui a violemment reproché. Il l’a insultée, maltraitée. Il est parti. Elle ne s’est pas consolée. Même son travail ne l’a pas sauvée. Elle a déprimé. Elle s’est effondrée. Elle est remontée de sa descente aux enfers mais ne s’est pas remise de l’ultime trahison, lorsqu’il lui a hurlé au visage que s’ils avaient des enfants, c’est parce qu’elle en voulait elle, pas lui. Elle n’a pas compris. Elle croyait qu’ils les avaient fait ensemble, en amoureux. C’est comme s’il lui avait pissé dessus en plein rapport sexuel. D’ailleurs c’est arrivé. Une nuit il lui a uriné dessus en riant. Ultime humiliation au comble de la perversion. Pourtant elle est restée, écœurée, envie de dégueuler, de gerber, de vomir toute la haine qu’elle a vu dans ses yeux. Elle a décidé qu’elle ne l’aimerait plus et elle est restée. Pour les enfants. Uniquement. De toute façon il est parti peu de temps après. Il n’est jamais revenu. Elle a pleuré puis un jour ses poches lacrymales se sont asséchées. Mais elle ne s’en est pas remise. Remise au fond de son jardin secret. Elle y cache ses illusions les plus confidentielles, les plus intimes, les plus douces. Comme des cumulus rouge coquelicot qui prendraient la forme ouateuse de son phantasme le plus fou. Elle imagine secrètement être une femme aimée. Elle ne s’aime pas. Elle pense que si personne ne l’aime c’est qu’elle n’est pas aimable. Alors elle mange. De tout. Tout le temps. Elle s’en fout elle ne grossit pas. Pire elle maigrit à vue d’œil. Elle pense qu’elle a un ver solitaire. Une saloperie de ténia qui se servirait d’elle comme garde manger. Et ses bleus au cœur lui font toujours un mal de chien. Elle continue à s’empiffrer. Jusqu’à la nausée. Puis vient l’ivresse. D’abord le vendredi soir avec les collègues. Après vendredi, samedi soir. Seule. Dimanche quinze heure quinze, fin de la bouteille de vin du repas dominical avec les enfants que décidemment, elle ne supporte vraiment plus. Lundi mardi mercredi jeudi dix huit heures, premier verre de vodka. Vendredi soir samedi midi et soir et le dimanche. Elle s’est arrêtée juste à temps, quand le médecin de famille lui a dit que cela commençait à se voir. Elle a eu honte. Ses enfants se sont éloignés. Elle s’est retrouvée seule dans cette longue traversée du désert Elle a perdu confiance en elle. Totalement. Elle a voulu mettre un terme définitif à sa souffrance mais sa religion l’interdit. Elle a une foi discrète et tenace. Elle n’aime pas l’église mais elle aime les religieuses. Surtout au chocolat. Les religieuses ont remplacé l’apéritif. Puisqu’elle ne maigrit plus, elle grossit. Beaucoup. Elle ne peut plus se voir. Elle enlève la glace en pied dans la salle de bain. Il ne reste qu’un miroir qui lui renvoie un visage bouffi et terne. Misérable Elle finit par se détester. Sans jamais détester les autres. Et encore moins ses enfants. Ils n’y sont pour rien. Et même s’ils ont chacun leur vie, des vies bêtes à pleurer, même si elle les aime moins, ils n’en restent pas moins ses enfants. Elle n’aime pas ses enfants et elle n’aime pas la foule. Elle ne sort de chez elle que pour aller travailler, elle est caissière à Sousprix, ou faire quelques courses indispensables. Sousprix ne vend pas l’indispensable. L’indispensable c’est le papier toilette, le dentifrice et son thé au jasmin. Si elle n’a pas un de ces trois éléments, c’est toute sa journée qui bascule. Parfois lorsqu’elle marche dans la rue, elle se regarde dans une vitrine et remonte ses cheveux. Une fois quelqu’un est passé et lui a dit que cela lui irait très bien. Mais elle n’ose pas. Elle avait le poil souple mais avec le temps il est devenu sec et cassant. Avec le temps elle s’est habituée à être seule. Ses amis les plus proches ont déménagé. Ses collègues ont démissionné les uns après les autres. Un flot continu de femmes et d’hommes stationnés sous le panneau sortie, attendant la fouille. Chez Sousprix s’il y a vol il y a plainte et licenciement. Comme partout. Partout où elle tourne les yeux elle se perd dans l’hyper conformisme. Mais elle se conforme aux règles. Même si le vigile est en retard, elle attend patiemment sous le panneau Sortie qu’il vienne vérifier qu’elle n’ait rien dérobé. Comme c’est un crétin de base, il ne fait jamais attention au titre du livre qu’elle a au fond de son sac. Si le vigile était vigilant, il verrait que c’est un nouveau titre tous les soirs. Elle fait ça depuis six mois à raison de cinq titres par semaine deux fois par mois. Elle prend du plaisir à voler secrètement dans son coin, invisible parmi les invisibles. Elle a aussi caché un saucisson une fois, une seule, sous sa robe. Elle n’aime pas les robes mais elle a conscience de son surpoids. Un pantalon, même un jean, finirait de la rendre ridicule. Elle a acheté une bibliothèque en kit, l’a montée seule et y a installé ses livres. Elle les a classés par titre, par partition d’écriture. Il y a le K et aussi Orphée, Lolita et Souvenirs Souvenirs. Il y a La nausée et L’écume des jours, L’étranger et Le puit de solitude. Il y a des mots, des noms alignés sur la tranche, dans un ordre méthodique. Elle aime ses livres. Plus que ses enfants. Ses livres la font frissonner de plaisir. Les histoires nourrissent une autre vie. L’émotion d’ouvrir le livre à la première page sans savoir où elle va la bouleverse. Avec le temps, elle lit de plus en plus vite. Elle enchaîne les livres les uns après les autres dans une frénésie quasi hystérique. Cette activité chronophage l’occupe jour et nuit. Elle ne dort plus, prend des amphétamines pour aller travailler. Elle est épuisée, à bout de force mais ses nerfs la tiennent. Elle lit à en crever. Amante imbécile de l’auteur. Amante passive qui subit les coups de plume de l’écrivain comme autant de coups de rein jouissifs ou dévastateurs. Elle en redemande. Elle veut continuer à être dans ces mondes parallèles que nul ne peut apercevoir. Croit-elle. Parce qu’il y a une fille au service du personnel de Sousprix qui la regarde. Elle ne le sait pas. Elle ignore la fille. Bonjour bonsoir quand elles se croisent. Elle est obèse mais se conduit comme si elle avait le don d’invisibilité. Ce serait un rêve. Disparaître à loisir, s’évaporer, se volatiliser. Etre et n’être plus. Une petite façon de mourir qui ne viendrait pas faire front à sa religion. Ou partir à l’autre bout du monde. Se faire une nouvelle vie sous une autre identité. Une nouvelle femme encore désirable, sans vague à l’âme. Elle rencontrerait un homme qui lui laisserait le temps, le temps d’être désirée. Elle aime ce mot, désir. Dé-sir. Elle le prononce à mi voix dans la pénombre de la chambre. Parfois elle pose sa main sur son ventre mais le repli de la graisse empêche les doigts de glisser involontairement vers ce qu’elle n’aime pas nommer. Elle n’aime pas vraiment les choses du sexe. Parfois la solitude lui pèse. Elle en parle au psychiatre. Il lui dit C’est normal ne vous inquiétez pas. Sortez, trouvez-vous une activité régulière. Elle a bien essayé un atelier tricot le mercredi soir dans un pub Irlandais mais ça n’a duré qu’un temps. Elle préfère encore s’ennuyer devant l’écran de son téléviseur ou de son ordinateur. Ou bien elle lit. Les écrans sont allumés, le son de la télé assourdit le silence mais cela fait bien longtemps qu’elle n’entend plus. Elle plonge dans le récit avec délectation, se prélasse sur les plages de Copacabana, flirte avec le vent à New York ou gravit le Kilimandjaro sans avoir froid. Etre ailleurs, simplement ailleurs. Elle s’adresse à son chat. Socrate, Socrate écoute moi. Le chat soulève une oreille, ouvre péniblement les yeux. Socrate, tu as eu sept vies. Dis moi ce que tu ferais entre aujourd’hui et la fin du monde ? Tu as vingt jours, quelle vie voudrais tu vivre ? Socrate plonge sa fente dans la prunelle de son humaine et réfléchit. Il finit par miauler Je voudrais être Socrate « Ce que je ne sais pas, je ne crois pas non plus le savoir ». Pauvre mais érudit. Questionnant. Le chat la regarde et dans ses grands yeux jaunes apparaissent les mots « Connais-toi toi même ». Socrate se rendort la laissant seule, encore seule, pour réfléchir à cette maxime. Elle sait pertinemment ce que cela veut dire. Il faut qu’elle tende vers le bonheur. Il faut qu’elle s’approprie le tí esti, le « Qu’est ce que c’est ? ». Allez à l’essentiel. Ne pas sortir du monde pour autant. Braver les vents et avancer. Se connaître et devenir libre. Elle dit à Socrate Je vais finir mon autocritique et enfin je serais libre d’esprit. Socrate mon chat, un jour tu as dit «Le bonheur, c’est le plaisir sans remords ». Nous avons vingt jours pour être heureux. Disons qu’aujourd’hui est une première journée de réflexion. Réfléchissons Socrate, réfléchissons vite et bien. Quel serait l’ultime plaisir sans remords ? Je sais. Ce serait de mourir dignement. N’est-ce pas Socrate ? Le chat l’interrompt en venant finir sa sieste sur la table en bois de la cuisine. Elle le suit. Socrate réveille toi il faut que je te parle. Je n’ai pas été fichue de vivre dans la dignité, je mourrais dignement. Ce n’est pas pareil. C’est un principe moral. Ce serait juste. Mais Socrate, dans ma vie il faut regarder du côté de ce qui est injuste. Ma vie est parcourue d’injustices. C’est une injustice amorale et immorale que de se faire pisser dessus. Je vais donc rendre la justice. Je vais faire entendre la voix des plaignantes silencieuses. Les cocues les soumises les incapables de dire non. Non. C’est un nouveau mot que j’aime bien non. Non pas de remords. Le bonheur c’est le plaisir sans remords dis-tu ? Socrate, je suis capable d’aimer puisque je t’aime. Elle laisse le chat à son ronronnement pensif et retourne à ses livres Tout à coup, saisie d’une énergie irrépressible, elle s’avance dans la salle de bain, se dévisage dans le miroir et soulève son épaisse chevelure. Après s’être observée dans un long silence, elle murmure J’en ai marre de te haïr. J’en ai marre de voir ta gueule tous les matins. J’en ai marre que tu souffres pour rien. J’en ai… Elle ne finira jamais sa phrase. Elle en a, un point c’est tout. Elle referme doucement la porte d’entrée pour ne pas réveiller Socrate et descend les deux étages en colimaçon qu’elle déteste tant. Arrivée sur la place en bas de chez elle, elle hésite. D’abord le coiffeur ou plutôt le rayon sport de l’hypermarché. Elle opte finalement pour le vélo d’appartement. Elle bout intérieurement quand elle voit dans l’œil du vendeur un éclair ironique. Elle voudrait avoir la force de le gifler mais sa main reste immobile. Crispée bien sûr mais aussi figée et glacée. Elle voudrait avoir de la répartie mais rien ne vient. Elle se sent une fois encore humiliée. Et une fois encore elle se tait. C’est presque honteuse qu’elle paie le vélo d’appartement et la livraison express pour le soir même. Son énergie s’est volatilisée et penaude elle revient sur ses pas. Elle hésite. Finalement elle se dirige vers le petit salon de coiffure et faisant mine de passer devant, jette un œil à l’intérieur. Il n’y a qu’un jeune garçon qui passe le balai. Pas de clients. Elle pousse la porte et demande d’une voix mal assurée Ce serait pour une coupe. Le jeune grommelle quelque chose qui a un borborygme près s’apparente à Je vais chercher la patronne. Cette dernière apparaît en haut de l’escalier en éructant un vague Une coupe ? Faut voir. Un carré. Ca vous dirait un carré ? Pas trop court. Si ! dit-elle. Si court s’il vous plaît. Très court. Je veux sentir l’air dans ma nuque. Je veux savoir à quoi ressemble mon crâne. Vous n’avez jamais eu envie de savoir à quoi cela ressemble ? Nous avons une vue de l’ensemble de notre corps sauf du crâne. On rase alors ? Surenchérit la coiffeuse qui ne semble pas se démonter. Son étrange grosse cliente veut être chauve. Pourquoi pas. Elle en a vu d’autres. Mais elle répond doucement Non pas rasée, court. Une coupe courte, à la Jean Seberg. Qui ? S’exclame la ratiboiseuse. Avec Belmondo dans A bout de souffle de Godard. Ca vous parle ? Oui s’éclaire la patronne qui a lu dans un magazine que Jean Seberg aurait été assassinée. La coupe est facile, ça ira. Elle empoigne les cheveux et à coups de rapides coups de ciseaux coupe les dizaines de saisons mortes qu’elle a laissé s’accumuler. Lorsque enfin la patronne a fini son infernale danse de Sabah, sa toison vient lourdement s’écraser à ses pieds. Au dernier coup de ciseau, sa tête part en avant tellement le poids des ans la tirait vers l’arrière. Elle décide mentalement de se venger pour le 21 12 2012.
2 décembre, deux heures vingt deux. Elle ne dort pas, sa main dans ses cheveux courts et le corps endolori par trop vite trop de vélo. Insomniaque, elle circule de pièce en pièce sans vraiment savoir ce qu’elle cherche. Une errance tout au plus, qui occupe le quotidien de ses nuits. Elle ne dort pas. Elle se souvient. Son premier amant avait dix sept ans. Elle en avait quinze. Elle est sûre de ne jamais l’oublier. Il s’appelait Daniel Des. C’était un garçon taciturne avec de longs cheveux frisés noirs qu’il rabattait vers l’avant pour qu’on lui fiche la paix. Il était aussi obscur que ses théories sur cette pauvre race humaine. En bon schizophrène, il avait développé la maladie au début de son adolescence, il était Nietzschéen jusqu’au bout des ongles. La théorie du surhomme qu’il avait découvert en philosophie l’avait laissé pantelant. Il était devenu la voix de Nietzsche, capable de citer des paragraphes entiers de l’auteur. Elle était avec lui à l’atelier vidéo du lycée. Bien qu’elle n’ait pas vu son visage, elle était tombée amoureuse de son travail et par ricochet, du réalisateur. Il avait une façon particulière de filmer les gens. Ils ne faisaient que des profils puis les montaient en sépia ce qui conférait à l’image une sensation très troublante, presque une gêne. Son travail interrogeait sur la place de l’adolescent artiste fou dans la société. Il était fasciné par Rimbaud et Lautréamont. Elle, discrète, faisait des portraits des gens de son quartier. Bien sûr son travail était techniquement très bon néanmoins les films de Daniel la ramenait au statut d’élève en première. Mais une fois elle avait simplement filmé une Baccarat sous la pluie. L’aspect velouté des pétales de la rose noire sous une ondée de printemps avec un arc en ciel en arrière plan, avait remporté l’unanimité. Lui seul s’était abstenu de tout commentaire. Il avait attendu le lendemain. Sans une parole il lui avait tendu une feuille pliée puis il était parti. Le mot disait Du reste je déteste tout ce qui ne fait que m'instruire, sans augmenter mon activité ou l'animer directement. Il ne lui dit que plus tard que c’était de Goethe. Il avait un peu bu, beaucoup fumé de Marie Jeanne. Il avait envie de parler avec elle. Il était sincère. Cette rose avait scellé l’union passionnelle des jeunes amants. Ils ont fait l’amour pour la première fois chez lui, dans sa chambre étrange qui sentait l’encens indien, dont un des murs était totalement peint en noir. Il avait esquissé un grand trait bleu en forme de virgule-trait-point d’interrogation. C’était légèrement prétentieux mais décliné sur le mur blanc en face en simple virgule-trait-point sans exclamation, interrogation, sans symbole idiot, ne manquait pas de charme. A leurs yeux il fallait transcender la vie ou mourir. Elle n’avait pas tout compris mais était bien décidée à être d’accord. L’équilibre de leur passion tenait dans leur irrépressible envie de faire l’amour. Ils séchaient les cours, n’avaient d’autres amis qu’eux-mêmes. Ils baisaient partout, sans arrêt. Au début ça la dérangeait, elle n’arrivait pas à se détendre. Il avait toujours des préservatifs mais elle avait lu que ce n’était pas sûr à cent pour cent. Impossible d’en parler à sa mère, bigote et grenouille de bénitier. Elle était allée seule au planning familial mais pas dans sa ville, beaucoup plus loin. Elle était revenue avec la pilule et de la documentation. Ils avaient bien parlé d’avoir un enfant mais. Trop compliqué. Pas le courage. Le courage de dire non. Elle avait perdu le courage de s’opposer à son compagnon envahissant et souvent incohérent. Après le temps du déchaînement physique apparu le temps de la jalousie. Très vite l’époque des reproches les emprisonna dans des disputes de plus en plus violentes. Il avait visiblement du mal à se contrôler pour ne pas l’étrangler. Deux fois il lui avait serré le cou jusqu’à lui faire mal. Il refusait de prendre ses médicaments. Plus personne n’arrivait à le contrôler. Il fut interné peu de temps avant de passer le Bac. Elle l’a pleuré amèrement pendant deux bonnes années, se livrant parfois à des attouchements discrets sur quelques rares amants de passage. Elle pense que peut-être elle aimerait le revoir. Combien de femmes a-t-il fait souffrir depuis leur adolescence ? Combien ? Combien de souffrances a-t-il étranglé ? Daniel Des ferait bien partie de sa vengeance. Elle reprend sa méditation au jour tant regretté de sa rencontre avec son futur mari. Il ne l’avait pas vraiment séduite mais en quelques semaines elle s’était attachée. Il avait de belles mains de pianiste. C’était ce qu’elle disait, des mains de pianiste. Il était le chauffeur particulier d’un patron de la haute finance et n’avait de cesse de le répéter. Il s’en glorifiait, souffrant d’un visible complexe d’infériorité. Mais ses déplacements fréquents en province les amenaient à ne pas être l’un sur l’autre jour et nuit. Elle avait eu sa première fille à vingt et un an et la seconde seize mois plus tard. Le couple vivait bien jusqu’à ce que monsieur finance soit débarqué et qu’il perde son emploi. Elle s’était mise à la recherche d’un travail. Au vu de la conjoncture, elle ne fut pas malheureuse d’accepter un poste à la chaîne dans l’usine locale qui fabriquait des tampons hygiéniques. Lui s’était glissé assez vite dans le costume du paumé du quartier, responsable de deux petites filles dont il doutait de la paternité lorsqu’il avait forcé sur le demi. Il jouait aux courses tous les jours, convaincu que ses petits gains faisaient les grandes rivières aurifères. Quand il n’eut plus d’allocation chômage, il accepta une formation de conducteur de poids lourds. Il finit par être chauffeur livreur dans Paris et sa banlieue. Ils ont rencontré des difficultés de couple mais elle a géré. Quelques cinq ans plus tard naissait un garçon qui fit la fierté de son père en devenant footballeur professionnel. Il a juste oublié ses filles. Et sa femme. Puis un jour il a gommé son fils. Heureusement les enfants étaient déjà grands et capables de comprendre la situation. La grande crise finale eu lieu en leur présence. Au début elle a laissé passer l’orage, il avait encore bu mais le ton est monté quand il s’en est pris à leur fils. Elle s’est transformée en ourse, prête à le dévorer s’il touchait à un cheveu de ses gamins. Il a rapidement fait une valise, a traversé le couloir sans se retourner ; il a claqué la porte. C’était terminé. Elle a fini d’élever son rejeton puis comme ses sœurs, il est parti lui aussi. Depuis la maison ne résonne plus que du bruit de la télé allumée du soir au lendemain et des miaulements du gardien des lieux. Au moment du divorce, ses amis lui avaient conseillé de vendre et d’acheter plus petit mais elle n’est pas parvenue à s’y résoudre. Elle a décidé une bonne fois pour toute que sa maison serait son legs pour ses descendants. Elle a soigneusement fermé la porte de la chambre conjugale. Elle veut oublier. Mais elle ne peut pas. Ses souvenirs, pauvres souvenirs, la hantent. Elle tourne et vire dans son lit, sa main toujours dans ses cheveux très courts. Elle est très contente de sa nouvelle tête. Son visage dégagé apparaît moins terne, presque plus lumineux. Avec le vélo elle est sûre de perdre du poids. Dans quelques jours elle ira mieux. Cette nouvelle perspective l’aide à chasser ses idées noires. Elle s’apaise. Elle lit Histoires extraordinaires de Edgar Allan Poe avant de somnoler un peu. Quelques dizaines de minutes plus tard, elle lève le doigt vers son réveil juste avant que celui-ci ne sonne. Elle fait ça tous les jours, premier rituel d’une journée ordinaire. Mais aujourd’hui ne doit pas être ordinaire. Aujourd’hui doit être extra-ordinaire. Assise devant son thé au jasmin, enveloppée dans sa vieille robe de chambre rose, elle se demande ce qui pourrait être extra ordinaire. Retrouver Daniel Des est une idée. Castrer son abruti d’ex mari en est une autre. Peut-être la moins mauvaise. Soudainement elle sent monter une boule d’angoisse. Ses collègues, sa concierge, la patronne du salon de coiffure, ses enfants, tous, savent-ils tous que le 21 décembre, soit dans dix neufs jours, il y aura trois évènements majeurs. Elle compte. En un c’est son anniversaire. En deux elle change de dizaine d’années. En trois c’est la fin du monde. Elle se sourit à elle-même. Il y a dans tout ça comme un petit air d’apocalypse qui ce matin, lui plaît bien. Elle a un Au revoir Socrate, bonne journée ! Presque joyeux qui fait lever la tête au chat étonné. Son bonheur de la journée commence au travail quand le vigile ne la reconnaît pas et lui demande son badge. Ensuite ce sont ses collègues qui la félicitent d’avoir osé franchir le pas d’une nouvelle tête. Elle trouve que les clients sont plus agréables ce qui est certainement vrai. A la pause elle décide de se laisser aller à fumer une cigarette. Elle fume très exactement deux cigarettes par jour, une par pause. Elle va pour allumer son briquet quand elle entend Vous auriez du feu s’il vous plaît ? Elle lève la tête et découvre la fille du bureau du personnel. L’autre lui sourit. Elle est très attirante. Longiligne, presque androgyne, les cheveux blonds coupés très court, de beaux yeux noirs avec des éclairs de couleur feu autour de la pupille. Son visage est joli, elle a un sourire charismatique. Grande, le maintien droit. Elle continue à sourire. Je m’appelle Lucie. Je travaille à la DRH. Merci pour le briquet. Elle lui rend l’objet mais leurs doigts s’effleurent. Elle tressaille. La main est très chaude. Il ne fait pas encore vraiment froid mais un petit vent du nord rafraîchit l’atmosphère. Elle éprouve presque du plaisir à cet échange incongru. Cette fille lui plaît. Elle n’éprouve jamais ce sentiment au premier contact mais cette fois ci, si. Elle pense immédiatement au personnage de Consuelo de Georges Sand. Elle la voit bien musicienne. Elle interrompt sa rêverie littéraire en entendant 21 décembre. Elle se fige. La fin du monde. Faire sauter les frontières du langage pour que les sans voix s’expriment. Offrir un espace de liberté. Emasculer les codes machistes. Les remettre à leur place. A quelle place au fait ? Y réfléchir et vite. L’autre est en train d’énoncer l’apocalypse avec ferveur mais aussi d’une voix grave, chaude, envoûtante. Elle écoute. Oui elle est d’accord, il faut que quelque chose d’important se passe avant la date fatidique. L’autre lui demande Et vous, que feriez- vous ? Elle se surprend à répondre la vérité. Je poserai tous mes congés et si j’avais les moyens je partirai loin, juste pour voir d’autres ailleurs. Elle a un silence avant de reprendre. Et je voudrai vivre une histoire d’amour. Une vraie voyez-vous, une histoire qui me réconcilierait avec moi-même et le reste du monde. Je voudrai faire quelque chose d’efficace avant de mourir. Et je voudrai que Socrate, mon chat, soit avec moi. L’autre dit. Beaucoup de rêves. Je peux peut-être vous aider en vous accordant une avance sur salaire, ou même un prêt. Vous vous en fichez, c’est la fin des faims. La fin des affamés. La fin des disparités. La fin. Vous êtes à quelle caisse aujourd’hui ? 17 pourquoi ? Je vous signe un dossier. Venez pendant votre pause de cet après-midi. Demandez moi directement. En tendant sa main, elle souhaite Bon courage. Impressionnée elle serre cette main tendue brûlante comme un jet de vapeur. A tout à l’heure murmure la voix. Troublée, elle finit sa cigarette. Un prêt ? Ne pas recommencer le délire des emprunts. Mais si c’était la fin du monde ? Vraiment la fin du monde. Elle reprend sa caisse et se replonge dans son travail. Elle est méthodique, concentrée. Mais intérieurement elle se sent soulevée par une vague de chaleur qui lui donne des palpitations. A sa deuxième pause, elle se décide à monter voir le bureau du personnel. C’est désappointée qu’elle apprend que mademoiselle Fer est en réunion. Alors qu’elle va pour se préparer à sortir à la fin de sa journée, Lucie apparaît brutalement dans le vestiaire. Elle a une peur qui lui retourne l’estomac lorsqu’elle sent qu’on lui tapote l’épaule. Elle n’a pas senti que quelqu’un pénétrait dans la pièce et elle ne peut s’empêcher un cri étouffé. Elle a volé un nouveau titre et pense immédiatement à un vigile. La voix chaude la rassure immédiatement. J’ai failli vous louper. Tenez, signez là et vous êtes officiellement en vacances jusqu’au 23 décembre. Il faudra juste que vous me rameniez votre déclaration d’impôts demain. Elle feuillette les papiers. Il y a bien le formulaire de demande de congés à signer. Il est déjà contre signé par sa chef de caisses. Et il y a un chèque de quinze mille euros avec un plan de remboursement au plus bas. Elle demande Vous faites beaucoup ça ? Non répond l’étrange jeune femme, vous êtes la seule mais je crois que je fais bien. Signez également cette page blanche, je la remplirais demain. Il s’agit des mensualités de remboursement, je l’établirais en fonction de vos impôts. Je n’en paie pas dit elle. Très bien. Donc se sera simple. Allez y mettez votre nom et lu et approuvé et je vous souhaite un bon voyage. Où partez-vous ? Je ne sais pas, je ne m’y attendais pas. Il faut que je réfléchisse. Vous comprenez, je suis un peu perdue. Là où je peux emmener Socrate mais où… Mademoiselle Fer la regarde droit dans les yeux. Elle a l’impression d’être sondée, scannée en une fraction de seconde. Elle frémit. Le livre dans son sac. Et si c’était un piège. Elle sent une rougeur s’emparer sauvagement de son visage. Mais de sa voix grave, Lucie lui propose de réfléchir ensemble à une destination intelligente. Elle ne sait pas ce qu’est une destination intelligente mais c’est avec soulagement qu’elle comprend que cette femme n’a rien à voir avec ses vols répétitifs d’auteurs. Prenons un verre ce soir voulez vous. Je passe vous prendre chez vous, nous pourrons même aller dîner. D’accord ? D’accord s’entend elle répondre malgré elle. D’accord avec plaisir. Alors à ce soir dit Lucie Fer avant de tourner les talons et de s’en aller sans un bruit.
Quelle heure est-il ? Demande t-elle épuisée mais heureuse. Trois heure trente trois répond Lucie étendue au milieu de son lit. Mon Dieu dit elle, dire que nous sommes déjà le trois décembre. Plus que dix huit jours. Maintenant les choses sont plus claires articule lentement sa nouvelle amie. Demain tu t’occupes de ton Daniel et de ton ex et mercredi nous sommes dans l’avion pour une destination surprise. Je pense que nous allons bien nous amuser. Et l’idée d’associer plaisir et travail me ravit. Tu es toujours d’accord ? Oui bien sûr murmure t-elle mais j’ai quelque chose qui ne passe pas. Excuse moi, je n’en ai pas pour longtemps. Elle sort de sa chambre et se dirige d’un pas contrarié vers celle de son fils. L’idée d’avoir dû enfermer Socrate dans une pièce la contrarie au plus haut point. Son chat n’a pas apprécié son hôte et lui a fait sentir avant même qu’elle n’ait franchit la porte d’entrée. Il s’est mis à gronder, les oreilles en arrière et le poil hérissé. Il a fallu qu’elle lui parle longuement avant de le prendre dans ses bras pour aller l’enfermer. Elle en est encore toute retournée. Et comment lui annoncer qu’elle va partir quelques jours régler une affaire à dimension internationale mais qu’elle sera là avec lui pour la date fatidique. Comprendra t-il tout ça ? Et ne va-t-il pas lui faire la tête lorsque enfin elle sera là ? Elle aime tant son chat. Et Lucie lui a promis que, tenant compte de l’aller et retour, il y en a pour dix jours. Plus cinq jours pour une mission secrète et le 21 serait fatalement là. Mais pour celles qui auront la chance de s’en sortir, alors une nouvelle ère débutera. Un nouveau monde verra le jour et l’humanité sera enfin modifiée. Elle ouvre tout doucement la porte de la chambre mais Socrate dort tranquillement. Rassurée, elle passe prendre une bouteille d’eau dans le frigo puis va dans son salon. Elle met de la musique. Stan Getz. Falling in love plus exactement. Elle boit au goulot avant de retourner dans sa chambre Elle y a établit ses quartiers après le départ de l’aînée. Il y a un moment déjà. Lucie est couchée en travers du lit. Elle scrute le plafond, semblant compter les imperfections. Elle s’assied à la tête du lit. Elle aimerait croiser ses jambes mais elle est trop grosse alors elle les laisse pendre sur le côté comme deux jambonneaux bien gras. Lucie bouge pour venir s’installer près d’elle. Cela lui permet de remonter ses jambonneaux. C’est comme ça qu’elle les appelle. Elle juge nécessaire de se justifier en expliquant qu’elle n’a pas toujours été obèse. Lucie l’écoute sans un mot. A la fin elle prend la parole de son étrange voix grave, presque gutturale Tu aimerais avoir mon corps ? Bien sur s’exclame t-telle surprise de cette question. C’est possible tu sais. Nous pourrions échanger nos corps jusqu’à la fin du monde. Avec ma santé et le sport, je me donne quinze jours pour faire de ce que tu es ce que tu as été. Réfléchis vite, mon offre expire dans cinq minutes. Elle éclate de rire. Cela fait combien de temps qu’elle n’a pas ri avec quelqu’un, combien ? Cette simple question silencieuse qui n’était pourtant que de passage, la coupe net dans son élan. Elle pleure. Pas beaucoup, juste une larme discrète mais Lucie la voit. Elle prend doucement sa tête contre son épaule et sans rien dire, lui passe la main dans ses cheveux si courts. Elle se laisse faire. Ne pas bouger. Laisser les doigts courrirent sur son cuir chevelu et sentir par moment de légères pressions, toujours au même endroit. Sans bouger d’un millimètre, elle sent qu’elle vacille. Est-elle ivre ? Elle n’a bu que deux verres de vin au restaurant mais comme elle ne boit plus. Ivre peut-être. Soûle de fatigue et de bien être c’est sûr. Elle sourit. Sans bouger d’un iota elle murmure Mais si tu as mon corps, c’est toi qui vas t’occuper du sort de mon ex et de Daniel tout à l’heure ? Au lieu de lui répondre, Lucie se décale légèrement et prend le menton de sa voisine dans une main. De l’autre, elle continue à lui caresser doucement les cheveux. Elle plonge alors dans ce regard noir et feu et se rend compte qu’elle n’a jamais vu des yeux pareils. Ces yeux précisément l’absorbent totalement, lui font déjà l’amour. Elle se laisse faire quand la main qui soutient son menton la tire vers cette bouche pulpeuse, arrogante de fraîcheur. Elle se laisse aller quand elle sent ses lèvres s’entrouvrir malgré elle sur le premier baiser. Elle flotte littéralement quand elle sent la langue de Lucie jouer délicatement avec la sienne. Elle frissonne sans trop savoir si c’est d’émotion ou de froid. Elle a l’impression d’avoir laissé la fenêtre ouverte. Lucie décidemment très à l’écoute lui demande Tu as froid ? Mets toi sous ta couette tu seras mieux. Les yeux qui la fixent semblent en feu. La pupille noire est dilatée sur un trou sans fond, sans limite. Elle voudrait se noyer dans ce regard. S’accrocher sur le bord et ne plus bouger. Jusqu’à ce que mort s’ensuive. Et de mort, ou plutôt de petite mort va-t-il être question. Elle se glisse volontiers sous la couette bien qu’ayant eu du mal à décrocher de cette bouche tout simplement exquise. Plus rien ne l’arrête. Elle ne pense plus. Envolée la perception initiale. Elle oublie sa graisse. Elle bouge presque avec grâce. Son amante refuse qu’elle lui touche l’entre jambes ce qui la surprend encore. Mais somme toute, elle n’a rien demandé. Alors elle s’offre. Elle se laisse totalement aller sous les caresses hivernales de sa compagne. Elle explose littéralement plusieurs fois sous les effleurements experts. Lorsque Lucie la pénètre, elle ne peut s’empêcher un petit cri. L’entrée dans sa cathédrale est lente et délicate mais très vite elle ne se maîtrise plus. Elle se sent totalement prise. Tout son être est concentré dans son ventre. Le lent va et vient s’accélère. Elle perd le nord. Elle sent tout juste le souffle chaud de sa jeune maîtresse dans son cou. Elle la sent bouger au dessus d’elle mais elle ne fait plus attention. L’orgasme vient assez vite, c’est l’extraordinaire des sensations vertigineuses. Elle titube dans son plaisir, se prend les pieds dans la jouissance et tombe. Elle tombe mais elle a peur. Puis elle perd connaissance. Cela ne lui est jamais arrivé. Lorsqu’elle revient lentement à elle, elle pousse un cri. Lucie est son double. Même tête, même corps, elle est en miroir. Seule une étrange flamme dans l’iris rend le regard quasiment hypnotique. Lucie est penchée sur elle, brûlante. La sueur se fraie un passage entre leurs corps encore emboîtés. Elle se dégage lentement pour retomber lourdement sur le côté. Seule le haut de sa lourde poitrine dépasse de la couette, dégageant la gorge subtilement désirable malgré l’excès de graisse. Lucie pose sa main sur le ventre de sa voisine, totalement paralysée. Elle n’ose pas regarder ne serait ce que sa propre main. Elle est terrorisée. Y a-t-il réellement eu échange de corps ? Vit-elle dans une enveloppe de quinze ans de moins, sans une ride, toute en muscles. Cette main sur son ventre est-elle la main du destin ? Est-elle elle-même ? «Le bonheur, c’est le plaisir sans remords ». Mon dieu Socrate, va-t-il la reconnaître ? A cet instant elle sent une décharge lui traverser l’utérus. Ce n’est pas très douloureux mais cela fini de la sortir de sa torpeur post orgasmique. Elle a un pincement au cœur. Socrate. Il faut qu’elle l’emmène avec elle, c’est à prendre ou à laisser. Elle ne partira pas sans lui, c’est décidé. Elle ose passer un pied en dehors de la couette et découvre un assemblage d’os de muscles de nerfs de toute beauté. Plus haut il y a une vraie cheville puis un mollet musclé. Elle découvre lentement son nouveau corps alors que Lucie semble être endormie. Elle se penche et l’observe un moment. Ainsi ressemble t-elle à ça ? C’est bien les cheveux courts. C’est mieux. Elle scrute chaque centimètre de peau. Elle suit de son doigt les contours du visage, les pleins et les déliés. Elle en arriverait presque à se supporter. En fait, elle est moins pire que ce qu’elle pensait. En pensant cela, elle s’arrête sur sa nouvelle main. Longue et musclée avec de longs doigts effilés. Une main manucurée mais sans effet ostentatoire. Elle se lève, épatée de voir de plus haut, se dirige vers la chambre de Socrate. C’est là qu’elle a mis le miroir en pied. Elle allume la lumière mais le chat se hérisse en poussant un miaulement agressif. Alors elle lui raconte sa soirée, sa nuit, sa transformation. Elle parle tant qu’il fait des tentatives d’approche jusqu’à ce qu’enfin il vienne ronronner sur ses genoux. Elle dit Je ne sais pas qui est Lucie et pourtant je lui ai déballé toute ma vie. Il nous reste quelques jours à vivre. J’ai croisé le doigt de Michel Ange ou la main de Dieu. Elle éprouve à cet instant une autre décharge dans le bas ventre. Elle se dit que c’est un reste de jouissance. Mais c’est douloureux. Elle se regarde dans la glace en pied et voit bien Lucie en tout point. Oui elle a vraiment changé de corps. Elle se prend à rêver d’une histoire sérieuse avec cette fille. Elle est subjuguée par les idées qui la traversent. Jamais elle n’a fait l’amour avec une femme. C’est une grande première. Et aussi une immense découverte. Mais de ce point de vue, elle n’est pas plus ébranlée que ça. C’est comme ça. Une femme et alors ? Pourquoi pas ? Tant pis pour les enfants. Ce sera à prendre ou à laisser. A prendre ou à laisser… Socrate d’une part et Lucie d’autre part. C’est comme ça. Elle se décide à ouvrir les volets pour que son chat aille comme tous les matins regarder l’univers sur le rebord de la fenêtre. Le jour commence à se lever. Il est donc si tard. Elle doit faire beaucoup de choses. Retrouver Daniel Des et se venger du mal qui l’a mal construite pour l’avenir et retrouver son salopard de mari, Elle est vacances. Elle est riche. C’est la fin du monde. Elle vit un grand moment. Elle a envie de prendre Lucie dans ses bras. Elle ressent une bouffée de chaleur qui pourrait bien s’apparenter à une bouffée de bonheur. Mais Lucie est déjà sur le vélo d’appartement, une tasse de café réchauffé à la main. Elle pédale consciencieusement à une vitesse folle. La graisse semble fondre à vue d’œil. Elle reste sur le pas de la porte et ne voit plus que ce tas de graisse qui dégouline du corps vers le plancher puis se résorbe sur elle-même. Qui est cette femme ? Le doigt du diable ? A cet instant elle a une secousse orgasmique qui la laisse pantelante. La scène dans tout ce qui pourrait s’apparenter à du délire, elle va se réveiller c’est sûr, lui semble on ne peut plus réelle. Voire authentique. Elle a basculé dans la cinquième dimension. Lucie qui lui assure que son nouveau corps lui va très bien lui propose un footing. Mais elle a beau jouer les gamines, cela fait bien longtemps qu’elle n’a pas couru. Toutefois c’est encore plus décérébralisée qu’elle se sent partir sans problème dans une longue foulée dynamique. Peut-être qu’en courant loin, elle pourra fuir le 21 décembre. Sa consoeur qui a perdu au moins vingt kilos en une séance de vélo, court auprès d’elle. Le vent froid donne à la buée de leur respiration l’impression d’un brouillard vénitien. C’est en croisant un marcheur qui doit se rendre à son bureau qu’elle s’arrête net. C’est Daniel. Elle fait demi tour et court derrière lui jusqu’à sa hauteur. Daniel ? Daniel Des ? Tu ne me reconnais pas ? Nous étions ensemble Daniel, au lycée, à l’atelier vidéo. La rose, l’arc en ciel c’était moi. Daniel ? Daniel répond faussement désintéressé Vous faites une erreur mais allons prendre un café. Vous me raconterez tout ça. Vous n’êtes pas Daniel Des ? demande t-elle interloquée. Si mais je ne vous connais pas. Arrive Lucie. Elle est encore plus désirable. Des formes apparaissent. La gorge, les seins, les hanches font d’elle une femme enveloppée juste ce qu’il faut pour satisfaire l’imaginaire masculin. Elle se colle à l’oreille de Daniel et murmure quelque chose qu’elle n’entend pas. Daniel regarde Lucie dans les yeux et opine du chef. Cette dernière se retourne vers elle et dit Rentre chérie, tu vas attraper froid. Je te rejoins très vite. Puis elle s’en va dans le chemin, ce taré de Daniel sur les talons. Elle les regarde partir côte à côte comme deux vieux amis. C’est en arrivant chez elle qu’elle est prise de violentes douleurs comme une colique néphrétique. Elle en a déjà eu mais elle était petite. Pourtant cette douleur lui rappelle, lui rappelle ! L’eau coule de son utérus le long de ses jambes. Il n’y en a pas énormément mais Socrate arrive intrigué. Elle est cambrée les deux mains sur les reins quand une autre douleur bien plus violente la plie en deux. Elle comprend. Elle sent qu’elle va accoucher de quelque chose. Elle se jette sur son portable pour appeler les pompiers mais Lucie apparaît et se précipite sur elle. Elle se met à genoux et dit Tu as quarante huit heures d’avance. Tant pis. Je vais m’occuper de toi. Fais voir. Ecarte les cuisses. Le travail a commencé. Laisse toi faire ça ne va pas être long. Pourquoi moi ? Halète t-elle entre deux contractions. Parce que c’est toi tout simplement. Il me fallait une femme ayant déjà accouché. Et puis tu me plais dans ma peau. L’expulsion a lieu en deux heures. C’est un garçon. Dans son dos l’emplacement des taches de rousseur n’est pas sans évoquer le chiffre 666. Lucie lui prend la main dans sa main bouillante et dit Dors, dans quelques heures tu auras récupéré. Je m’occupe de ton ex mari, ne t’inquiète pas. Demain est un grand jour et l’apocalypse s’annonce sous les meilleurs auspices. Elle répond d’une voix faible Nous emmenons Socrate. C’est à prendre ou à laisser. Lucie répond Nous prenons le train. Tu peux prendre ton chat. Maintenant dors, je sors. Elle prend l’enfant et quitte la pièce.
Merci Paul pour le poème de de Florian. Je le vis comme un accompagnement musical de ce texte. Cette écriture est plus personnelle, m'entraînant dans une histoire où ce sont les mots qui dirigeaient, flux de l'absolu état de l'écriture. Inutile de te dire que "le style durassien" me va droit à ... la plume !
· Il y a plus de 11 ans ·Stéphan Mary
Bonjour Stephan (III),
· Il y a plus de 11 ans ·Merci Stephan pour cette superbe nouvelle. Cinq coeurs et coup de coeur pour moi !
Texte proposé en partage.
Un vrai talent, et une belle plume !
À bientôt de te lire.
Bien amicalement.
Paul Stendhal
Paul Stendhal
Bonjour Stephan (III),
· Il y a plus de 11 ans ·Merci Stephan pour cette superbe nouvelle. Cinq coeurs et coup de coeur pour moi !
Texte proposé en partage.
Un vrai talent, et une belle plume !
À bientôt de te lire.
Bien amicalement.
Paul Stendhal
Paul Stendhal
Bonjour Stephan (II),
· Il y a plus de 11 ans ·Le voyage
Partir avant le jour, à tâtons, sans voir goutte,
Sans songer seulement à demander sa route ;
Aller de chute en chute, et, se traînant ainsi,
Faire un tiers du chemin jusqu'à près de midi ;
Voir sur sa tête alors s'amasser les nuages,
Dans un sable mouvant précipiter ses pas,
Courir, en essuyant orages sur orages,
Vers un but incertain où l'on n'arrive pas ;
Détrempé vers le soir, chercher une retraite,
Arriver haletant, se coucher, s'endormir :
On appelle cela naître, vivre et mourir.
La volonté de Dieu soit faite !
Jean-Pierre Claris de FLORIAN
Paul Stendhal
Bonjour Stephan (II),
· Il y a plus de 11 ans ·Le voyage
Partir avant le jour, à tâtons, sans voir goutte,
Sans songer seulement à demander sa route ;
Aller de chute en chute, et, se traînant ainsi,
Faire un tiers du chemin jusqu'à près de midi ;
Voir sur sa tête alors s'amasser les nuages,
Dans un sable mouvant précipiter ses pas,
Courir, en essuyant orages sur orages,
Vers un but incertain où l'on n'arrive pas ;
Détrempé vers le soir, chercher une retraite,
Arriver haletant, se coucher, s'endormir :
On appelle cela naître, vivre et mourir.
La volonté de Dieu soit faite !
Jean-Pierre Claris de FLORIAN
Paul Stendhal
Bonjour Stephan (I),
· Il y a plus de 11 ans ·Une bien belle nouvelle qui se lit d'un trait, d'un seul, entraînant le lecteur dans la vertigineuse spirale d'une histoire à "temps conté" ! Une originale réinterprétation du Docteur Faust, héros d'un conte populaire allemand du XVI ème siècle.
L'écriture est enlevée, le rythme soutenu et le style durassien ! C'est le souffle court qu'on parvient haletant à la fin du récit, et l'on se trouve dans un état proche de celui décrit par Jean-Pierre Claris de FLORIAN, dans son poème Le voyage (1792):
Paul Stendhal
Bonjour Stephan (I),
· Il y a plus de 11 ans ·Une bien belle nouvelle qui se lit d'un trait, d'un seul, entraînant le lecteur dans la vertigineuse spirale d'une histoire à "temps conté" ! Une originale réinterprétation du Docteur Faust, héros d'un conte populaire allemand du XVI ème siècle.
L'écriture est enlevée, le rythme soutenu et le style durassien ! C'est le souffle court qu'on parvient haletant à la fin du récit, et l'on se trouve dans un état proche de celui décrit par Jean-Pierre Claris de FLORIAN, dans son poème Le voyage (1792):
Paul Stendhal
Yvette, le plus beau compliment, tu viens de le faire. Merci
· Il y a plus de 12 ans ·Stéphan Mary
Je suis tellement désolée de ne pas l'avoir lue plus tôt, c'est magnifique, les 22 pages comme j'étais très occupée, je me disais à plus tard, et voilà je voulais te noter, et j'ai vu que c'était terminé, moi aussi je faisais des concours, mes amis lisaient, mais pas de note, donc j'ai décidé de ne plus faire de concours. Pourtant j'allais sur chaque, notais mes amis, moi, mais c'est ainsi. Ton texte est un mélange de moi, de mes amies proches, mais je suis déjà morte le 21 Décembre 2000, aux funérailles de mon fils. Comme j'aurais aimer vivre cette expérience, ta fin... J'ai demandé au Diable de venir me prendre, mais comme je ne crois en rien, je ne suis inscrite sur aucune liste, ni de Dieu, ni de Satan. Yvette.Bises.
· Il y a plus de 12 ans ·Yvette Dujardin