Ad vitam aeternam
Magali Gasnault
J'ai toujours aimé que l'on me raconte des histoires. Aujourd'hui, c'est à moi de vous raconter la mienne. Voilà, je m'appelle…mais quelle importance cela peut-il avoir ? Donnez-moi le prénom et le nom qui vous chantent ! Ce que vous devez retenir, voyez-vous, c'est que je suis mort.
Petit retour en arrière, je vous prie. Par une douce soirée de juin, je sors du cinéma l'Atalante. Durant les deux premières semaines du mois, un festival portant sur les films d'action a été organisé. La thématique choisie est « les agents secrets au cinéma ». Moi, mon agent préféré, c'est James Bond. Si classe, si anglais, si improbable. Il est même capable de revenir d'entre les morts ! Mais je m'éloigne de mon propos. Bref, six acteurs ont incarné l'agent secret anglais, six films ont été alors projetés. Les plus emblématiques. Je ne vais pas discourir sur les choix effectués, tout ce que je peux vous apprendre, c'est que ce fameux soir, je viens d'assister à la projection de Casino Royale. Un monument ce film, moi, je vous le dis. James Bond y est brut de décoffrage, tout en muscles et en failles.
La musique du générique flotte encore dans mon esprit lorsque je m'installe au volant de ma petite Twingo. C'est sûr, je suis à des années-lumière de l'Aston Martin de l'espion de sa Majesté. Qu'importe ! J'insère la clé de démarrage, j'embraye, je chante à tue-tête « It longs to kill you. Are you willing to die ? The coldness burns through my veins, you know my name.” Je traverse le parking du cinéma. Petit ralentissement, coup d'œil sur la gauche avant de m'introduire dans le rond –point. Je fredonne toujours le générique. Une brise légère me caresse l'avant-bras. Et mon véhicule avance. Pourquoi le ciel étoilé s'est-il brutalement superposé sur le bitume ? J'ai l'impression qu'un immeuble s'est effondré sur ma cage thoracique. Et ce bruit métallique, ce froissement d'acier qui emplit l'espace ? J'entends un cri. C'est le mien. C'est moi qui hurle de douleur. Dans le lointain, je perçois la sirène d'une ambulance. Je veux bouger, je veux ouvrir la portière mais , mais…. Oh, mon dieu, elle ressemble à une vieille chemise chiffonnée. Le pare-brise a explosé. Je n'arrive plus à respirer, je m'agite tel un poisson rouge hors de son bocal. La sirène de l'ambulance se rapproche, les gyrophares clignotent. Je lutte de toutes mes forces mais mes yeux se ferment irrémédiablement.
- Arrêt cardiaque ! lance une voix de stentor. Il est foutu.
Le défibrillateur inutile, l'ambulancier se retourne vers son collègue , épaules carrées, cheveux à la Tintin, qui se contente de hausser les épaules. Des accidents de la route, plus ou moins sanguinolents, ils en ont un bon paquet à leur actif.
- Regarde Fredo, la Twingo a été comme catapultée. Elle ressemble à une tortue sur le dos. Trop bête.
Fredo ne répond pas, il se contente d'opiner. Damien a bien raison, cet accrochage est stupide mais il ne doit rien au hasard.
- Encore un innocent qui trinque, ajoute Fredo. Le gars de la Twingo a été percuté par une Audi A3. Cas classique : excès de vitesse, conducteur l'oreille scotchée à son téléphone portable. Et pan ! E.T rentrer cercueil.
Non mais, un instant. C'est de moi dont il s'agit !! C'est moi le percuté, le mort, celui dont on peut dire c'est la faute à pas de chance !! Et qu'est-ce que j'apprends ? Que je me suis fait dézinguer par un olibrius qui se prenait pour Fangio ! Vous savez ce coureur automobile argentin de la première moitié du XX° siècle ? Non ? Bref, Le roi de la route a joué aux quilles avec ma petite Twingo, moi, je suis kaput et les deux zigotos d'ambulanciers se la jouent philosophes blasés. J'en suis scandalisé, indigné, révolté ! Et même si mon électro-encéphalogramme est aussi plat que les plaines du Pas de Calais, j'entends tout, je vois tout !! J'ai bien l'intention de secouer les puces à cet ersatz d'Alain Prost (un autre coureur automobile, décidément, je dois tout vous décortiquer) qui, si j'ai bien ouï Damien et Fredo, s'en tire avec quelques côtes fêlées et un poignet cassé ! Vive le airbag ! Le temps que je me retourne, plus personne dans mon champ de vision. L'ambulance a décampé, les carcasses des deux véhicules viennent d'être enlevées. Je plisse à outrance le front, je bous de colère. C'est pas juste !
- Pas juste, dites-vous ? » me demande un grand barbu tout en longueur.
Qui est ce grand échalas assis face à moi ? Où suis-je ? Les coudes posés sur un bureau style Ikéa , il me regarde benoitement. Un dossier est ouvert devant lui. Pas épais le dossier.
- Marceau Vancorcélis, mort, il y environ une heure en ce samedi 14 juin. Vous sortiez du cinéma l'Atalante. Vous confirmez ?
J'ai la risible impression d'être dans un commissariat de quartier, face à un flic désabusé, égrenant les faits d'une voix monocorde. Il ne manque plus que le cliquetis d'un clavier d'ordinateur, prêt à enregistrer ma déposition. Je lève un sourcil interrogateur. Je perçois une voix rocailleuse qui fredonne « Saint Pierre, donnez –moi la clé. Saint-Pierre, donnez –moi la clé. La clé, la clé eeeeh!» Du coup, je ne prête plus aucune attention à mon interlocuteur.
- Dites-le si je vous dérange ! lance-t-il avec des trémolos d'énervement dans la voix. J'ai quand même deux à trois petites choses à vous expliquer sur votre nouveau profil.
- Profil ? Quel profil? Vous vous croyez sur Meetic ou sur je ne sais quels réseaux sociaux ? Je suis mort, vous venez de le dire, et je suis pourtant en train de parler à ..., à qui d'ailleurs ?
Je darde un regard furibond au barbu qui reste de marbre.
- Mon nom est Dieu ou, Monsieur Dieu, si vous préférez. Faisons simple.
- Et si je vous suis bien, je me trouve au Paradis ? je réponds du tac au tac
- Pas exactement. Ce n'est pas non plus le purgatoire. Cela fait belle lurette que le concept a été jugé inefficace, pérore Monsieur Dieu. Vous vous trouvez dans un des locaux que possède mon collègue, Monsieur Lucifer. Le Paradis est actuellement en réfection. Et cela risque de durer un certain temps, soupire-t-il.
- Quoi ? Cette cave sordide ? Un local du Diable ? Vous avez de ces fréquentations !
Monsieur Dieu m'adresse un sourire en coin avant de lancer :
- Vous savez, le Bien, le Mal, le Paradis, l'Enfer, tout cela est dans le fond bien théorique. Il suffit de voir ce qu'en font vos congénères.
Je suis à deux doigts de perdre mon sang froid. D'ailleurs, vous devriez me rétorquer que mon sang, je l'ai bien perdu, vu que je me retrouve ad patres (mort, si vous préférez) et que pour être froid, y a pas mieux.
- Bon, revenons à vous, articule Monsieur Dieu. Je pense…..
- Voilà, ça y est, ça me revient ! je crie. Où est Saint – Pierre ? C'est Saint-Pierre, le taulier du Paradis, c'est lui qui a les clés. Donc, je devrais être face à Saint-Pierre, logique ?
Monsieur Dieu soupire à nouveau, tout en levant les yeux au ciel.
« Techniquement, vous avez raison. Mais, voyez-vous, c'est aussi la crise, ici, et j'ai donc dû me séparer de mon collaborateur. Restriction budgétaire.
- Vous avez viré Saint-Pierre ?
Ce coup-ci, Monsieur Dieu me jeta un regard torve, d'une noirceur abominable.
- Je vous ferai un cours d'économie céleste à l'occasion. Pour le moment, c'est de vous dont il s'agit. Qu'allez-vous devenir ? Quels sont vos projets ?
Je faillis m'étouffer.
- Des projets, vous rigolez, j'espère ! je coasse furax. Vous êtes un comique, Monsieur Dieu ! Au risque de me répéter, je suis raide mort. Des projets, j'en avais une floppée. Avant, j'ajoute en reprenant le souffle que je n'ai plus.
Un silence s'installe. Je suis heureux d'avoir cloué le bec à Monsieur Dieu. Il tapote d'un mouvement mécanique le dossier qu'il vient d'ailleurs de refermer. Une idée germe dans mon esprit.
- Y a bien un truc, qui serait dans vos cordes et qui, comme projet, me conviendrait parfaitement.
Monsieur Dieu pose sa main droite à plat sur le dossier, me fixe tel un marabout.
- J'écoute, articule-t-il.
- Je vous suggère de me ressusciter. C'est dans vos compétences. D'ailleurs, vous l'avez déjà fait. D'accord, c'était il y a bien longtemps mais c'est comme le vélo, cela ne s'oublie pas !! je m'exclame exalté.
- Et les miracles ? Qu'avez-vous accompli comme miracle ? me demande Monsieur Dieu en plissant le front. J'ai beau lire et relire les pages de votre dossier, pas de miracles à l'horizon. Votre C.V est plus que léger sur ce point là.
- Vous faites DRH également ? Je ne vous demande pas la mer à boire ! Si je comprends bien, à part Jésus, pas de résurrection possible pour le simple quidam.
Un séraphin s'introduit discrètement dans la pièce, posant un nouveau dossier sur le bureau de Monsieur Dieu. Contrairement au mien, sa couverture est orange.
- Hum, hum, marmonne Monsieur Dieu. Un condamné à mort américain. Cela faisait 20 ans qu'il croupissait en prison.
- Vous n'avez même pas ouvert le dossier et ……
- Je sais de quoi il en retourne grâce à mon code de couleur, m'interrompt le grand barbu en haussant le ton. Orange pour les exécutions capitales, rouges pour les accidents de la route, vert pour maladies. Et bien d'autres encore. Cependant, pour répondre clairement à votre suggestion, c'est non ! La résurrection, cela se mérite !
Agacé, Monsieur Dieu se saisit d'une énorme pile de dossiers qui encombrent l'angle droit de son bureau. Sans ménagement, il les fourre entre les bras du pauvre séraphin qui ne s' y attend vraiment pas. Ses trois paires d'ailes s'agitent comme prises de convulsion. Sous le poids des dossiers multicolores, il se met à osciller. On dirait un culbuto. Je ne peux m'empêcher de sourire. Un vrai sourire de mécréant qui n'échappe pas aux rayons X de Monsieur Dieu. Entre nous, depuis le début de notre entretien, c'est l'impression que me donne son regard. Très dérangeant ! Bref, d'une bourrade puissante, il éjecte le séraphin et claque la porte derrière le malheureux.
Avant même que Monsieur Dieu n'ait articulé une première syllabe, je me précipite vers lui, l'assoie énergiquement dans son fauteuil simili cuir tout en lui tendant un verre d'eau.
- OK. Je tire une croix sur ma demande de résurrection. Mais, concédez que ma mort est stupide. J'ai toujours tout bien fait. Pas un mot plus haut que l'autre. Citoyen, respectueux, j'ai été. Et je clamse à cause d'un pignouf qui visiblement, lui, ne respectait pas grand chose. Un addict du smartphone! Et qui est toujours vivant !!! Je bafouille en m'étouffant presque.
- Et alors ?
- Alors je veux me venger !
Que n'ai-je dit ! Monsieur Dieu tourbillonne sur lui-même à une vitesse stupéfiante. Un véritable cyclone tropical. La table, les dossiers, le verre d'eau bondissent vers le plafond. Je dois me cramponner à mon siège pour ne pas être ventousé à mon tour. Je sens mes os (mais, je n'ai plus d'os ! A n'y rien comprendre) vibrer. Je suis devenu une sorte de caisse claire, de tambour sur lesquels on donnerait de violents coups de baguette. Mes paupières s'ouvrent et se ferment frénétiquement. Qu'aurait fait mon héros britannique ?
- Allons Marceau, ne confonds pas la fiction et la vraie mort. Car, tu es mort !!! s'esclaffe une voix de dandy british que je ne reconnais pas.
Incroyable ! Le calme le plus absolu qui soit règne dans la pièce. Tous les objets sont revenus à leur place d'origine. Le bureau de Monsieur Dieu semble cependant plus en désordre que tout à l'heure, et …Mais c'est quoi ce délire ? C'est qui ce type qui siège sur le fauteuil de Monsieur Dieu ? Petit, costaud, le crâne dégarni, une moustache anglaise lui barrant le visage.
- La moustache ! Cela ne vous va pas du tout ! je m'écrie malgré moi.
- Je me présente : Lucifer ou Monsieur Lucifer, si vous préférez, dit-il sans tenir compte de mon intervention intempestive et tout en lissant sa fameuse moustache. Vous souhaitez vous venger, n'est-ce pas ?
Il me sourit à pleines dents. C'est fou comme je me sens en confiance ! Et je lui débite tout : ma mort, mon face à face avec Monsieur Dieu. Je ne peux m'empêcher de glisser un commentaire : « Pas très relationnel, ce Monsieur Dieu ! Pas très compréhensif, non plus. » Il hoche la tête, me sourit encore. Son regard bleu m'hypnothise. Lucifer avec les yeux bleus intense !! Je l'aurais jamais cru ! Et j'en arrive à ma première option. Avant la vengeance, voyez-vous, moi, j'envisageai surtout la résurrection !
« Erreur fatale !! » Une voix d'outre-tombe mugit ces deux mots. La tête de Monsieur Lucifer pivote ; elle tourne sur elle même, à 360° mais ce qui me fixe maintenant, c'est le visage de Monsieur Dieu. Et cette ronde infernale se poursuit. Une véritable sarabande. Côté pile, Dieu, côté face, Lucifer ou l'inverse, d'ailleurs. Je n'arrive plus à déterminer qui est qui ? En plus, ah oui, j'ai oublié de le préciser, mais tout en tournant, les deux visages ne cessent de s'invectiver. Tous les jurons y passent. (Je n'ose les répéter.)
Sans le moindre signe avant-coureur, le manège s'arrête. Un visage, deux moitiés différentes m'observent. Mi- Dieu, mi- Lucifer. Mi- moustache, mi- barbe. Vous voyez le tableau !! Une horreur ! Je tente d'adopter la posture du gars même pas étonné, flegmatique, à la James Bond quoi ! Vite ! Je dois faire preuve de finesse, d'humour, de détachement. Peine perdue ! Les mots restent coincés dans ma gorge. Lucidieu, lui (j'ai décidé de l'appeler ainsi), éructe un flot de borborygmes rugueux. Ma dentition, dans la foulée, se met à jouer des claquettes. Je me sens pitoyable. Alors, un sentiment de colère me submerge. Hurlera bien qui hurlera le dernier !
- Laissez – moi mourir en paix ! Oubliez tout ce que je viens de dire et rangez-moi ce regard de Gorgone apocalyptique ! Je suis mort, bêtement, c'est tout ! Ce que je suis, maintenant, c'est le manque. Pour mes proches. Ecoutez-moi bien monsieur Dieu ! Vous n'avez pas été à la hauteur de la situation. Qu'importe ! Quand à vous, Monsieur Lucifer, vous êtes à la tête d'une entreprise en constante expansion ! Bonne continuation et bien le bonjour chez vous !
Et tout en sifflotant le générique de Casino Royale, je tourne le dos à Lucidieu et m'évapore pour les siècles et des siècles. Amen.
C'est nuage rouge de anthelme hauchecorne^^ au fait, je voulais mettre ton texte en coup de coeur mais j'avais oublier, je corrige de suite cette erreur
· Il y a presque 9 ans ·Lolita Denoual
Merci.
· Il y a presque 9 ans ·Magali Gasnault
Bravo ! Dites... Cela ne donne pas du tout envie d'aller les voir, ces deux Messieurs ! Brassens l'a chanté: "Ou même à la grande rigueur ne pas mourir du tout."
· Il y a presque 9 ans ·astrov
Je suis infiniment d'accord!
· Il y a presque 9 ans ·Magali Gasnault
Merci pour ton commentaire. Je suis curieuse de lire la nouvelle dont tu parles. As-tu le titre précis?
· Il y a presque 9 ans ·Magali Gasnault
ça m'a bien fait rire, le ton m'a fait penser à une nouvelle du recueil baroque n' roll, c'est l'histoire d'un diabotin qui se fait retourner le cerveau par sa victime désignée, il décide de se syndiquer et en enfer il fait un procès à ses patrons
· Il y a presque 9 ans ·Lolita Denoual
Merci. Je me suis moi même bien amusé en l'écrivant.
· Il y a presque 9 ans ·Magali Gasnault
Formidablement bien écrit et à mourir de rire ! ...Ah ! non, pas Lucidieu !
· Il y a presque 9 ans ·Louve