Adeline
salander
ADELINE
Introduction :
Dans ce texte, j’aborde le sujet de l’homme moderne, qui doit rester protecteur mais montrer davantage son côté féminin, et de la femme moderne qui, tout en restant maternelle, doit se battre au quotidien que ce soit au niveau professionnel ou familial. Pourquoi sommes-nous en couple ? Sommes-nous sur terre pour procréer ? Quelle est la place du couple dans notre société ? Ce sont les principales questions que je pose en racontant l’histoire de Floyd, qui révisera ses propres jugements et gagnera en maturité.
Synopsis :
Floyd, 33 ans, célibataire, vendeur de télévisions, ordinateurs et autres dans un magasin haut de gamme, guide touristique bénévole dans sa ville, se morfond. Il vit seul dans un quatre pièces, aimerait avoir des enfants, devenir gérant, donner un coup de fouet à sa vie. Sa sœur Colette est sur le point de se marier. Frédéric, un de ses amis, marié, deux enfants, une maîtresse, lui propose d’utiliser internet et les autres moyens modernes de rencontres.
Entretemps il croise une jeune fille dans une laverie automatique, rencontre qui se passe mal (il lance une plaisanterie macho et se prend une baffe). Il oublie bien vite cet incident et s’inscrit à des sites de rencontres internet. Thierry, un autre de ses amis, lui apprend à draguer. Au travail, son gérant lui présente la nouvelle stagiaire, Adeline, qui est… la fille de la laverie automatique. Immédiatement le courant passe mal, elle se retranche dans les bureaux tandis que Floyd baratine les clients.
Floyd essaie également le speed dating et se retrouve inscrit malgré lui dans une agence de rencontres traditionnelles. Il croisera quelques filles sympas, dont une avec laquelle il parlera de la question existentielle « avoir des enfants ou non ? », mais il ne flashera sur aucune d’entre elles. Au travail, la situation reste tendue entre la stagiaire et lui. Ils ont néanmoins un hobby commun : la bande dessinée. Un financier s’intéresse à une série de téléviseurs pour équiper une de ses villas de vingt pièces – un gros contrat, que Floyd doit gérer au mieux (le magasin connaît des soucis économiques). Mais un des fils du financier flashe par photos interposées sur la sœur de Floyd. Ce dernier croit à une plaisanterie puis, constatant que ça n’en est pas une, essaie de tirer sa sœur de ce mauvais pas sans lui avouer le problème – elle est très émotive.
Frédéric, bousculé par son nouveau rôle de mec pris en étau entre une épouse émancipée et une maîtresse insaisissable, décide de fonder un café sentimental (pour que les mecs ou les filles puissent se rencontrer et parler de leurs problèmes…) Avec Adeline, les affaires s’améliorent vaguement. Floyd l’a revue devant la vitrine d’une librairie et ils ont prévu d’aller ensemble au salon du livre. Il se dit qu’elle est sympathique, drôle. Cependant, un soir, Floyd marche en ville et ignore un mendiant. Pas de chance, Adeline est dans les parages, elle lui fait la morale, ils se disputent et leur embryon d’amitié en prend un coup. L’échéance du mariage de Colette approche. Quelques jours plus tard, leur père est victime d’un malaise cardiaque à vélo. Cet incident bouleverse Floyd. Le mariage est repoussé, ce qui lui permet de mettre en place un stratagème avec son ex, Meredith, pour régler le cas du fils du client qui veut épouser Colette (stratagème qui tourne en dérision les horoscopes et autres arnaques de voyantes extralucides). Le fils en question jette son dévolu sur une autre femme et le mariage entre la sœur et son petit ami aura lieu. Un jour, au bureau, Floyd se laisse aller et pleure aux toilettes à cause de l’accident de son père. Il montre enfin ses émotions, Adeline le surprend et craque complètement. Enfin elle comprend que derrière la façade macho de Floyd se cache une sensibilité et un côté plus « féminin » qu’il ne veut pas montrer mais qui la touche. De son côté, il la voit s’occuper de petits vieux dans un parc, boulot bénévole, ce qui l’émeut aussi beaucoup.
Tandis que le père de Floyd se rétablit, ce dernier fête son anniversaire et reçoit un cadeau anonyme, une bande dessinée rare dont il avait parlé avec Adeline. Il la soupçonne, même si sa sœur ou le financier ont pu lui faire une surprise. Dans le doute, Floyd interroge Adeline qui s’étonne. Ce n’est pas elle. Le mariage de Colette a lieu. Le financier décide finalement d’acheter chez Floyd. Du coup, la promotion de Floyd et l’avenir du magasin sont assurés. Quelques jours plus tard, durant la pause, il boit un verre avec Adeline qui lui avoue être l’auteur du cadeau (la bédé). Ils se sourient, c’est l’heure de reprendre le travail. Floyd est en train de tomber amoureux. Il décide, avant une visite guidée nocturne de la ville, de se rendre chez Adeline et de lui avouer son trouble. Personne chez elle. Il balade les touristes et autres clients, tombe sur Adeline qui tient un panneau sur lequel est écrit : je t’aime, Floyd. Ils s’embrassent sous les applaudissements des touristes.
Chapitre premier : La vie est belle
Le balcon de mon appartement donne sur un parc magnifique, flanqué d’arbres et de parterres floraux, tapissé d’un gazon aussi bien tondu que celui d’un fairway et interdit aux chiens. Un chef-d’œuvre. Confié aux bons soins d’un homme compliqué et méticuleux – la gérance l’a choisi exprès – prénommé Ertrogül. Ce type ressemble à un rugbyman gonflé aux stéroïdes anabolisants et veille sur son joyau tel Picsou sur son or. Depuis le quatrième étage, je surplombe cette huitième merveille du monde. Comme j’aime le travail bien fait, je ne suis pas déçu. L’odeur de la terre humide, le camaïeu de verts, le souffle du vent qui folâtre entre les tiges des fleurs… Je me nourris de cette nature apaisante – pas trop quand même, la contemplation ça va un moment mais on finit par se lasser.
En ce jeudi soir, d’ailleurs, la solitude m’angoisse. Les quatre pièces de mon appartement me paraissent démesurées, j’ai l’impression que des meubles ont disparu. Même la cuisine, que beaucoup d’amis trouvent exiguë, me semble immense. Je me retrouve tout à coup chez moi comme dans un pantalon trop grand. J’ai peur d’y glisser, de me perdre, de tomber dans le néant.
C’est bizarre.
D’habitude je me porte mieux que ça. J’ai trente-trois ans, je suis propriétaire de cet appartement spacieux avec vue sur le paradis, les soucis d’argent ne me concernent pas, bref je ne suis pas à plaindre. Pourtant, quelque chose cloche. Un peu d’alcool me ferait du bien. Je sors une bière du frigo, le liquide glougloute et mousse en se déversant dans le verre, j’ajoute une lampée de Picon pour la couleur et l’amertume. J’adore ce mélange et le déguste au salon, étendu sur le canapé, un paquet de biscuits à portée de main. Ensuite je m’abrutis devant la télévision en vidant un plat de lentilles froides – reliquat d’une salade. Ce n’est pas que je sois un accro du zapping mais un bon lavage de cerveau, de temps en temps, ça remet les choses en place. J’ingurgite films, séries, magazines, pubs jusqu’à l’indigestion en raclant le fond du plat, pour finir mon bras plonge mécaniquement dans le paquet de biscuits, de temps en temps je me lève pour vidanger et reprendre un Picon-bière, enfin je m’endors…
… Et me réveille aux environs de minuit, la bouche sèche, avec l’impression que toute la nourriture est figée dans mon estomac et que mes cheveux sont collés sur mon crâne.
Même si ma conscience professionnelle m’ordonne d’aller me coucher, je regarde le film Walk on the moon (le choix d’une vie), avec Diane Lane et Viggo Mortensen. Une femme mariée trop jeune et un hippie qui s’aiment le temps du festival de Woodstock. Le romantisme du sujet, leur insouciance… Je frémis, le vide de mon appartement m’angoisse à nouveau, on dirait qu’il m’aspire tel un trou noir. Je fixe le fond du plat où quelques misérables lentilles se courent après et je me demande depuis combien de temps je n’ai plus embrassé une femme.
Une éternité.
Je ne connais pas exactement le nombre de jours écoulés depuis ma rupture avec Meredith, mais ils doivent approcher les sept cents. Presque deux ans. Deux ans… Si je ne me retenais pas, je pleurerais. Colette est sur le point de se marier – avec un type pas très intéressant, mais voilà… – mes parents s’inquiètent parce que je n’ai personne dans ma vie, je suis en manque affectif, ma frustration sexuelle déborde comme le lait sur le feu, un baiser, une caresse… un petit déjeuner en tête à tête. J’ai envie d’éprouver le même feu intérieur que les personnages du film, j’ai envie d’être amoureux, de compter pour quelqu’un, de partager de la tendresse, et puis je veux des enfants, sans enfants quel peut-être le sens de la vie ?
Presque deux ans. J’estime le nombre, j’additionne, j’obtiens le chiffre de sept cent soixante-sept jours exactement depuis mes derniers ébats avec Meredith. C’est beaucoup. Une véritable traversée du désert, qui me donne soif d’ailleurs. Je vais chercher une autre bière, sans Picon. La seconde partie du film devient moins sensuelle. Diane Lane se demande si elle a bien fait de succomber au charme du hippie. Cette vie bohème, désécurisante, ne lui convient pas tant que ça et sa famille se disperse dans le chagrin. Je bois ma bière d’un trait, rote sans mettre ma main devant ma bouche, m’en veux de régresser ainsi puis me traîne sous la douche. Demain, comme le souligne la sagesse populaire, ça ira mieux.
Mais la sagesse populaire, je m’en fous. Pourquoi cela irait-il mieux demain ? Je prends de l’âge, je suis seul, je dois me fixer une échéance.
Nous sommes le 5 mai, dans quatre mois (le 6 septembre) je fête mes trente-quatre ans. Le 7, au plus tard, j’ai une femme dans ma vie.