Tout pour être heureuse ? - Concours Flammarion

magadit

Synospsis

Pas facile d'être belle jeune riche intelligente et bronzée. Pas facile d'avoir le beurre et l'argent du beurre. Pas facile d'assumer son bonheur conjugal quand on n'est pas sure d'avoir choisi sa voie. Cette histoire est l'histoire d'un réveil un peu brutal, d'une chute, d'un déclin mais pas que. Cette histoire est l'histoire d'une femme qui démonte pièce par pièce son bonheur de pacotille pour enfin croquer sa vie à pleines dents, une vie qu'elle aura choisie, un peu bancale peut-être, un peu loufoque surement, pas parfaite mais sa vie à elle, loin des codes et des idées préconçues. C'est l'histoire d'une femme qui n'a pas renoncé à l'amour avec un grand A et qui pourrait bien le trouver. En tout cas elle y croit et elle est prête à tout essayer pour y arriver... surtout au pire.

Texte

Le verdict est tombé comme ça, sans prévenir. C’est toujours comme ça avec les coups bas notez, personne ne lance jamais un communiqué de presse avant d’enfoncer un poignard dans le dos de son voisin. Ça se saurait. L’empire de Rome serait toujours debout, et les Spice Girls chanteraient toujours Wannabe en tortillant des fesses.

Non, c’est toujours un proche qui a la main assez longue pour percer vos défenses. C’est toujours la famille qui frappe le plus fort avec un sourire innocent. A bien y réfléchir j’ai bien du déjà être ce judas déversant son venin à tort ou à raison. J’ai du moi aussi attaquer sans prévenir. Mais grande prêtresse de la mauvaise foi oblige,  ne comptez pas sur moi pour l’avouer.

Je ne me souviens plus comment c’est arrivé. C’est arrivé. Je sonde ma mémoire, difficile de me souvenir. Entre nous, avoir un ancêtre poisson rouge ne me facilite pas la tâche. A moins que ce ne soit encore l’une des joies de la maternité. Il parait qu’un accouchement transforme la plus brillante des working girl en la plus benoite des Madame Cuningam. Je ne sais plus donc. Je ne sais plus non plus exactement comment l’attaque est venue. Je ne pourrai pas me lancer dans un interminable descriptif de ce jour là, de la chaleur de l’été, du vent dans les arbres, d’un accouplement de moineaux dans le pré du coin. Je me souviens simplement qu’il y a eu un avant et un après.

Je me rappelle de mon bourreau, bien évidemment. C’était Elle, Bichette, ma meilleure amie. Je sais que ce jour là j’avais l’impression de trainer la patte. Je tournais encore en rond, sans savoir trop pourquoi. Elle était venue comme tous les jours, pour rien comme ça, pour papoter entre filles (traduction : pour dauber sur la nouvelle femme de son ex). C’est l’avantage de vivre à coté, on s’aime 24h/24. Elle est venue donc, et entre deux clopes, devant un petit verre de blanc elle m’a brisé le cœur. Si si, ni plus, ni moins. Elle m’a sourit, a regardé autour d’elle, a salué ma nouvelle décoration pop art néo design, né du 3ème relooking des 6 derniers mois, a soupiré et au bout d’un long monologue m’a lancé l’estocade finale :

« Non vraiment je suis jalouse. T’as vraiment tout pour être heureuse. »

Ah.

Au fond, tout au fond je savais que cela aurait du me réjouir, que j’aurai du gonfler la poitrine, rougir bafouiller et afficher mon sourire le plus niais.

Or au contraire, j’ai surtout eu envie de lui enfoncer la bouteille de blanc en travers de la gorge. Et si ce n’était par respect pour les traditions vinicoles françaises, je pense que je l’aurais fait. J’aurais assassiné mon amie, étouffée au goulot, j’aurais fait la Une des tabloïds, rubrique faits divers. J’aurais eu mes 15 minutes de célébrité, je serai peut être même passée dans une émission de TV, pour expliquer le drame des femmes qui ont tout pour être heureuse. « Mais comment est-elle arrivée là ? Mesdames, et messiers ce soir en exclusivité nous allons vous expliquer comment une gentille mère de famille, trucide sa meilleure amie dans sa cuisine ».

Je ne sais pas vraiment pourquoi j’ai réagi comme ça. Ma violence m’a prise par surprise. J’ai eu envie de meurtre. Je ne sais pas comment j’ai réussi à ne pas fondre en larmes. La peur de ruiner mon maquillage peut être. La peur d’avoir à mettre des mots sur mon malaise sans doute, sur ce sentiment urgent d’avoir besoin d’un triple pontage. J’ai simplement commencé à retourner ça dans tous les sens dans ma tête de trentenaire épanouie. J’ai même essayé la méthode Coué.

Démonstration : alors voilà, je m’appelle Samantha, je viens d’avoir 32 ans. J’habite un pavillon de banlieue avec mon mari, Jean-Pierre, et ma fille Tabatha. Quand je ne tortille pas du nez, j’ai un bon boulot. Je bosse dans la communication, dans la com’ comme on dit. C’est un bon job, mais dans ce milieu faut jamais avoir l’air d’avoir obtenu ce qu’on voulait alors je mens. Je roule en Mini, j’ai un dressing de la taille d’un stade de foot. J’ai plein d’amis. Tout plein.

Je suis 200 clichés à moi toute seule. Je suis la blonde, je suis la mère juive, pas juive. Je suis parfois une pute à frange, parfois une bonne mère de famille. Je suis une bonne épouse. Enfin le plus souvent une épouse tout court.

Ma mère m’avait fait une petite check list et me la répétait pendant que je prenais mon biberon. J’ai coché toutes les cases.

Voilà voilà voilà.

Je suis tout ça. J’étais tout ça.

J’avais tout pour être heureuse.

J’avais tout, et même un peu de rab’. J’avais tout pour être heureuse mais je soignais mon bonheur à coup de Lexo. J’arrosais ma joie à coup de somnifères. Je cultivais les névroses comme on fait son potager, je finançais la Porsche de mon psy. Je picolais comme un homme et fumais comme un camionneur.

Tout allait bien avant donc au pays du déni. J’étais une autruche de compet’, une menteuse de première. J’étais normale, moyenne, médiocre, mais avec énergie, jusqu’à ce skud meurtrier.

Ah elle m’a eu la garce. Elle se disait mon amie celle qui m’a crié « surtout ma chérie ne regarde pas en bas », alors que j’avançais en grande funambule sur mon câble tendu. Elle savait que j’ai le vertige pourtant. Et moi, comme une conne, j’ai regardé…

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