Aimer à en perdre la tête

kira

Elle avait les cheveux longs, sombres reflets châtains qui tombaient en cascade le long de ses frêles épaules. Ils avaient ce côté attrayant qui incitait n'importe quelle main à un fabuleux voyage dans cette obscure forêt capillaire aux reflets atténués par l'éclairage ambiant. Tout était plus lent, plus appréciable et emplit d'une grande sérénité amoureuse dans cette chambre embrumée et à demi éclairée.

Dans un rire léger et spontané, elle se tourna vers lui et il ne put réprimer un sourire à la vision de ce visage angélique sublimé par des yeux sombres au fond desquels beaucoup s'étaient déjà égarés. Ses fines lèvres bougeaient de manière régulière sans qu'aucun son ne puisse en sortir. Cet inaudible murmure se prolongea à mesure qu'il la serrait de plus en plus fort contre lui avant de se muer en indicible grimace de douleur. Il ne l'entendait plus, et le lit sur lequel ils étaient tous deux confortablement lovés l'un contre l'autre quelques secondes auparavant se mua peu à peu en un  large puits dans lequel elle sombra la première malgré le fait qu'il l'agrippait fermement. La pièce toute entière tangua et se mis à vibrer, renversant tous les objets et cadres photos disposés au gré des étagères de cette chambre minimaliste. Il chuta lourdement sur le parquet après une secousse plus brutale que les autres et tomba nez à nez avec l'un des petits cadres cerné de bois à la glace brisé. Sur le cliché parsemé de bris de verre figurait un homme seul assis au bord de la mer. Elle était partie. Il ne la trouvait pas, elle n'était nulle part.

"Où est-elle ?"

La chute le réveilla dans un demi-sursaut, ses yeux s'ouvrirent trop vite et il lui fallut quelques secondes afin de s'habituer aux décors qu'il avait abandonné quelques heures plus tôt. De l'eau de pluie se mêlait à la sueur qui couvrait son visage. La vétuste lucarne qui servait de fenêtre dans ce compartiment avait visiblement cédé et c'est un flot continu d'eau qui pénétrait depuis dans la mince alcôve à demi ouverte qui émettait un crissement strident à chaque à-coup que le train subissait. Il recouvra peu à peu ses esprits et parvint à resituer l’endroit où le gigantesque monstre d'acier devait se trouver. Les effluves marins qui parvinrent jusqu'à ses narines confirmèrent rapidement ses supputations. Il sortit une cigarette du paquet qui était posé sur la tablette devant laquelle il trônait mollement puis l’alluma d’un geste répété un nombre incalculable de fois. La fumée se diffusa rapidement dans l’espace à demi clos au rythme des bouffées qu’il aspirait successivement en fixant le paysage à travers la fenêtre de son compartiment.

L’astre solaire se voyait sur le déclin, n’éclairant plus que partiellement les steppes si particulières de ce lieu du sud de la France qui semblait être désolé en dehors des périodes estivales de l’année. Les différents bourgs traversés ne montraient pas âme qui vive, dévoilant ainsi des montagnes et des vignes grisonnantes aux teintes fantomatiques. Il ne pouvait s'empêcher de ressentir un âpre sentiment de solitude dans cet espace cloisonné. Son seul bagage intercalé entre la paroi de métal froid et son propre corps constituait la seule compagnie à laquelle il s'accrochait fermement.

Il ne put réprimer un sourire lors d'une énième et discrète ouverture afin d'en vérifier le contenu. Tout était bien en place, ils seraient bientôt arrivés : la côte Méditerranéenne n'était plus très loin.

"La bas nous serons bien, tu verras."

Gruissan était une ville au charme particulier, ses allures de grand village aux maisons anciennes renforçaient l'aspect singulier du lieu. Le lac qui en bordait la partie la plus recluse était parsemé de barques pourrissantes à moitié voilées par une brume de saison coutumière. Il sillonna les ruelles désertes pendant un moment, se remémorant d'anciens souvenirs au fil de ses pérégrinations. La plupart des commerces étaient fermés, et c'est après avoir erré comme une âme en peine au sein de la vieille ville qu'il prit la direction de la plage et des nombreux cabanons qui la bordait. La brise était légère, chargée d'un vent marin qui remontait le flux de l'eau jusqu'à s'abattre avec douceur sur la côte. Il marchait lentement, l'épais sac noir battant son flanc au rythme de ses pas pendant que sa silhouette se mouvait entre les vétustes constructions de bois inhabitées. La plage était à l'image du reste : déserte.

Parvenu face à la mer, il déposa le sac à même le sable et s'assit avec lourdeur en prenant quelques instants pour profiter de l'embrun naturel. Il l'ouvrit avec précaution et délicatesse, révélant une masse sombre qu'il ne put se résigner à effleurer avec douceur. Ses mains finirent par plonger au fond afin d'en sortir le contenu.

"Lucy..."

Sa peau était blanchâtre et glacée, tapissée d'un voile sanguinolent qu'il s'empressa d'essuyer avec le revers de sa manche. Entre ses doigts endoloris reposait une tête tranchée au faciès figé et aux cheveux bruns. C'est ainsi qu'il eut le sentiment d'être définitivement lié à elle, et son visage ne put réprimer la satisfaction qui grimpa en lui à ce moment précis. Maintenant il était serein, et tout irait bien.

Jusqu'à ce qu'il tombe à nouveau amoureux.

  • Drôle de voyage. le côté obscur de votre personnalité que vous décrivez ressort, mais il y a des passages dans cette traversée ferroviaire bien décrits toutefois... Sauf que le train n'arrive pas jusqu'à Gruissan, loin de là, il s'arrête à Narbonne... On dirait que vous vous ingéniez (je dirai presque forcez) à noircir les tableaux, exemple, les barques pourries... En fait, il y en a très peu...c'est pour le décor, les touristes... Et je suis très déçue que vous n'ayez pas mentionné la tour Barberousse??? Mais Gruisan n'était pas le but de votre voyage... n'est-ce pas?

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Yoda 24 04 09 002 92

    yoda

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