Alice aux pays des nouvelles
vaureal
ALICE AUX PAYS DES NOUVELLES
Il existe un pays merveilleux que l’institut géographique national n’a pas encore dessiné sur le globe. Pour connaître son chemin il faut fermer les yeux, ne penser à rien, se laisser porter par la lumière du matin, suivre les papillons, les abeilles, le pollen des fleurs. Il est essentiel de s’abandonner aux multiples parfums du matin pour cueillir les mots dans chacune des fleurs car le pays des nouvelles exhale de ses senteurs.
Chaque jour, Alice est guidée par la voix de la femme qui chante les nouvelles. La main du vent lui prend la main et l’emmène jusqu’à la prochaine histoire. Alice s’imprègne des messages des fleurs, des cailloux qui glissent sur ses chaussures et lui parlent tout bas. Elle est guidée par le bruissement des feuilles des arbres, le chant des oiseaux, l’eau qui coule et fredonne une comptine. Ce pays extraordinaire réclame une âme innocente pour entendre tous les récits qui s’échappent de la nature. Alice, aveugle depuis son enfance, chemine cette route pour rencontrer cette femme conteuse qui lui décrit le monde qui l’entoure, l’embellit parfois et lui fait vivre à travers elle les promesses de la vie.
Ce matin est différent des autres car une catastrophe est arrivée dans la nuit, une pluie diluvienne s’est répandue dans la vallée, l’encrier de la conteuse s’est renversé et personne ne sait si elle a pu survivre à ces giboulées dévastatrices à l’intérieur de sa petite maison. Les ruisseaux portent des mots désordonnés, les fleurs sont des boutons d’encre, la terre colle aux chaussures et laissent des empreintes douloureuses. Les mots ont fondus comme neige au soleil et s’infiltrent dans le sol. La maison de la conteuse a disparue et le rêve d’Alice aussi.
Alice est perturbée, coure dans tous les sens. Les fleurs, les arbres se sont tus. Elle ne ressent plus rien, elle est vraiment aveugle. Elle s’accroche aux branches des arbres, tombe, se relève, pleure. Elle est perdue. Dans sa course, elle glisse dans un trou, la main de l’arbre n’a pu la retenir. Elle tourbillonne dans le gouffre comme un papillon endormi.
Alice plonge dans cette boue de mots qui fond au fur et à mesure de sa descente. Les points d’interrogation s’accrochent comme des boules de noël sur les roches pointues des parois. C’est tout un univers de questions qui l’interroge pendant sa chute vertigineuse. Ses jambes culbutent des branches mortes qui se brisent à son passage. Ces pieds rebondissent sur un coussin de mousse. Son corps enfin se stabilise sur la page blanche d’un livre. Alice tend l’oreille, entend une voix qui lui chuchote :
− Par ici Alice, entre dans le pays des nouvelles.
Alice se relève, tâtonne avec ses mains agiles son nouveau univers mais ne retrouve aucun de ses repères.
− Je ne vois rien. Je ne reconnais rien. Je suis perdue dans un monde totalement inconnu.
− Tu es dans la grotte de papier. Tu es entrée au cœur du pays des nouvelles. Les lettres se promèneront tout le long de ton chemin. Ramasse-les et forme des mots.
Alice se relève, accroche avec son pied au fur et à mesure de sa marche des voyelles, des consonnes qui grimpent le long de ses jambes. D’un coup, trop volumineuse, elle tombe. La voix lui recommande :
− Ecris Alice, les lettres t’invitent à la création littéraire.
Alice consternée lui répond :
− Je ne sais pas écrire, je suis aveugle !
La voix l’encourage.
− Assemble les lettres, elles sont magiques, elles se forment comme un puzzle.
Alice respire profondément, se concentre, rassemble tout son courage, commence à réunir au hasard de la découverte les voyelles et les consonnes. Au contact des unes et des autres une sorte de magnétisme les attire, s’unissent comme un anneau autour d’un doigt. Elle réussit à écrire « il était une fois ».
Quelqu’un gratte la terre énergiquement derrière son dos et prend la parole.
− Je suis le lapin, le lapin malin. J’écris comme un crétin. Je mélange les mots, les phrases. Je suis l’ennemi des parchemins. Connais-tu les parchemins ?
− Non, je ne les connais pas !
− Viens, boire une tasse d’encre. Les parchemins sont les valets de la reine et la reine est méchante. Dans son château de livres, elle vole tous les écrits.
− Vraiment et pourquoi ?
− Bois cette tasse d’encre avec une feuille sucrée de poèmes. C’est délicieux et surtout ce sont les derniers. La reine veut le pouvoir !
− Quel pouvoir ? Où suis-je exactement ?
− Voyons, tu es au pays des nouvelles. La reine capture les écrivains, les enferment dans son château. Jour et nuit, ils sont obligés d’écrire pour elle, sinon on leur coupe la tête !
− C’est horrible ! Pourquoi fait-elle cela ?
− Pour enrichir son domaine !
Pensive, Alice boit le contenu de sa tasse silencieusement. Elle comprend maintenant pourquoi son monde a été anéanti. La reine, gourmande a capturé les belles histoires qu’elle écoutait aux bords des chemins et emprisonné la femme qui les écrivait.
− Lapin, tu vas m’aider à écrire une histoire pour que je puisse entrer dans le château et libérer tous les prisonniers.
− Je suis un lapin crétin, je ne suis pas le meilleur écrivain !
− Et moi, je ne vois rien. Tu écriras pour moi.
Le lapin soupire.
− D’accord Alice ! Je vais sortir plusieurs feuilles que j’ai gardées précieusement. C’est dangereux, les parchemins vont se dérouler et venir jusqu’à nous. Ce n’est pas malin !
− Que veux-tu faire lapin malin ?
− Ma tanière mène au château, il suffit de le suivre jusqu’au bout du tunnel !
− Bonne idée, mais je suis trop grande. Comment veux-tu que je rentre à l’intérieur de ce trou ?
− Mange moi ! Non je suis un crétin. Tiens, bois cette potion magique et tu seras de la même taille que moi !
− Et je resterai petite toute ma vie ! Je peux te faire confiance ?
− Non, la potion fait son effet une heure, deux heures peut-être, pas plus ! Oui, tu peux me faire confiance.
Alice n’a pas trop le choix et boit le remède magique, hoquette plusieurs fois et chaque fois elle sent sa taille diminuée. Elle tressaute lorsqu’elle effleure les moustaches du lapin. Ses yeux lui piquent fortement et tousse plusieurs fois d’où sort des lettres de toutes sortes de sa bouche.
− Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Je vomis des lettres et mes yeux me font mal ! Je vais mourir !
− Ce n’est pas possible Alice !
Alice épuisée s’assied et se frotte les yeux. Au moment de les ouvrir, elle est éblouie par une lumière vive. Elle touche un pompon blanc qu’elle met immédiatement à sa bouche.
− Aie !! Eh Alice je ne suis pas à manger !
− C’est toi le lapin ? Je vois, je ne suis plus aveugle !
−Merveilleux ! Mais lâche donc ma queue !
− C’est grâce à la potion magique ! Donne-moi la bouteille toute entière !
− Il n’en est pas question, pas d’alcoolique de potion chez moi et tu pourrais devenir aussi petite qu’une poussière ! Allez, il est temps de partir au château.
− Oui, c’est vrai, allons au château sauver nos malheureux écrivains !
Alice et le lapin avancent d’un pas rapide dans le terrier plongé dans les ténèbres. Le temps est compté. Le lapin ne se souviens plus très bien combien de temps Alice pourra rester à cette taille. La notice de la bouteille a disparue en même temps que les autres écrits.
− Je suis de nouveau aveugle je ne vois plus rien !
− Non, j’allume une torche ! Allez, il faut avancer maintenant.
− Oui, dépêchons nous, je me sens pousser des ailes !
− Ah non !! Pas de papillons dans ma tanière !
− Non, non, c’est une expression, je suis toujours Alice !
Le lapin marmonne dans ses moustaches « oh les filles on m’avait bien dit que c’était
difficile ! »
Le lapin bredouille tout le long du chemin et Alice s’émerveille sans cesse des effets de la lumière de la torche sur les parois. Ils aperçoivent enfin le soleil au bout du terrier. Le lapin ordonne le silence car le monde du dehors est impitoyable.
− Alice nous devons escalader ce mur ou creuser pour passer de l’autre côté. Je crois qu’il sera préférable de creuser. Je vais te montrer comment il faut faire.
Le lapin commence à agiter ses pattes de derrière activement, Alice limite.
Ils arrivent à passer en dessous de la muraille et Alice est émerveillée par la beauté du château. Il est en papier imprimé de lettres. Les fenêtres sont en forme de « O » et les portes en « D ».
Alice s’exclame !
− C’est magnifique !
− Silence Alice, les parchemins se confondent avec l’aspect du château et ils peuvent nous entendre ! Viens l’entrée des prisonniers est par ici.
Ils se faufilent tous les deux en silence dans un souterrain. Les parchemins font la ronde et les petits sauveurs littéraires ne pourront entrer sans être vu.
Le lapin sort du dessous de ses poils une potion.
− Bois cette potion Alice, elle nous rendra transparent pendant une petite heure !
− Ce n’est pas dangereux toutes ses potions. Je vais peut-être redevenir aveugle !
− Je ne sais pas mais nous devons libérer les écrivains au plus vite. Ils s’épuisent et bientôt la reine les tuera.
− C’est affreux ! Buvons !
En quelques minutes les contours de leur silhouette s’effacent et ils s’aventurent dans le tunnel. Les torches des parchemins bougent à leur passage et les gardiens lèvent la tête intrigués. Alice et le lapin arrivent dans une grande salle où courbés les écrivains grattent le papier sans relever la tête. Certains s’endorment et les parchemins claquent le fouet à leur côté pour les réveiller. Des livres sont entassés par centaine de chaque côté des murs de la prison. Des feuilles écrites sont relevées chaque demi-heure par celui qui en a la responsabilité. A la nuit tombée, après avoir trié les écrits du jour et remarqué la noble plume, un lecteur lit au moment du coucher le nectar de la meilleure nouvelle à la reine.
Le lapin s’avance vers un des écrivains.
− Surtout ne parlez pas, je viens vous libérer. Tenez buvez une goutte de cette potion magique et passez la à votre voisin.
Sans un mot l’écrivain s’exécute et passe la potion à ses voisins. Les hommes s’estompent comme des chandelles consumées et filent transparent vers la porte de la sortie. Le lapin conseille à ses nouveaux amis de courir le plus vite possible vers la grotte de papier avant que la potion magique ne fasse plus de répercussion sur son corps. Alice encore transparente commence à grandir et devient une géante à côté de ses amis. Les écrivains se bousculent au fur et à mesure de la poussée volcanique d’Alice pour ne pas qu’elle les écrase.
Au loin, les parchemins donnent l’alerte. La reine est rouge de colère.
− Qui s’est permis de voler mes écrivains ! Qui s’est permis de me ridiculiser ainsi ! Qu’on leur coupe tous la tête !!
La tête d’Alice tourne. Elle se sent tout à coup très étrange.
− Alice, réveilles toi, Alice !
Alice ouvre les yeux, se retrouve dans la boue sous un arbre avec une tonne de livres pour couverture. Sa mère est auprès d’elle et essaye de la relever.
− Alice, tu te fais du mal avec ces livres. Tu sais bien que tu ne peux pas les lire.
− Je vois maintenant, je pourrai lire grâce au lapin malin et crétin !
− Je ne comprends pas ce que tu me dis mais si tu as retrouvé la vue, c’est magnifique, un miracle à la veille de Noël.
Alice reprend le chemin de sa maison. Elle aperçoit au loin la femme qui lui racontait des histoires, lui sourit, lui fait un signe de la main.
Il existe un pays de nouvelles qui raconte notre histoire. Faut−il tomber dans un trou pour voir le soleil au bout du tunnel ?
'Je ne vois plus le jour qu'au travers de ma nuit....' Jules SUPERVIELLE. Et puis aussi, c'est dans l'obscurité que la lumière trouve toute sa raison d'être. Ici on parle de ce qui se complète, ailleurs (Et là je préfère), on parle d'harmonie........Merci pour ce poème, j'aime décidément beaucoup votre personnalité.......Cette pureté et cette spontanéité qui se dégage de vous....Merci de vous !
· Il y a presque 12 ans ·albatros
joli conte et captiivant une revisite d'un conte célèbre avec cette légèreté qui m'a plus bravo
· Il y a presque 12 ans ·franek
J'ai lu la première page... je viendrai lire la suite demain !
· Il y a presque 12 ans ·Pour moi qui transforme tout ce que je vois en mots (que j'espère sensibles), le début de cette nouvelle me parle beaucoup !
carmen-p