Ana, ma tempête

Caïn Bates

Autrefois, quand mars en larmes revenait, 
Je partais, je quittais tout ce qui me connaît, 
Je m'évadais; le monde s'effaçait; rien, personne! 
J'allais, je n'étais plus qu'une ombre qui frissonne, 
Je fuyais, seul, sans voir, sans penser, sans parler,
Sachant bien que j'irais où je devais aller ;
Hélas! je n'aurais pu même dire: Je souffre! 
Et, comme subissant l'attraction d'un gouffre,
Que le chemin fût beau, pluvieux, froid, mauvais,
J'ignorais, je marchais devant moi, j'arrivais.
Ô souvenirs! Ô forme horrible des collines! 
Et, pendant que la mère et la soeur, orphelines, 
Pleuraient dans la maison, je cherchais le lieu noir
Avec l'avidité morne du désespoir ; 
Puis j'allais au champ triste à côté de l'église ; 
Tête nue, à pas lents, les cheveux dans la bise, 
L'oeil aux cieux, j'approchais; l'accablement soutient; 
Les arbres murmuraient: C'est le frère qui vient! 
Les ronces écartaient leurs branches desséchées; 
Je marchais à travers les humbles croix penchées, 
Disant je ne sais quels doux et funèbres mots; 
Et je m'agenouillais au milieu des rameaux 
Sur la pierre qu'on voit blanche dans la verdure.
Pourquoi donc dormais-tu d'une façon si dure 
Que tu n'entendais pas lorsque je t'appelais ?! 

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