Anecdotes

Anecdote une.

La première fois que j'ai porté des lunettes, je me suis fait peur face au miroir de la salle de bain.

Putain, je ne me voyais pas ainsi. Je ne me connaissais que dans les brumes d'un brouillard flatteur. Le flou artistique généreux des poètes. Avançons masqués par la poésie.

La réalité franche et massive me disait à présent. « Putain, qu'il est moche, l'autre ! » En fait, je ne le reconnais pas mon reflet. J'ai mis six mois à m'y habituer. On s'habitue à tout. Il est toujours aussi moche, mais aujourd'hui, je m'en fous.

Anecdote deux et fin

Dans cinq ans, c'est décidé, je me suicide.

Je sais que je m'étais déjà dit ça, il y a cinq ans. Mais là, c'est la bonne. Ca me laisse le temps de m'y préparer et d'envisager le passage à l'acte.

Premier point technique, comment me suicider ?

Tout de suite, on pense à des suicides flamboyants. S'élancer en feu d'une falaise en flammes, alors qu'on ne sait même pas nager. Mais pour moi, c'est impossible, j'ai le vertige.

Il aurait bien aussi, se jeter sous les rails d'un RER. Ca aussi, ça a du panache, mais je ne prends plus les transports en commun.

Alors, c'est toujours la même chose, il ne me reste que les suicides minables des médiocres. Les médocs. Retrouvé dans ses dégueulis. Lamentable et pitoyable.

Tant pis, je me suiciderai dans dix ans, la pharmacologie aura fait des progrès.

Anecdote trois et fin, mais pour de vrai, cette fois.

J'étais invité chez des gens que je ne connaissais pas tellement et en arrivant, j'étais confus, car la fermeture éclaire de ma parka était coincée.

Des gens très gentils, ils s'y sont tous mis pour essayer de la débloquer. Rien à faire.

Mais comme ils étaient très gentils, tous enfilèrent leurs manteaux pour déjeuner. On n'a pas eu froid.

Anecdote quatre et je n'annonce plus rien.

- Tu pourrais être à l'heure, pour une fois.

- Excuse-moi de bosser.

- Ne t'excuses pas. Je sais qu'il y a des gens qui ont besoin de ça pour vivre.

- La majorité de la population, en fait.

- C'est fou, comme on peut être conditionné par une mauvaise habitude.

Anecdote cinq et c'est tout !

Compter les oiseaux dans son jardin. C'est bien. Dans le jardin des voisins, c'est triché. On ne compte pas les oiseaux qui survolent le jardin sans poser patte, mais uniquement les oiseaux qui s'y arrête pendant plus de quatre heures, trente-quatre minutes.

Moi, je compte. Quand je suis arrivé dans cette maison. Il y avait plein d'oiseaux partout dans le jardin. J'étais obligé de les chasser au lance-pierre. Vingt ans plus tard, ils se sont raréfiés comme mes cheveux. Il avait raison Alain Bougrain-Dubourg. Les oiseaux disparaissent. C'est peut-être parce que je fume à la fenêtre de mon jardin. Et là, c'est vraiment fini.

Ah, non ? Anecdote six. Après, je ne répond plus de rien.

Mon épouse s'est absentée pour la matinée et je suis face à un dilemme.

Dans l'évier, je vois deux verres et deux cuillères.

Si je les lave, elle ne s'en apercevra même pas et je l'aurais fait pour rien.

Si je ne les lave pas, elle s'en apercevra, en les voyant et j'aurai droit à une critique.

Que faire ? Je vais laver un seul verre et une seule cuillère. Ca coupe la poire en deux pour la soif.

Allez, là, c'est vraiment fini, OUF !