Aram et le Haillon d'Or - Première Partie

Lézard Des Dunes

Aram et le Haillon d’Or

         Il était une fois, il y a très très longtemps, dans un pays si lointain que le regard n'y porte pas, une vieille femme très riche et très malade et ses deux fils, Aram et Brosa.

         De toutes les fratries du monde, il ne pouvait y avoir de frères aussi différents que ceux-ci. Brosa était un gros homme rondouillard, aux joues luisantes et au regard avare, tandis que son jeune frère, Aram, était d'une grande minceur, aux cheveux secs comme les blés et au sourire doux et chaleureux.

         Tous les deux ne se vouaient pas une grande amitié, ni même une quelconque forme de sympathie alors qu'ils vivaient encore ensemble sous le toit de leur vieille mère.

         Hors, la riche dame était sur le point de rendre l'âme, atteinte par un mal inconnu qui lui volait ses forces tel un vampire et qui l'amaigrissait de jour en jour.

         Mais malgré la triste fin qui semblait s'annoncer, il ne venait pas à l'esprit des deux frères de se lamenter, de chagriner, d'implorer, d'étreindre une dernière fois leur génitrice agonisante, car il est vrai qu'elle était connue dans la région pour avoir un fort mauvais caractère et d'être l'une des personnes les plus avares qui soit. Cette avarice lui avait permis d'ailleurs d'amonceler une belle fortune, acquise avec plus ou moins d'honnêtetés, et qui aurait pu suffire à faire vivre cents hommes pendant toute une vie.

         Cette avarice l'emprisonnait tellement qu'elle n'avait pu en aimer et éduquer ses deux fils comme toute mère devait le faire. Et le peu d'amour qu'elle avait à offrir, elle ne put le donner qu'à un seul : Brosa, qui au fil des années se trouvait toujours plus gâté, toujours plus désireux de posséder, toujours plus avare, tout à l'image de sa vieille mère. Alors que le second frère, Aram trouvait refuge dans la nature, dans le chant des oiseaux, dans le murmure de l'eau et dans le chant des bêtes afin de trouver l'amour que sa mère n'avait pas donné.

         Un soir, alors que la vieille mère sentait son âme trépasser, elle convoqua ses deux fils à venir la voir une dernière fois à son chevet.

«  Fils. Brosa, Aram. La mort ce soir vole ma vie et ne daignera pas me la rendre. La mort ce soir dévorera mon âme et vous laissera seuls sur cette terre de pêchés. La mort m'oblige à vous léguer ce que j'ai durement accumulé durant toute mon existence afin que mes richesses et mes trésors ne soient pas pillés par d'autres rats que vous. Hypocrites et charlatans, voleurs et fomentateurs ! Je vous laisse le fruit de mon dur labeur que vous ne méritez en aucun cas ! A toi Brosa, mon préféré, je te laisse cette grande maison, je te laisse les jardins, je te laisse mon coffre de pièces, je te laisse mes bijoux et mes parures. Quant à toi Aram, sauvage rampant, je te laisse le contenu du coffre que voici. Maintenant laissez moi, que vos regards avides et viles ne touchent plus jamais ma carcasse ! »

         Les deux frères sortirent, Brosa souriant de toutes ses dents et Aram tenant dans ses mains le mystérieux coffre de bois usé.

         Le lendemain, la vieille mère était morte, durant la nuit, dans le silence et l'amertume la plus glacée. Brosa, jubilant en songeant à ses nouveaux biens, ne prit même pas la peine d'enterrer la défunte et préféra la laisser à la mer, la jetant de la falaise derrière la grande bâtisse.

         Il demanda à Aram de l’aider dans cette besogne, et une fois le travail terminé, il se tourna alors vers celui-ci et lui ordonna avec hargne:

« Toi ! Frère galeux, sauvage rampant. Puisque les herbes hautes te plaisent si bien, va gambader dans tes bois, va te baigner dans tes rivières. Je te chasse de chez moi, car cette grande maison est à moi, ces jardins sont à moi. Tout ici est à moi. Alors part de mes terres que je ne te vois plus jamais chez moi ! »

         Aram, sous les aboiements de son frère, préféra partir plutôt que de rester ici au risque d'essuyer la colère de Brosa. Il amena avec lui le mystérieux coffre de bois et s'installa juste à l'entrée de la forêt. Il  y construisit une petite cabane de bois fort et de feuilles douces et s'y installa en paix, sans déranger ni demander de compte à personne.

         Plusieurs mois s'écoulèrent ainsi.

         Un jour, alors qu'Aram écoutait le murmure de l'eau, il croisa son frère Brosa qui partait chasser en forêt. L'homme rondouillard, l'œil avide, s'adressa à lui en ces termes.

« Dis-moi, frère sauvage, que t'as laissé la mère dans cet étrange coffre de bois ? Je serais heureux de le savoir. »

« Je ne sais pas, répondit Aram, je n'en ai guère le besoin maintenant car j'écoute le murmure de l'eau. Une autre fois peut-être. »

         Brosa partit alors, une moue de frustration sur le visage.

         Une autre fois, alors qu'Aram humait l'air des sous-bois, il croisa son frère Brosa qui partait relever ses pièges. L'homme rondouillard, l'œil avide, s'adressa à lui en ces termes:

« Dis-moi, frère sauvage, que t'as laissé la mère dans cet étrange coffre de bois ? Je serais heureux de le savoir. »

« Je ne sais pas, répondit Aram, je n'en ai guère le besoin maintenant car j'hume l'air des sous-bois. Une autre fois peut-être. »

         Brosa partit alors, avec une fois de plus une moue de frustration sur le visage. Le contenu de cette boîte commençait à le faire saliver. Et s’il y avait un trésor ? Des joyaux ? Telle devait être la raison pour qu’Aram ne veuille pas lui en parler. Il se jura que la prochaine fois il percerait le secret du coffre de bois.

         Une autre fois, alors qu'Aram observait les arbres pousser, il croisa son frère Brosa qui cette fois-ci n'avait aucune raison particulière pour venir en forêt, si ce n'était le désir d'en savoir plus sur le coffre de bois. L'homme rondouillard, le regard avide et excité, s'adressa à lui en ces termes:

« Dis-moi, frère sauvage, que t'as laissé la mère dans cet étrange coffre de bois ? Je serais heureux de le savoir. »

« Je ne sais pas, répondit encore une fois Aram, je n'en ai guère le besoin maintenant car j'observe les arbres pousser. Une autre fois peut-être. »

         Mais cette fois ci, Brosa ne se contenta pas de partir. Sa cupidité et son avarice étaient trop fortes pour qu'il puisse rentrer chez lui sans réponse sur le secret du coffre d'Aram.

« Toi, sauvage rampant ! Avoue que ce coffre cache un trésor ! Avoue que c'est pour cette raison que tu te caches dans la forêt, entre tes arbres et tes ruisseaux ! Ce qui est dans ce coffre m'appartient ! Tout ce qui était à la mère m'appartient ! Ton trésor, est mien, mien ! Donne-le moi ! Voleur ! Ou je te fais chasser par mes mercenaires ! Donne-moi le coffre de bois ! »

« Frère Brosa. Il n'est pas question que je te laisse quoi que se soit. Bien que je n'en ait pas l'utilité et bien que je ne sache pas ce qu'il contient, ce coffre est le dernier

cadeau que m'ait donné mère. Chasse-moi autant que tu le désires. Je quitte ce pays frère. Brosa, ton avarice un jour te perdra. Adieu ! »

         Sans que Brosa ne puisse faire quoi que se soit, Aram avait déjà quitté la forêt, en emportant avec lui le coffre de bois.

         Puis il marcha, il marcha, tant et si longtemps qu'après de nombreux jours, il arriva face au grand désert.

         Dans son  immensité, le désert souffla un appel à Aram. Alors Aram écouta et répondit à son tour au désert.

« Si c'est ici que le destin me porte, j'irais. »

         Avançant dans le sable chaud, il marcha jusqu'à ce que ses pieds soient brûlants, sa gorge sèche et son crâne meurtri par le soleil. Tenant toujours le coffre de bois usé,  il se dit qu'il était peut-être temps de voir ce que la vieille mère lui avait offert. Ouvrant le couvercle terni, il se saisit de son contenu avant de l'étaler sur le sable blanc de la dune. Ce dépliant dans le vent, Aram tenait un vieux haillon brodé d'or à la couleur grise comme la pierre et à la surface parsemée de déchirures.

« Ainsi, c'est pour un simple chiffon que je me suis enfui dans ce désert, afin d'éviter

le courroux de cet avide Brosa.  Au moins, cela pourrait peut-être me servir ici où le soleil frappe plus fort que la mort. »

         Il noua rapidement le bout de tissu en turban autour de son crâne, déjà brûlé et meurtri par les rayons sournois de l'astre du jour.

         Épuisé, il continua néanmoins de marcher le long de la dune. Et, sous le soleil ardent, les vieilles dorures cousues sur l'étoffe produisaient de forts reflets, tant et si bien qu'une caravane de nomade qui passait par là pu le voir au loin et vint rapidement à sa rencontre. Le chef de la caravane, surprit de voir ainsi un homme seul dans le désert, lui proposa de les rejoindre pour aller jusqu'au château du Roi Barbare où ils devaient y faire du commerce.

         Trop heureux d'être ainsi secouru, Aram remercia chaleureusement le généreux homme et voyagea en compagnie de la caravane jusqu'au château du Roi Barbare.    

         Sur la surface dorée du désert, le Château du Roi Barbare se dessinait tel un monstre de marbre. Des hommes grands, à la peau noire comme l'ébène, s'agitaient sur les remparts magnifiques.

« Regardez ! Regardez ! , criaient-ils, l'un des voyageurs est magique ! Il brille comme un soleil ! Regardez ! Prévenez le Grand Roi, il faut le montrer au Grand Roi ! »

         Aram et les nomades de la caravane furent en effet bien surpris lorsqu'ils virent que les portes de bois précieux s'ouvrir en grand alors qu'ils n'étaient même pas

arrivés en contrebas des remparts.

« Entrez, entrez ! Le Grand Roi veut vous voir ! Le Grand Roi veut voir l'homme à la tête qui brille comme un soleil ! »

La suite dans la deuxième et dernière partie du conte.

Signé Lézard des Dunes © 2011

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