Arrogance marathonienne

Constance Berjaut

Il est 7h37. Nous sommes le dimanche 15 avril. Je rentre. Ma nuit a tangué entre le service de cocktails alambiqués et le nettoyage de verres aux formes élégantes. Elle s’est prolongée dans la dégustation gargantuesque d’alcools en tout genre et l’inhalation jouissive de fumée mortifère.

Il est 7h38. Nous sommes le dimanche 15 avril. Mes cernes s’accoquinent avec mes bas-joues. Mes yeux perdent de leur luminosité dans la fulgurance lente de ce petit matin. Ma bouche ne connaît plus l’hydratation nécessaire à un mode de fonctionnement normal.

Etrangement, je me sens bien. Je m’installe dans le métro, somnole quelques secondes avant de réagir. Mes yeux clignent frénétiquement. Quelle est cette foule moulée et fluorescente ? Elle s’étire en rythme, sautille avec enthousiasme, parle d’exercices d’échauffement. D’un coup, je me sens mal. Le marathon de Paris inscrit ses lettres d’or dans mon esprit embué. Mon corps se cabre comme s’il était agressé. Il convulse discrètement lorsqu’une marathonienne au port de cou dédaigneux pose son regard torve sur moi. Elle voit. Elle comprend. Elle me reproche avec une arrogance muette mes nuits blanches à répétition, mes paquets de cigarettes partis en fumée, mes absorptions fréquentes de spiritueux mélangés, mon manque d’exercice, ma perte de souplesse. Elle attaque en silence mais avec insistance mon fessier cellulosité, mes poumons goudronnés, mon foie noyé. Quelques minutes de plus et elle va venir me faire une leçon d’hygiène de vie.

Mon esprit s’échauffe à cette idée. Mais de quoi se mêle cette inquisitrice du bien-être édulcoré ? Les synonymes de « pétasse » prennent place en rythme dans ma tête. Mes cuisses sont flasques mais mon vocabulaire est dense.

Par un heureux hasard, elle sort à la même station que moi. Il va falloir agir vite. Cigarette au bec, j’inspire comme jamais. Je lui recrache ma haine grisâtre dans la figure. Elle toussote. Je m’enfuis. La faucheuse ne t’épargnera pas toi non plus.

Cette joggeuse m’a épuisée.

J’ai besoin de vacances.

C’est le seul moment où j’ai le temps de faire du sport.

  • L'arrogance de ceux qui pensent détenir la vérité... :-)

    J'adore "Mes cuisses sont flasques mais mon vocabulaire est dense..." ... je la colle illico dans mon petit répertoire d'expressions imagées... bravo !

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Jos phine nb 7 orig

    junon

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