Article 1 : "Droit à la torpeur de 18h !"

Manou Damaye

Article 1 : « droit à la torpeur de 18h »

 

 Lili est née le 18 Juin à 18h. Lili est généreuse, amoureuse mais surtout très rêveuse et pas du tout ambitieuse.

Je veux parler de Lili enfant, fascinée par le vol bruyant des mouches à la cuirasse bleue qui viennent se poser sur le blanc crémeux de sa vache qui rit. Son  père, militaire de carrière est en colère d’avoir une fille qu’il dit sans caractère. Il pria secrètement sa femme d’aller consulter une dame pas ordinaire, Mme Denfert au métro Rochereau.

Je veux parler de Mme Denfert. Numérologue tarologue, elle sauva Lili en expliquant à ses parents que de naître un 18 Juin à 18h n’est pas rien. Lili toute sa vie sera gouvernée par la dix-huitième lame du tarot, la lune. Songeuse, rêveuse elle ne sera jamais malheureuse s’inventant des chimères pour sortir de la galère et surtout… il fallait la laisser faire.

 Lili a grandit. Elle est dame pipi dans un fameux restaurant parisien. Aimée des habitués, elle fait figure d’emblème. Un écrivain Américain a même écrit une nouvelle sur elle. Grâce à ses parents bienveillants, elle traverse sa vie comme d’autres traversent leurs nuits.

 Je veux parler de Lili lorsque qu’elle quitte son boulot,  qu’elle s’engouffre dans la station de Metro et qu’à l’horloge du Châtelet il est 18h. Lili descend l’escalier de la bouche d’entrée pas à pas et comme le crabe de la lame 18 du tarot, elle s’immerge dans les eaux matricielles s’abandonnant aux vagues de la marée humaine.

 Si elle songe à la forme arrondie des couloirs elle y voit veines et boyaux. Dans ce ventre grouillant,  elle s’accorde au martellement assourdi des pas, noyé d’onomatopées et de frottement d’étoffes, où dansent  en cadence ces corps qui se frôlent, se passent, se dépassent et s’harmonisent sur la mélodie des tempos de 18h.

 Quand le tapis roulant devient tapis volant, quand les regards des gens deviennent  regards absents, qu’ils se croisent, se transpercent, se fuient, sans mémoire, sans demain, elle s’imagine que d’un commun accord, ils se sont mis sur « pause » pour cet envol sous terre.

 Elle se rappelle l’odeur du ticket de métro du « poinçonneur des lilas ». Elle aime le retrouver, mélangé de parfums bigarrés. Quand Dior et St Laurent épousent sueurs félines, fleuries ou frelatées, déos des mondes urbains contemporains, Lili jouis.

 Je veux parler du droit à la torpeur qui envahi Lili le temps de son trajet quotidien. De son abandon dans la rame bondée où compressée, ballotée, protégée, elle  oublie qu’elle a des jambes pour se porter et un cerveau pour réfléchir.

 Il est 18h dans les entrailles de Paris. Lili devient  fœtus, cellules ou matière fécale dans les dédales de ce voyage intérieur.

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