Assomption

dayatha

Assomption

C’est sous un ciel d’étain, presque gris, presque blanc, que Dimitri, tremblant, s’éveilla ce matin. Un ciel sans dimension, sans relief et sans âme. Même pas menaçant, sans repères et sans trame. Un ciel froid d’hiver au plein cœur de l’été, égaré de décembre au mois qui suit juillet. Un ciel de cendres, déteint, léger comme une plume.

Frissonnant sur son banc, recouvert de cartons, Dimitri remonta, pour la dernière fois, le col de son costume marron. Un costume à fines rayures bleu ciel, taillé sur mesure ; à ses mesures d’antan. Très à la mode … il y avait bien longtemps. La tête camouflée sous un sac de toile, les paupières gonflées de trop de nuit passées à compter les étoiles, Dimitri émergeait de ses rêves embués. De ses nuits amnésiques, il ne voulait rien garder, surtout pas les relents d’un passé torturé. Un passé poussiéreux, lourd comme une enclume.

Le crâne encore empli de vapeurs d’alcool, il s’assit lentement et passa la main dans ses cheveux crasseux, faits de poivre, de sel et de poux malicieux. La lumière s’infiltrait malgré lui dans ses yeux, décharges tyranniques de photons facétieux. Il devinait le ciel plus qu’il ne le voyait, ses rétines n’étant pas prêtes encore à se faire embrassées. Entre les larmes que la clarté faisait naître, il devinait la silhouette grisâtre de Marie qui se dessinait devant lui. Statue de marbre blanc devant ce ciel gris. Statue de sel gris perdue sur les cieux blancs.

De l’église voisine, les cloches résonnèrent. Surpris par ce vacarme, des pigeons s’envolèrent. Le visage dans ses mains crevassées, recouvertes des croûtes des jours passés, Dimitri ruminait sa colère, pour la dernière fois : après sa peau brûlée, avant d’être gelée, après ses yeux meurtris, de lumière remplis, s’était donc ses tympans qu’on violait maintenant ! Il s’apprêtait à quitter le parvis de Notre-Dame-de-Nulle-Part lorsqu’une douce mélodie attira son regard : venant à sa rencontre deux souliers vernis sautillaient et dansaient le long du ciment gris.

Ils s’arrêtèrent net, au milieu de la place. Face à la Mère couronnée, la fillette resta, les yeux écarquillés, les bras le long du corps, la tête relevée. Devant elle trônait comme un cierge immobile, la Vierge aux yeux d’amour, dont ne battait un cil. Immaculée et pure, la statue se découpait sur les murs de l’église, de briques et de galets. De la main de l’enfant pendait un chardon bleu, rappelant le bandeau tissé dans ses cheveux. Sa prière finie elle déposa la fleur, fit une révérence et entra dans le chœur.

Des cheveux aussi noirs, aussi souples et brillants, Dimitri en avaient vus, il y avait bien longtemps. Ceux de sa femme qu’il aimait respirer. Ceux de sa fille qu’il aimait démêler. Les larmes jaillissaient de ses yeux embués, formant deux sillons propres sur ses joues encrassées. Ces cheveux dans lesquels ses mains avaient pleuré, fouillant parmi le verre, le métal acéré. Lorsque tout s’était tu, ne resta que le sang, le sourire immobile de la mère et l’enfant. Huit ans auparavant, pour la dernière fois, Dimitri avait plongé ses doigts dans leurs cheveux sanglants.

D’une trouée dans le ciel, un rayon s’échappa. Il frappa le chardon posé sur le ciment et remonta le long de la Vierge à l’Enfant. Baignée par la pureté de ce bout de soleil, la statue immobile illumina le ciel. Les yeux de Dimitri ne purent lui mentirent : ils virent la poussière, tout à coup, s’évanouir. Et celle qu’il avait prise pour une statue de plâtre, resplendit devant lui, faite d’or et d’albâtre.

Pour la dernière fois, Dimitri quitta de son banc, replia ses cartons en un adieu très bref.

Pour la première fois, il entra dans la nef.

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