Au coeur du Sentier.

Yvette Dujardin

C'est au cœur du Sentier que l'on découvre l'un des plus vieux quartiers de Paris, aujourd'hui appelé quartier du Caire. Le nom des rues, rue d'Aboukir, ou rue du Nil, évoque l'expédition militaire de Napoléon en Egypte, au cours de laquelle il emmènera des dizaines d'artistes et de savants français, dont Champollion. Ce dernier déchiffrera les hiéroglyphes.
Ce quartier, qui hébergeait la Cour des Miracles, avait la sinistre réputation d'être, jusqu'en 1667, le royaume des voleurs et des mendiants. La Police n'osait pas s'y aventurer. Cet endroit inspirera à Victor Hugo certaines scènes de Notre-Dame de Paris.  Cette cour était située dans l'actuelle rue du Nil. Les truands, qui élisaient un roi, seront définitivement chassés en 1667 par le fougueux lieutenant-général de la police La Reynie.

Je suis née dans un immeuble du Sentier,  Rue d’Aboukir, mon père était juif et grossiste en confection. A la cave se trouvait un atelier, machine à coudre,table de coupe et des ouvriers clandestins, la plupart immigrés pakistanais. Le même jour que moi, une petite fille est née aussi. Moi, Sarah, j’ai grandi dans l’aisance, tandis que Alhena, avec ses parents, dans les ateliers. Ses parents voulaient pour elle un autre métier que le leur. Nous sommes allées à la même école, d’abord la maternelle Rue St Denis, puis élémentaire, rue Beauregard et nous étions amies. Quand nous le pouvions, nous passions Passage du Caire, le plus vieux passage couvert de Paris : les livreurs s'y bousculaient, pour déposer ou venir chercher des lots de vêtements, sous leurs enveloppes de plastiques, les uns sur les bras, d’autres serrés sur des portiques. Nous arrivions, Rue St Denis, parfois nous allions rue du Caire ou la rue D’Alexandrie. Nous pouvions jouer dans la petite cour du Caire. Mais la vie nous à fait grandir et séparée. Mes parents m’ont orientée dans la littérature et je devins journaliste et plus tard écrivaine. J’ai fait un certain nombre d’enquêtes sur la société, qui en fera un sujet de mon premier livre (La voix des hommes) Puis mon amour pour le lieu de ma naissance, bien qu’étant partie pendant cinq ans aux Etas- Unis, afin de parfaire cette langue et surtout mon attirance pour New York, je revins chez moi. Mais comme cela avait changé, mes parents, s’étant adaptés aux évolutions éphémères de la mode féminine, avaient toujours leur commerce, car la concurrence des grandes enseignes de la distribution, qui importent massivement leurs marchandises des pays asiatiques, puis la chine. D’ailleurs quand un commerçant abaissait son rideau, sa boutique était remplacée par des chinois. Maintenant la plupart des boutiques sont asiatiques, et les anciens maintiennent leurs commerces entre la rue d’Aboukir, le haut de la rue Saint-Denis, la rue du Sentier et la rue du Caire.

Par contre le quartier reste un haut lieu de la prostitution féminine. Mais je ne reconnais plus celles qui, dans ma jeunesse, rue Blondel et le haut d’Aboukir, et quand nous passions, curieuse, Alhena, et moi, voir ses femmes qui même en hiver étaient en porte-jarretelle et soutien gorge sous un manteau de fausse fourrure, nous faisaient un clin d’œil, nous donnaient parfois des bonbons, puis nous chassaient gentiment, surtout quand un client les abordait. Un quart d’heure pas plus pour 100franc à l’époque. Il y en avait pour tous les gouts, de la fille s’habillant en petite fille, jupe plissée courte et chemisier blanc, aux filles presque nues, mais surtout, il y en avait deux ou trois très grosses, les seins débordants, nous étions scotchées devant elles, parfois elles nous gueulaient : espèces de sales mômes, fichez moi le camp ! Car leur mac arrivait et il fallait se sauver. Quand il nous voyait, il nous jetait un regard noir, et de peur, nous rentrions fissa.

En face de chez mes parents, il y avait un petit café tabac Le Lucky où je prenais mes croissants avant de partir à l’école. Il y est toujours.

Après pas mal de livres, écrits sur les Etats-Unis, j’ai écrit un livre souvenir sur mon quartier. Et qui a eu un bon succès.

Je n’ai jamais revue Alhena, je crois qu’elle est repartie dans son pays d’origine, le Pakistan.

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