Au creux du glaçon de lait Partie 1 + Modif' + suite

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« Je me réveille. Je me réveille et vois sur le mur, tracé d’un doigt enduit de crème « écris-lui. ». Alors je t’écris puisque tu es la seule chose dans ce cube de néant. Je ne comprends rien. Je t’en supplie, aide-moi à comprendre ce que je fais ici … C’est froid, c’est vide, c’est lisse et personne ne me répond. Crier ? Hurler ? Pleurer ? Rien, le vide, un vide géométrique insupportable, épais et étouffant. Personne n’a l’air d’exister ici. Il n’y a que moi dans cette chambre, vide. Moi, le sol, le plafond, quatre murs et toi. Toi … »

 « Si je comprends bien, je n’ai plus le droit aux couleurs. Ca me rend folle. Je déteste cette espèce de banquise. Parce je le sais, je suis sur la banquise. Je suis nue et continuellement trempée comme un poisson. Un poisson tout malade, tout pâle, tout blême, un poisson au crane rasé. »

« Je les déteste tous. Tous ceux qui m’ont jeté la. Comme un corps, comme une morte dans une fosse commune. Non. Bien pire que la fosse commune, parce que je suis seule et n’ai pas même l’odeur des cadavres pour sentir que je tiens un rôle, le rôle de la morte parmi les morts. Ni vivante ni éteinte, je suis là. Dans un « là » que personne ne veut nommer. »

« J’ai envie de mordre, de mordre fort les murs, de mordre au sang le sol, de mordre la moelle de ce plafond, de manger mes mains toute crue, d’avaler ma tête tout rond. J’ai envie d’arracher toute cette glace. Tout ce blanc. Je suis seule, seule, seule. Seule dans un cube. J’ai envie de me pendre à tes pages, faire un nœud de papier, une corde avec tes dents tressées bout à bout. Parce que je sais que tu m’écoutes, mais tes oreilles sont trop fines pour entendre mes larmes, mes larmes de lait, gouttes silencieuses de porcelaine brisée. »

 « J’ai faim. J’ai toujours faim, mais la solitude se nourri de l’affamée que je suis. On est perdu ensemble. Tu sais, journal, j’ai l’impression que même mes veines ont été gommées. J’avais de la chance, avant, quand les larmes du ciel coulaient, brulantes, dans mes veines, mes belles veines, chemin de traverse vers un cœur auquel on a trop souvent coupé la parole.» 

« Alors tu sais, j’ai frotté, j’ai frotté, très fort, encore plus fort, je me suis dit qu’il fallait frotter pour enlever la poudre blanche, la craie, le maquillage, mais j’ai frotté pour rien. Parce qu’en dessous, je suis pareille. Je suis froide et glaciale. Et maintenant, j’ai un trou dans la jambe.»

« Je fais la grève cher journal. Je fais la grève, je dois arrêter de te parler pour voir si quelque chose se passe. Je me sens trop seule, c’est trop facile pour eux et trop dur pour moi. Alors je vais dormir, mon cher journal. Je vais dormir longtemps pour voir leur réaction. »

« Cher journal, ni couleur ni sommeil n’existe ici … Je suis un poisson, seule dans une mer asséchée, sans oreiller ni rêve ni temps, condamné à vivre au creux d’un bras de pendule inanimé. Heureusement, je peux continuer à pleurer. Ces salops autorisent encore le désespoir et la tristesse. Alors je ne te parlerai plus et m’ennuierai durant une éternité sans début ni fin. Tant pis, qu’ils jubilent en me voyant devenir folle, ca m’est égal. »

« Je suis restée longtemps sans t’écrire. Enfin … je crois … mais j’ai senti que ca leur faisait trop plaisir de me voir nue et flottant comme un lotus perdue et fatigué au milieu d’une marre pleine de larmes. Je veux pas leur faire plaisir à ces salops. Alors je te parle, encore.»

« Il faut que je pense à autre chose qu’a leurs yeux rivés sur mon corps. Il faut que je m’occupe, que je compte les poussières, que je chante une chanson d’amour, que je simule la fatigue, que je fasse un footing imaginaire, que je ferme les yeux, que je regarde le noir et les limbes sous mes paupières. »

« Mon pauvre petit journal, je viens de me rendre compte de ta cécité … Tu nages dans l’obscurité et le silence … Sens-tu comme j’écris sur ta peau ? Sens-tu les mots pénétrer ta chair ? Sens-tu mon regard sur tes joues ? J’ai besoin d’un câlin, tu sais … Et je sais que toi, toi tu aimerais voir ou nous sommes … »

«Alors … Je peux te dire que l’endroit est tapissé de carrés blancs, molletonnés, increvables … je les sens comme des pneus immobiles qui roulent sur les pas de mes yeux, en tout sens … Ou alors, des dunes de neige en cuire, luisantes. Je vois mal tu sais. Journal, j’ai beau essayer … Je ne peux pas imaginer un paradis dans un trou pareil … Même si le paradis était blanc, je sais qu’il n’est pas ici … emballe moi délicatement dans tes bras de papier et cachons nous dans la poubelle. On croira que j’aurai fondu, on croira que j’ai disparu, et on videra la poubelle. Je veux m’évader avec toi, petit journal … »

« Tu ne veux pas … toi aussi tu es contre moi. Toi aussi tu veux que je pourrisse ici. Je suis restée devant toi, devant tes cils fatigués, battants de papier, tout froids. J’ai soufflé sur tes pages mais elles retombaient comme des ailes de corbeau mort. Tu n’es pourtant pas mort ? Tu n’as pas ouvert les bras. Ou alors, a toi aussi ils t’ont coupé ta liberté ? Tu étais un oiseau perché sur un arbre, un arbre sous des mains de fer, puis tu es devenu tout blanc ? Ton tronc est devenu aussi anorexique qu’une aiguille, et tu as fini comme ca ? A toi aussi ils t’ont coupé tes cheveux, toi aussi il t’on nourrit de lait et de riz, tous les jours, jusqu'à ce que ta peau perde son soleil, jusqu'à ce que tes os déforment ton corps ?

Tu ne soupires même plus, tes poumons son crevés … »

« Aujourd’hui, j’ai vu la main du repas, celle qui me tends un bol en porcelaine remplis de riz et un grand verre de lait à travers la trappe. La main était gantée. Demain, si le lendemain existe toujours, au repas, j’arracherai son gant. Je veux revoir la couleur de la chair. Si tes pages n’étaient pas enduites de cire j’aurais pu couper ce latex plus facilement … je vais devoir mordre. »

 « La mais gantée est apparue et j’ai mordu, mais c’était étrange. On aurait dit du nuage ou … de la neige, de la neige en latex, c’est impossible … Nous sommes perdu, petit journal, perdu en dehors de toute réalité. Tu sais, j’ai collé ma joue contre le mur, et j’ai frotté, frotté, encore, pour que le cuir cuise ma peau. Mais on ne cuit pas la glace, on la troue, de nouveau. Plus de baiser, petit journal. Plus que la morsure de la folie. Tu sais, Je voudrais prendre un crayon et me barrer. Juste faire une croix sur mon corps, mon crane rasé, une croix noire ; noire, oui, une belle trace, grasse et granuleuse sur cette vie de dentelle en carton. »

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