Au détour de l’hiver

nuances

Tant d’années étaient passées, et voilà qu’elle revenait à moi, qu’elle s’offrait à moi comme une retraite solitaire et préservée. La maison de mes parents.

Elle se dressait là comme une tache de sang en relief sur une peau blanche immaculée, comme un témoignage de vie passée, oublié sur un linceul. Et ses fenêtres rondes me fixaient comme deux orbites béantes sous les chiens assis de brique rouge.

Je courbe l'échine tandis qu'une bourrasque violente couvre la scène d'un voile aux contours indistincts.

Il me semblait que ce n'était plus au travers des tourbillons de l'hiver que je l'apercevais parfois, mais que c'était bien cette demeure qui s'était dissimulée dans une semi-transparence irréelle, et que c'était à travers elle, que je voyais parfois se dessiner la continuité du manteau neigeux, derrière.

 

A mesure que j'approchais, je repensais à ma dernière visite, aux murs de brique fleuris sous la glycine, au rire cristallin de l'eau qui court sous la fenêtre de ma chambre, et dont les clapotis me donnaient l'impression de m'endormir en mer, dans mon grand lit d'enfant en fer forgé. Il avait mis les voiles vers la chambre d'amis quand je n'y tins plus couchée. J'avais été si triste de m'en séparer.

Tant d'années étaient passées, et voilà qu'elle revenait à moi, qu'elle s'offrait à moi comme une retraite solitaire et préservée. La maison de mes parents.

 

Devant le portail, sous les congères, je devine le chemin de terre, poussiéreux en été, qu'on voulait remplacer par du gravier pour abolir les automnes boueux. Le portail s'ouvre difficilement, en repoussant les amas neigeux. Jamais je n'aurais pu venir jusqu'ici en voiture… J'avais décidemment bien fait de la garer au village, à un petit quart d'heure de là. J'avais longé la lisière de forêt et coupé à travers champs, et j'avais redécouvert le paysage dans ce blanc cotonneux.

Le tronc noueux de la glycine dénudée encadrait l'entrée comme une veine brunie, une artère au repos. Encore une fois, le contraste entre le rouge des briques et le reste du tableau me saisit. Je n'étais jamais venue en cette saison.

La vieille bâtisse s'ouvre enfin, dans le murmure discret du vent qui s'engouffre, comme un souffle de vie. Dans l'entrée, les buches ne demandent qu'à réchauffer tout ça. J'ouvre les volets de l'autre porte d'entrée, celle qui donne sur le verger, côté Sud. Les pommiers sont couverts d'une fine pellicule blanche, comme le reste de la propriété.

Bientôt, dans la cuisine, des flammes dansent sur les murs, comme si le feu avait quitté l'âtre et gagnait toute la demeure. Sur le sol d'ardoise de l'entrée, la neige rapportée de ma petite balade a fondue. La pierre humide est brillante. Sur la vielle table ronde, je dispose un bougeoir et entreprends d'allumer le chauffage des autres pièces, le gaz, et d'ouvrir l'arrivée d'eau.

Les baies vitrées du salon sont déjà couvertes de buée, et l'espace d'un instant, il me semble apercevoir les dessins qu'on y traçait au doigt au début du printemps, enfants. Le vieil escalier me conduit à l'étage. Dans la petite chambre, le conduit de la cheminée a déjà répandu une douce chaleur, sous les combles. Derrière la porte, côté est, on se retrouve au-dessus de la cuisine, dans une petite salle d'eau. Dans le renfoncement, sous le chien assis, j'entreprends de me faire couler un bain.

Tandis que la baignoire commence à se remplir, je retourne au point d'arrivée de l'escalier, sur la mezzanine, et m'assois au bureau, d'où je peux encore voire les baies vitrées du rez-de-chaussée : dans le salon. Je pose un instant ma tête dans mes bras et l'odeur du meuble en bois vernis me transporte jusqu'à une autre époque, quand mon père demandait à ma sœur de baisser sa musique pour mieux se concentrer. De l'autre cote de la mezzanine, au-dessus du reste du salon, se trouve encore la chambre de mes parents.

Je me relève doucement et prends la direction de la salle d'eau, où je me glisse lentement dans la baignoire, derrière la vitre embuée. L'eau brulante m'engloutis et m'apaise. Et dans les volutes et derrière la buée, me voilà perdue dans les bourrasques chaleureuses des neiges d'été ou je me prends à rêver de l'hiver.

 

Le corps rougi, je suis comme cette vieille maison : une marque persistante dans un brouillard gris et blanc, une survivante oubliée d'un passe révolu, que seul un vagabond hardi saurait retrouver, au hasard d'une balade au rythme lent.

  • Bravo pour ce joli texte, dont l'atmosphère m'a conquise!

    · Il y a environ 8 ans ·
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    bruitdepapier

    • Merci!

      · Il y a environ 8 ans ·
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      nuances

  • La maison vous parle, la maison est vivante ! Très beau texte nostalgique, et quels jolis mots, nuances !

    · Il y a environ 8 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Merci pour ce gentil commentaire, Martine :) Ce texte a été écrit pour le concours « un logement parfait », et d’après moi il ne saurait l’être sans avoir une âme, un souffle propre ;)

      · Il y a environ 8 ans ·
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      nuances

    • Je vous en prie nuances ! J'espère que vous avez gagné ce concours, mais c'est tellement difficile, ce n'est pas noté comme un examen !

      · Il y a environ 8 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Il est en cours, si mon texte vous plait, n’hésitez pas à voter ;)

      · Il y a environ 8 ans ·
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      nuances

    • Entendu je vais rechercher dans "concours "

      · Il y a environ 8 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • J'ai voté mais Est-ce normal que l'on m'écrive "retirez votre vote " ?

      · Il y a environ 8 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Merci beaucoup :)

      · Il y a environ 8 ans ·
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      nuances

    • C'est au cas où vous changiez d'avis ;)

      · Il y a environ 8 ans ·
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      nuances

    • Donc c'est bon, merci !

      · Il y a environ 8 ans ·
      Louve blanche

      Louve

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