Autocélébration du moi

oliveir

-Bonjour, M Egoseul. Vous nous gratifiez encore d’un livre et vos lecteurs seront heureux de retrouver votre sujet favori, vous-même.
-Certes, je ne sacrifie pas à la mode, je ne me contente pas de changer les noms de mes personnages et la couverture de mon ouvrage, je vais un peu plus loin, je cherche à partager avec d’autres ce que j’ai découvert au contact de mes semblables et au contact du monde.

-Ne craignez-vous de lasser votre lectorat ?
- Si vous n’arrivez pas à vous concentrer sur un thème, s’il faut que vous changiez sans cesse de sujet pour maintenir votre attention éveillée, si vous passez sans cesse d’une chaîne à l’autre avant de vous apercevoir qu’il n’y a que les spots publicitaires qui vous intéressent, alors ouvrez d’autres livres que les miens.

-Votre héros est toujours un homme, un Parisien, divorcé, un intellectuel…
-Vous croyez lire les aventures du même personnage, pourtant il ne porte jamais le même prénom. Sous prétexte qu’il est citadin, qu’il vit aujourd’hui, qu’il travaille dans l’édition ou le journalisme, vous pensez qu’il s’agit de la même personne et pourtant des milliers de Parisiens vivent cette situation. Je ne suis pas de ces touristes qui vont vivre à l’autre bout du monde ce qu’ils fuient chez eux. Si vous avez besoin d’exotisme, s’il vous faut traverser les océans pour entrer dans le monde des rêves, je vous conseille de musarder dans les halls de gare, vous y trouverez les livres qu’il vous faut mais je crains que vous n’alliez pas très loin.

-Oui mais peut-on faire son autoportrait toute sa vie ?
-Blâmez-vous Rembrandt d’avoir peint autant d’autoportraits ? Réfléchissez au message qu’il nous envoie. Il pose un turban sur sa tête et semble étonné de ne plus se reconnaître. Depuis trois siècles, il nous étonne et les amateurs ne se lassent de se poser cette question ? La lecture de certains livres intimes m’a appris plus de choses sur moi-même qu’une psychanalyse. Certaines phrases résonnent en nous d’un écho particulier comme si un homme avait synthétisé notre pensée avant même que nous l’ayons formulée. C’est le privilège de la littérature.

-Mais vous n’avez pas envie de changer de sujet.
-Ce serait trahir ma tribu. Quand vous étiez petit, vous adoriez entendre raconter cette histoire que vous connaissiez déjà, vous riiez de savoir que la grand-mère allait être mangée par le loup. Une fois passé l’âge des découvertes, on finit par relire toujours les mêmes livres. Et quand vos enfants vous reprochent de fredonner les mêmes chansons, vous ne changez pas de répertoire pour autant !

-Mais n’allez-vous finir par vous répéter ?
-Notre société est extraordinairement riche, le monde bouge, notre mode de vie change, il modifie en profondeur ce que nous sommes. J’aime me lever le matin avec la perspective de traquer dans le quotidien un évènement qui va intéresser mes lecteurs. Bien-sûr, je pourrais rester au lit et m’évader dans la fiction mais ce serait la voie de la facilité. Il suffirait de surfer sur un blog alimenté là-bas, au loin, décrire les images vues, copier-coller les propos et le tour serait joué mais ce serait une trahison. Faire de sa vie un roman est autrement plus difficile. Moi, aussi, j’aimerais aller voir une exposition, comme un égoïste, pour le plaisir de regarder des tableaux mais je ne m’y autorise pas. Dans une salle d’exposition, je regarde autour de moi, je traîne, j’écoute, j’engage la conversation avec l’un ou l’autre. Je résume, je réfléchis, je raconte,  je suis un guide Michelin à moi tout seul, un guide multi-disciplines… Il m’est même arrivé de commettre un délit pour voir ce qui se passe à l’intérieur d’un commissariat. Ensuite je l’ai raconté. Balzac a fait une photographie de la société française en 30 volumes, je tente de réaliser le film de mon époque en 30 livres, retracer les changements de notre siècle est une vraie gageure.

-Certains de vos détracteurs vous accusent de faire de la provocation.
-Evidemment, j’aborde des sujets qui dérangent, j’émets des opinions différentes. Le lecteur s’offusque, s’interroge, récrimine et il a raison… C’est à ce prix qu’il se forge une opinion, je ne suis pas un écrivain confortable. Si l’on ne peut même pas poser les bonnes questions, à quoi bon écrire ?

-N’est-il pas naturel que la décence nous impose parfois une certaine retenue ?
- Je vais vous faire un aveu, je m’autocensure, il y a tant de choses que je voudrais écrire mais je n’ose les publier. J’ai écrit plusieurs ouvrages interdits, mon notaire publiera ces brûlots après ma mort. A moins que je ne les fasse paraître à l’étranger sous un pseudonyme… si je m’ennuie ? Vous voyez que déjà, je vous intéresse, vous êtes en quête d’indécence !

  • Bravo Oliveir, vous traitez parfaitement le sujet de l'autofiction et de son utilité comme photographie formelle d'un réel imaginé, en moins de 30 volumes. Toutefois, nous aurions aimé que votre démarche si peu égoïste aille plus loin dans le dévoilement. Quelle est la chambre sacrée de l'écrivain, celle où le déchirement du voile sublime le mystère ?

    · Il y a environ 13 ans ·
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    abeline

  • Toujours une belle écriture, sobre et mesurée, et un propos intéressant.

    · Il y a environ 13 ans ·
    Images 2 orig

    nouontiine

  • c'est très juste ça, "il pose un turban sur sa tête et semble étonné de ne plus se reconnaître", la surprise qu'une toute petite modification au réel peut créer... l'exercice était difficile, j'espère la prochaine fois que nous pourrons tous donner plus libre cours à notre imagination!

    · Il y a environ 13 ans ·
    New orleans louisiana may 1953 chevrolet orig

    victoria28

  • Sérieux et argumenté, bien joué.

    · Il y a environ 13 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

  • Merci Oliveir, une multitude de réflexions qui me plaisent énormément. J'aime également ce ton calme et pédagogue face à un intervieweur vraiment désobligeant! Très bel exercice Oliveir ! Content de te voir arriver :)

    · Il y a environ 13 ans ·
     14i3722 orig

    leo

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