Be sure to wear some flowers in your hair.

Adé Wonka

Il m'aura fallu trente ans avant de trouver mon “chez moi”: on peut être né quelque part, grandir avec une langue, une culture, des traditions et ne pas se sentir à sa place. Personnellement, j'ai toujours clamé haut et fort qu'on avait fait une erreur sur mon compte, qu'on s'était trompé d'époque: j'appartiens aux sixties, moi, je n'écoute que des chanteurs morts (ou presque), ne lis que des auteurs morts (ou presque), et il m'est difficile d'être parfaitement à l'aise dans notre époque high-tech où tout va, à mon sens, beaucoup trop vite.

La vie m'a toutefois appris une leçon (encore une!): nos racines ne se ramifient pas uniquement dans le temps, mais aussi dans l'espace. Toute ma culture étant basée sur la “beat generation” , il n'y a pas de meilleur pèlerinage pour la (post)hippie que je suis que San Francisco. Cependant, je reste méfiante: mes précedents voyages ont souvent, hélas, été bercés de désillusion: les plages ne sont pas toujours paradisiaques.

Mais San Francisco ne ment pas: certes, les hippies sont descendus le long de la côte Pacifique (Ah! Big Sur!) mais la ville a gardé un état d'esprit d'ouverture et de solidarité bien ancré.

J'entre dans la cité de la tolérance pour la première fois par le port d'Embarcadero. Des skateurs font le show sur la grande place du Ferry building. Des touristes regardent, amusés, en attendant le passage du célèbre “cable car”. Plus loin, les immenses buildings du Financial district ne se font pas menaçants. Au contraire: ils me tendent les bras.

Je m'enfonce un peu plus dans la jungle urbaine: les trottoirs scintillent sur Market street. Les boutiques de luxe se suivent, les femmes tiennent dans une main quelques récents achats, dans l'autre un café à emporter et sourient à la vie derrière d'énormes lunettes de soleil.

Je me dirige vers China Town et je suis transportée dans un nouveau monde. Car tel est Frisco: à chaque nouveau quartier son language, son odeur, sa musique. Sur les étals des fruits et légumes Asiatiques, des petites étiquettes en Chinois indiquent le nom et le prix des marchandises. Derrière les vitrines, des canards laqués suspendus. De l'encens brûle à l'extérieur des boutiques alors que des joueurs de vielle Chinoise (ou “huqin”) animent les rues en échange de quelques dollars. Je quitte Chinatown et me retrouve juste devant le fameux “Vesuvio” café. Ici, Jack Kerouac a désespérement attendu, une nuit entière, de rencontrer Henri Miller.

L'immensité de la ville m'amène à emprunter le street car direction “Castro”. Les drapeaux multicolors affichés à chaque fenêtre soulignent l'identité du secteur. Bienvenue dans l'historique quartier gay! Je croise une homme en tenue d'Adam, qui a tout de même prit soin de porter un chapeau de paille pour de se protéger, sans doute, du soleil éclatant. J'admets que je suis troublée (et l'Amérique puritaine dont on entend parler, alors?), mais il se contente de me sourire “How are you today?” Je décide de faire une pause gourmande au “Harvey milk café”. Hommage. L'ambiance est chaleureuse, mon bagel végétarien, un délice. Afin de ne faire rougir aucun lecteur, je ferai l'impasse sur les multiples vitrines de la rue principale. Je fais un détour par la célèbre maison bleue de Maxime Leforestier et poursuis mon chemin.

Haight Ashbury. Ses maisons Victoriennes roses, jaunes, vertes. Ses magasins de fripes. Ses émanations de marijuana. Un vieux tube des Grateful dead qui s'échappe d'un magasin de disques. Pas de doute: me voilà chez les hippies! Je suis à l'endroit exact du “summer of love”' Ici, en 1967, on trouvait de la nourriture gratuite, des musiciens talentueux, de la drogue et l'amour libre. Tout au bout de Haight Street, le Golden gate Park m'invite à errer dans ses allées boisées.. L'insousciance de San Francisco a brusquement été entravé avec l'arrivée du SIDA en Californie lors des années 80. La population gay est alors ravagée. Le parc abrite le “National AIDS memorial grove” oũ les noms de milliers de victimes sont gravés à jamais dans la pierre. Là encore, la ville fait preuve d'amour et de respect.

J'ai passé deux ans à parcourir les collines, trainer mes rêves dans les rues mythiques et flâner le long du Golden gate. Deux années sans me lasser des levers de soleil sur Alcatraz, des discussions spontanées avec des véterans du Viet-nam ou des roadies de Crosby, Stills and Nash. L'expiration de mon VISA m'oblige à faire mes valises mais je sais à présent que mes racines sont sous les trottoirs de la douce “City by the bay”. Ce n'est qu'un au revoir.

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