Beware of falling coconuts (Texte entier)
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Chap. I
Il faisait horriblement froid ce jour-là. L’hiver était véritablement tombé sur la ville. Depuis plusieurs jours déjà, tout le monde avait sorti les vestes, les pulls, les blousons ou les manteaux pour se prémunir contre la température. Elle était juste au-dessus de zéro degré.
En ce vendredi soir, veille de week-end de Noël, les rues et les magasins étaient tous parés de mille feux. Cela donnait un air de douce fête, moelleuse comme un flocon de neige qui viendrait de tomber à toute la ville, créant cette inégalable ambiance de Noël. A cette période, chacun a envie de se retrouver au chaud, dans un salon éclairé d’une lumière tamisée avec du feu dans le cheminée, du chocolat, de la musique de circonstance et un sapin dans un coin décoré de guirlandes et de boules de Noël. Pourtant Julien était encore au bureau ce soir.
Il avait un important dossier à finir, une urgence, une affaire qu’il n’avait pas réussi à traiter avant et il était maintenant au pied du mur. Cela devait être envoyé ce soir, sans faute sinon cela remettait en cause l’ensemble du processus. C’était ça aussi les conséquences du métier d’avocat s’était-il dit résigné en jetant un regard distrait par la fenêtre.
Le client du cabinet avait indiqué qu’il avait mobilisé toute son équipe pendant les fêtes et que le rachat de cette société ne lui passerait pas sous le nez. Il restait encore énormément de choses à régler, et particulièrement deux fondamentales. La première était d’ordre technique. Il fallait impérativement boucler le dossier d’achat ce soir car la date limite de dépôt des propositions était fixée le jour même à minuit. Il n’avait obtenu les derniers éléments nécessaires pour finaliser le dossier que dans l’après-midi et il lui avait fallu plusieurs heures pour tout collationner. Cela avait pris plus de temps que prévu à Julien pour défricher les tonnes de papier de l’avocat du partenaire, et reconstituer parfaitement et de manière lisible le dossier bancaire d’acquisition. Il lui restait enfin à parfaire le dossier de présentation pour qu’aucun petit grain de sable ne vienne se glisser dans la mécanique parfaite mise au point lors des multiples et interminables réunions préparatoires et opérationnelles.
Et tout ceci ne devait servir qu’à la réussite de la seconde action fondamentale prévue qui était, celle-ci, d’ordre purement relationnelle. Julien l’avait appris depuis bien longtemps. Il ne sert à rien de préparer le plus beau dossier du monde, le plus argumenté, le plus étayé, et le plus complet si l’offensive de charme programmée pour ce week-end tombait à l’eau.
Son avocat associé avait pris en main cette partie. C’était là où il était le plus fort, et le plus talentueux. Son associé, Patrick, était un homme brillant. Il faisait preuve d’une réelle intelligence et d’une mécanique intellectuelle parfaite. Il était capable de maîtriser parfaitement des dizaines de données, des chiffres, des argumentaires juridiques, et des détails techniques difficilement assimilables par le commun des mortels. Vraiment, il était brillant. Mais l’intelligence n’était pas son seul talent.
Il avait également le bon goût d’être cultivé, raffiné, et disposant d’un à-propos inimaginable capable de faire preuve d’un “ public relation ” absolument parfait. C’est donc lui qui s’y collait cette fois encore au grand dam de Julien d’ailleurs. C’est lui qui était parti tout le week-end en Savoie pour aller skier avec les propriétaires historiques mais minoritaires – bien que disposant toutefois d’une minorité de blocage – de la cible pour les convaincre d’apporter tout leur soutien lors de l’analyse des propositions du client du cabinet.
Cette offre ne pouvait pas échouer. Tant pour le client que pour le cabinet, le client et les deux associés avaient joué trop gros sur ce coup là, avaient pris de trop gros risques en engageant leur responsabilité et même leur réputation dans cette affaire. Elle ne pouvait pas échouer.
La nuit était tombée depuis plusieurs heures déjà. Dans son grand bureau, assis près de la fenêtre, Julien décida de prendre quelques secondes pour regarder les passants. Ils avaient vraiment pris une bonne décision de s’installer à cet endroit de Paris. Leurs bureaux se trouvent à quelques encablures des Champs-Élysées. Une adresse prestigieuse sans pour autant devoir payer un loyer démesuré et en plus, une vue imprenable sur la rue, sur cette faune incroyable du huitième arrondissement, ces messieurs en cravate dans des costumes venant des meilleurs tailleurs de Paris, ces groupes de jeunes qui ne viennent là que pour tromper leur ennui et le gris de leurs habitations, de leurs vies délabrées, ou encore ces couples heureux de se balader bras-dessus bras-dessous pour faire les derniers achats de Noël. Il les regardait aller chercher les amuses bouches du repas de demain chez le traiteur fin du coin de la rue, ou bien chercher le dernier cadeau qu’ils n’ont trouvé ni l’un ni l’autre, ou bien encore simplement vivre le plaisir simple de se promener dans les bras de l’autre. Il les regardait se blottir l’un contre l’autre, chercher et trouver la chaleur de l’être aimé dans ce froid qui est tombé si brutalement depuis plusieurs jours. Simplement s’amuser de la fumée qui sort de la bouche quand on souffle un peu plus fort. Se dire qu’il fait froid mais que peu importe car il y a quelqu’un, là, à côté. Quelqu’un là pour l’entendre et resserrer doucement son étreinte qui rassure plus que tous les poèmes et les déclarations du monde.
Lui, personne ne l’attend ce soir, pensa-t-il. Personne ne l’attend et c’est tant mieux se dit-il résolument.
Il peut se concentrer exclusivement sur son dossier, sur ce dossier qui ne peut pas attendre. Malgré les amoureux qui passent dans la rue, les groupes de banlieusards à doudoune qui crient et provoquent les mémés avec leurs toutous, la terre ne s’arrête pas, la planète finance ne cesse jamais de tourner et il en fait partie ! Il en est fier. Il n’en est peut-être pas heureux mais ça il ne se l’avouera jamais. Il en est fier et c’est ça qui compte ce soir. C’est bien la seule chose qui compte pour lui ce soir sinon il serait avec elle.
Chap. II
Le visage d’Esther se figea dans ses pensées. Il était perdu, il le savait. Dès que son visage forçait la porte de ses souvenirs, il savait qu’il lui serait très difficile de s’en défaire. A de nombreuses reprises par le passé il avait essayé différentes méthodes pour la faire sortir de sa tête lorsqu’elle y débarquait. Rien n’y faisait. Dans le meilleur des cas, il en avait pour de très longues minutes à ressasser son image et les souvenirs qu’elle faisait resurgir.
Extrayant une cigarette de son paquet à moitié vide – ou à moitié plein, il ne savait jamais exactement –, il la porta à ses lèvres et approcha son briquet. Le tabac commença à brûler.
Julien s’abandonna à ce petit moment d’extase purement égoïste. Il ferma les yeux tout en repérant machinalement que le cendrier qui doit être là est bien ici justement, et commença à se livrer à ce qu’il détestait le plus finalement dans ces moments-là. Il le détestait car de manière immuable, irrépressible, et totalement inévitable, il savait qu’il était parti pour un de ces moments de mélancolie sublime. Il plongeait dans ses souvenirs. Il revivait invariablement sa rencontre avec Esther.
Il s’en souvenait parfaitement. Il se souvenait de tellement de détails. Son esprit l’emmenait bien avant sa rencontre finalement. Il parcourait le spectre de sa vie adulte, de ce qu’il a pu éprouver comme sentiments, de ce qu’il a pu faire aux grands moments de sa vie. Il repensait à toutes les décisions importantes prises. Ou pas.
Mais son esprit s’arrêtait à ce moment précis où il l’a vue. A ce moment où, se détournant du tapis qui devait cracher sa valise après dix heures de vol, il l’a aperçue.
Au moment précis où ses yeux se posèrent sur elle, il sut qu’il se souviendrait toute sa vie de ce à quoi elle ressemblait. Son image s’est gravée dans sa mémoire à tout jamais. Ses vêtements resteraient les mêmes. Il ne la verrait pas habillée en jean clair une fois puis en plus foncé à la prochaine résurgence de ces souvenirs, même lors de la classique réunion de famille ou d’amis qui veulent savoir pour la cinquantième fois comment ils se sont rencontrés.
Difficile de dire pourtant objectivement qu’Esther était magnifique. Engoncée dans un pantalon verdâtre, chaussée de gros godillots usés, et habillée en haut d’un improbable marcel kaki, il était difficile de la qualifier d’apprêtée. Une vulgaire pince relevait ses cheveux en un chignon défraîchi.
Avec le temps il avait réussi à reconnaître l’air qu’elle affichait à ce moment-là.
— Vous me voyez là ?! Si quelqu’un m’approche, je le mords, semblait-elle dire.
Julien comprit immédiatement que s’il avait eu le malheur de s’approcher, elle l’aurait effectivement mordu. Et fort en plus ! Il comprit que non, décidément, il ne fallait pas l’emmerder cette fille.
A ce moment précis, ses pensées cependant étaient légèrement plus complexes ou pour le moins plus élaborées que cela. Il se souvint que deux sentiments l’envahirent au moment précis où il la vit.
Le premier naquit lorsqu’il croisa son regard et examina en une fraction de seconde le corps qui s’affichait devant lui.
— Non, Julien, mon garçon, laisse tomber, se dit-il. Première chose, tu n’es pas là pour sauter sur la première fille venue. Tu es là pour te reposer, pour te relaxer, pour fuir toutes les emmerdes sentimentales dans lesquelles tu t’es fourré à Paris.
Julien savait parfaitement ce qu’il fuyait en attendant sa valise dans cet aéroport du bout du monde. Il s’échappait de Paris, laissant derrière lui les morceaux de vie qui l’avait terrassé ces derniers mois. Il était hors de question de retomber dedans alors que les moteurs de l’avion n’avaient même pas refroidi.
Deuxième chose. Non mais tu l’as vue cette fille ? Es-tu sûr de bien l’avoir regardée ? Elle est beaucoup trop belle. Elle est beaucoup trop ravissante avec sa petite moue de petite fille. Cette révolte qui fait que ses yeux pétillent. Sa petite frustration et son petit énervement permanent qui percent dans ses yeux.
Même si Esther fermait ostensiblement la bouche pour ne pas crier sa volonté de tout foutre en l’air, Julien en tomba amoureux au premier regard.
— Cette fille est vraiment trop belle, trop charmante, trop ravissante pour être toute seule, pensa-t-il.
Sauf qu’il était confronté à un vrai problème. Cette fille, si elle se retrouvait dans la salle d’attente des bagages de l’aéroport de Zanzibar, Tanzanie, c’est qu’elle était en vacances, non ?
— Et dans tous les cas, vu sa tenue et le sac posé à ses pieds, elle n’a pas l’air d’être là pour affaire. Donc, elle est en vacances, pas besoin d’avoir fait de hautes études pour le deviner. Donc, cette fille est en vacances. Sauf qu’une fille comme ça n’est pas en vacances et pas en Tanzanie, toute seule quand même. Alors quoi ! Alors il faut bien lui trouver une raison pour qu’elle fasse cette tête-là, se questionna-t-il tout en balançant son regard alternativement sur le tapis et sur Esther.
Il poursuivit son raisonnement.
— Cette raison est finalement assez simple. Cette fille est en vacances en Tanzanie – jusque-là ça se tient se dit-il. Belle destination pour un mois de février. Elle est avec son homme, ça paraît évident. Jusque-là, continua-t-il toujours dans ses pensées, ça ressemble étrangement à un truc du genre voyage de noces retardés pour raisons financières. Sauf que cette fille fait une tête pas possible et ça ne doit pas être parce que sa valise a été perdue. Ne fais pas cette tête-là avait-il envie de lui dire, les bagages n’ont même pas encore été déchargés ! Il chercha d’autres hypothèses à examiner. Alors quoi ? Tu t’es disputée avec ton mari/mec/amant/copain ? Il a reluqué d’un peu trop près une hôtesse ?
En tout état de cause, c’était son explication. Cette fille, une fille comme ça, ne pouvait pas être seule, ce n’était pas possible. Elle était OBLIGATOIREMENT avec quelqu’un. Il y avait forcément un homme pas loin, armé jusqu’aux dents pour défendre corps et âme son trésor. Une fille comme ça, avant même qu’elle ait ouvert la bouche, est un trésor, une beauté.
Parfois, de certains hommes qui font preuve ou qui peuvent faire preuve d’une certaine grandeur d’âme, l’on dit que ce sont des “ Seigneurs ”, pensa Julien, sortant de ses songes, en regardant par la fenêtre de son bureau parisien.
En ce qui la concernait, c’était une Princesse.
A cet instant précis, dans les yeux de Julien, il ne manquait plus à Esther que le carrosse – Maserati ou Jaguar si possible–, la robe – Chanel ou Christian Lacroix mais définitivement pas pratique dans la Maserati, donc Jaguar le carrosse – et la baguette – Cartier ! Forcément.
Ainsi, aéroport de Zanzibar, Tanzanie, après dix heures de vol de nuit, après avoir tenté d’avaler des choses infâmes fournies à titre de repas par la compagnie charter, après plusieurs jours étranges où il s’était rendu compte petit à petit qu’il partait seul en vacances, dans un pays totalement étranger, dans un pays typique pour les vacances à deux, un pays qui fait rêver, l’Afrique, les animaux, éléphants, girafes, lions, tigres… Après ces journées bizarres en attendant un voyage qu’il n’avait imaginé faire tout seul, si tant est qu’il l’avait imaginé un jour, il était là en train de se raisonner face à cette femme à moins de quinze mètres de lui.
— Julien, laisse tomber s’il te plait, se dit-il. Tu n’es pas arrivé depuis un quart d’heure, tu ne vas quand même pas commencer à imaginer laquelle des filles tu vas aborder quand même ! Tu as fui Paris pour t’échapper de ce type d’emmerdes, tu ne vas quand même pas te remettre dedans moins d’une heure après avoir posé le pied sur le sol africain…
Il ne savait pas encore pour quelle raison elle se retrouvait là elle aussi et il ne s’en inquiétait d’ailleurs pas puisque pour lui, définitivement, elle n’était pas seule. Elle ne pouvait pas être seule. A partir de là, aucun intérêt de savoir pourquoi elle était là. Si c’était pour apprendre qu’elle et son futur mari étaient là après qu’il l’ait demandé en mariage. Qu’ils étaient heureux, après deux ou trois ans de vie commune, un bon boulot pour les deux, une petite vie tranquille, des parents et beaux-parents respectifs en pleine santé, des amis, des projets. Si c’était pour entendre tout ceci, non merci. Désolé. Julien n’était pas venu là pour ça. Hors de question de se coltiner Mlle Valentine Bouchon qui va se marier avec M. Marc Dumoulin pour nous faire de gentilles petites têtes blondes qui s’appelleront Arthur, Gudule, Victor, Amandine ou Clarisse et qui auront leur appartement dans le septième ou le dix-septième arrondissement, une petite maison qui vient du côté de la grand-mère en Vendée, une carte Fréquence Plus rouge pour l’accès au loundge quand ils vont dans “ les îles ” deux fois par an et des tickets restau…
— Désolé mais moi, je ne suis pas là pour ça, se dit-il résolument. Marre de tout ce bordel, marre du boulot, marre de ces cons, ou plutôt, marre de ces connes. Marre de celles qui ne comprennent rien. Marre de celles qui font tout pour que je ne comprenne rien. Marre de celles qui sont compliquées à en mourir et de celles qui sont trop simples au point qu’il n’y a que des imbéciles comme moi qui pensent encore que ça doit être compliqué, qu’il y a de multiples raisons, que ça ne peut pas être aussi simple…
Julien sortait de l’année précédente trop amoché, trop déchiré. Les différents morceaux étaient tous là mais pas forcément au bon endroit en fait. Il ne s’en était pas aperçu à l’époque, il ne l’avait pas encore réalisé. Julien pensait qu’il manquait des bouts mais non, il fallait juste quelque chose, quelqu’un pour lui faire comprendre que les morceaux, loin d’être manquants, étaient au contraire, tous là, tous présents. Il suffisait juste de les prendre, des les recoller un tout petit peu, de mettre une attelle ici ou là en fait entre chaque morceaux déchirés ou cassés. Il suffisait de laisser reprendre la sauce, sans forcer, sans s’acharner, juste laisser les choses se remettre ensemble.
C’est d’ailleurs pour cela qu’il était là en train d’attendre sa valise car décidément, il avait besoin de vacances.
Ces derniers mois, Julien avait encaissé plusieurs événements se suffisant largement à eux-mêmes.
Charles, son meilleur ami s’était suicidé au début du mois de mai. En septembre, Julien quitta sa fiancée après une relation de plus de six ans. La séparation fut âpre et impitoyable. A la fin du mois d’octobre, le père de Julien mourut d’un cancer généralisé après un an de souffrance et d’allers-retours entre la maison familiale et l’hôpital. Et la période de Noël ne fut pas plus heureuse. Profitant de sa fragilité émotionnelle, il se fit escroquer par un couple de bandits opportunistes. La femme n’eut aucun mal à le séduire et après quelques semaines de relations ambigües, le couple s’évanouit dans la nature en le délestant de plusieurs milliers d’euros, le laissant dans une détresse émotionnelle aussi lourde que son compte en banque s’était allégé.
Cette dernière péripétie fut celle de trop. Julien craqua. Il n’avait pas supporté toutes les épreuves accumulées depuis des mois. Il explosa.
Quelques jours d’arrêt maladie pour la forme et surtout un bon vieux traitement de cheval aux bons vieux antidépresseurs lui permirent d’avancer, de continuer à vivre encore quelques jours, avant de partir. Sur un coup de tête et encouragé par son entourage, il décida de partir prendre deux semaines de belles vacances reposantes. Loin, très loin, très très loin…
Voilà pourquoi il était là, aéroport international de Zanzibar, en train de regarder une fille qui définitivement non, ne pouvait pas être là seule.
Lui était seul mais pas elle. Elle ne pouvait pas. Elle était trop belle pour ça. Elle avait automatiquement un beau et jeune cadre dynamique qui ne doit pas être très loin. Il devait être parti chercher un chariot certainement pour porter les bagages. Il devait être là pour s’occuper d’elle, la protéger, la soutenir, la chérir et autres paroles maritales niaises et ineptes quand on n’aime pas.
La valise de Julien arrivait sur le tapis.
— Tant mieux, se dit-il, je commençais à en avoir assez d’attendre et d’avoir à me poser des questions sur sa présence.
Une fois sa valise récupérée, il fila vers la personne chargée de lui indiquer vers quel mini-bus monter. Direction : l’hôtel.
Julien monta dans le véhicule et revit deux femmes seules qu’il avait déjà vu à l’aéroport d’Orly tellement elles lui avaient porté des regards insistants en se demandant ouvertement – à deux mètres de lui –, si toutes les personnes qu’elles voyaient autour d’elles à l’embarquement de l’avion participaient au même voyage, allaient dans le même hôtel, voulaient la même chose qu’elles. Faire des rencontres, incontestablement.
— Mais non, pensa-t-il. Je ne suis pas là pour ça et je ne vais certainement pas chercher ce genre de choses.
Il avait envie de se retrouver loin, de se retrouver tout court. Certainement pas de retomber encore dans une histoire loufoque ou complètement bancale.
Julien s’assit dans le mini-bus et commença à regarder défiler le paysage de Zanzibar sous ses yeux. La seule chose qu’il fut capable de se dire était de constater qu’il faisait vraiment très chaud dans ce pays.
— Tant mieux se dit-il en souriant. Je n’avais pas emmené mes gants ni mon bonnet !
Il flottait. Concrètement, il ne portait aucune attention au paysage. Il prenait conscience qu’il était ailleurs. Un ailleurs qu’il ne voyait pas, qu’il ne sentait pas, qu’il ne réalisait pas. Il avait enfin atteint cet ailleurs tant fantasmé ces derniers mois, cet ailleurs où il avait tant voulu être au lieu de se prendre sur la gueule tous les coups qui lui sont tombés dessus.
Cet ailleurs l’envahissait petit à petit. Il se libérait de lui-même. En regardant au loin, loin vers l’horizon, il aurait même pu entendre le deuxième mouvement du concerto pour clarinette de Mozart…
— Ce n’est peut-être pas Out of Africa mais c’est déjà un début de Out of me, pensa-t-il.
Arrivé à l’hôtel, il découvrit l’endroit qui allait l’accueillir pendant huit jours et sept nuits selon l’annonce du voyage. Un paysage idyllique, un endroit superbe, une plage de farine, un lagon protégé par une barrière de corail que l’on apercevait au loin. Un bâtiment très bien construit, une décoration typique, juste ce qu’il faut, pas plus, pas moins. Bref, un lieu rêvé de vacances vendues comme un paradis. Il en était loin du rêve mais c’est ce qu’il recherchait, c’est ce qu’il voulait en arrivant ici. Il ne fut pas déçu.
Après avoir pris possession de sa chambre, il réprima une petite moue de mécontentement. La vue de la fenêtre de la chambre ne répondait pas aux critères qu’il s’était arbitrairement fixé – très haut –, en arrivant dans ce beau bâtiment. Sa chambre était au rez-de-chaussée. En conséquence, il était impossible de dormir la fenêtre ouverte. Il n’avait pas de balcon mais un petit terre-plein avec des plantes et de l’herbe. C’était très joli, très agréable mais non, ce n’est pas comme ça qu’il imaginait la chambre où il allait passer neuf jours.
— Arf ! Pas grave se dit-il. De toute façon, non seulement je ne suis pas du genre à aller réclamer à la réception parce que ma chambre ne me convient pas, mais de surcroît elle me convient finalement alors que demander de plus ?
Il installa ses affaires, se changea et partit faire le tour du propriétaire en attendant l’heure du repas le midi.
La plupart du temps, les vacances sont régies par un timing particulier. Alors qu’ils manquent de temps tout le reste de l’année, les vacanciers n’en profitent pas pour autant. Ils restent attachés à un cadre et celui-ci est souvent fixé par leur estomac.
Lorsqu’ils travaillent, englués dans le quotidien chronophage et routinier de leur vie, les vacanciers et Julien en particulier, n’arrivent généralement pas à se résigner à profiter du temps dont ils disposent.
Une des manifestations les plus visibles est qu’en vacances, et surtout dans le cadre d’une formule club ou hôtel tout compris, l’heure du repas est fondamentale. Ce n’est pas qu’il ne faut pas la rater mais elle compte beaucoup plus que normalement. Un paramètre supplémentaire devait être pris en compte concernant Julien. Il faisait preuve d’un attachement quasi-psychotique à sa montre. Il lui fallait ce repère – à défaut d’autres – pour évoluer dans la vie. Le plus simple et le plus communément admis étant la division en heures, en minutes et en secondes du temps, c’était celui-là. Il ne se séparait jamais de sa montre.
Ainsi, il attendit presqu’avec impatience l’heure de ce premier repas.
— De surcroît et à ma décharge, se disait-il en souriant, je n’ai pas mangé normalement depuis vingt-quatre heures.
A l’heure dite, il se dirigea donc vers l’espace identifié comme le restaurant en entrant dans l’hôtel.
Première surprise, le repas ne se prenait pas là. Il se retrouva au beau milieu d’un garçon en train de nettoyer le sol en lieu et place de la cohorte de vacanciers, prêt à dévorer les plats préparés par les cuisiniers locaux et évidemment, à émettre tout un tas de remarques cachant plus ou moins leur aigreur. Encore une chose qu’ils feraient mieux d’oublier en métropole. Julien entendait déjà les remarques telles que : « m’ouais, c’est pas mauvais quand même… » ou bien « finalement c’est plutôt bon, étonnant mais plutôt bon, ça se laisse manger ».
Non. Contrairement à ce qu’il redoutait, il ne se retrouvait pas au milieu de cette faune mais face à un autochtone en train de laver le sol. Il comprit tout de suite pourquoi Julien était là et son désarroi.
Julien, pauvre petit blanc encore plus pâle que les lavabos de l’hôtel. Pauvre homme abandonné et perdu au beau milieu de l’Afrique noire. Livré à lui-même avec pour seuls outils de survie que son short et ses lunettes de soleil. Sans armes ni même un chapeau pour se protéger du soleil qui cognait déjà. Sans voir aux alentours un seul visage connu. Sans pouvoir se tourner vers quelqu’un qui puisse comprendre son état de totale dépendance face aux événements extérieurs hostiles par nature.
Julien ne trouvait pas le restaurant où le déjeuner était prévu à midi pile !
Un bref coup d’œil alentour l’enfonça encore plus dans le doute et la peur qui le prenait au ventre autant que la faim qui le tiraillait.
L’homme de ménage le regarda, comprit son désarroi et dissipa ses inquiétudes insoutenables en l’espace d’un geste. Du bras, imaginant que c’est la seule communication envisageable avec le vacancier, il lui fait signe et lui fait comprendre que le repas ne sera pas servi ici mais là-bas en pointant du doigt l’espace ouvert, à côté, tout à côté de la piscine.
Rassuré sur son avenir – il ne faudrait quand même pas que son entente avec ce lieu, soit gâchée si rapidement pour une simple histoire de repas – Julien se dirige vers l’ensemble de tables et le buffet dressés pour le déjeuner. Non sans ressentir une légère honte de ne pas avoir ouvert un tout petit peu les yeux.
Stratégiquement, il opta rapidement pour une table idéalement placée entre le buffet et les autres tables. Encore à moitié endormi par la chaleur et le voyage, il allait pouvoir observer la piscine… et la faune débarquée en même temps que lui dans cet hôtel.
Là, assis à moins de vingt mètres d’une piscine géante, à moins de cent mètres d’une plage faite de sable tellement fin et tellement blanc qu’on le confondrait avec de la farine, sous un auvent protégeant à la fois du vent parfois violent et du soleil à son plus haut ; là, tranquille, il la vit.
Chap. III
Mais que faisait donc cette fille seule ?
Car elle était bien seule.
Il ne voulut pas le croire. Sa première réaction fut de se dire :
— Tiens ! Il l’a encore abandonnée…
Il devait avoir énormément sommeil, être complètement fatigué par le voyage et avait dû rester dans la chambre pour dormir et récupérer du trajet. Elle était venue manger un morceau et elle repartirait juste après finir une sieste qu’il imaginait douce et tendre à la fois.
— Quelle chance… se dit-il. Et puis quand même, continua-t-il à se dire secrètement, il ne faut pas être plus idiot que je ne le suis déjà. Comment se fait-il que je ne l’ai pas vu à l’aéroport ce type ? Pas vu non plus dans le bus en venant. Pas vu en arrivant à l’hôtel. Et encore ce midi…
Le doute le saisit.
— Alors elle est donc effectivement seule, conclut-il sans trop y croire. Etonnant, très étonnant se disait-il en définitive.
Il était bien obligé de se faire à l’idée. Cette femme était seule.
Elle était magnifique.
Elle était vêtue d’un maillot de bain bleu turquoise et d’un paréo, le genre de vêtement typique que les femmes mettent sur la plage. Elle avait certainement piqué une tête le matin et n’avait pas pris le temps de retourner dans sa chambre pour se changer. Julien se dit qu’elle ne voulait-elle peut-être simplement pas se changer pour déjeuner estimant que sa tenue suffirait largement au repas léger qu’elle s’apprêtait à prendre.
Elle s’est installée à une table comme la sienne, à la fois en retrait tout en offrant un point de vue général. Ils se retrouvèrent ainsi tous les deux dans la même configuration ou presque. Avec une différence notable. Elle s’était installée dos au paysage. Elle n’avait devant elle que ce qui ressemblait à une palissade avec un petit espace de verdure totalement laissé en friche avec des plantes grimpantes ou hautes, en tout cas, rien qui ne pouvait tenir la comparaison avec le paysage qui s’offrait juste derrière elle.
— Pourquoi donc se passe-t-elle au choix, de la piscine translucide, de la mer turquoise, du ciel bleu ou des palmiers, se demanda-t-il.
La prévenance des garçons de table fit son office dès qu’elle s’installa. L’un deux se jeta sur elle pour attendre le moindre de ses désirs.
— Non merci, je vais réussir à trouver le buffet, semblait-elle lui signifier.
Elle semblait aussi à l’aise que Julien avec l’anglais. Puis, se ravisant elle lui glissa un mot, peut-être deux, agitant les mains comme tous les étrangers dans un pays dont ils ne parlent pas la langue comme si, croyance largement développée dans l’imaginaire collectif, cela pouvait aider à faire comprendre ce qui ne peut la plupart du temps être exposé qu’avec les mots adéquats.
Ce fut la deuxième chose qui le frappa chez cette femme seule – c’était une certitude dans son esprit à présent, elle était seule. Le garçon de table qui revenait vers elle, posa sur sa table une bouteille d’un demi-litre de bière brewered in Tanzania.
— Ainsi donc, se dit-il encore surpris, non seulement 1. elle est seule, 2. elle ne prend pas le temps ou n’a pas la volonté de se changer pour déjeuner, mais de surcroît 3. elle boit de la bière et n’a pas peur de voir arriver un demi-litre entier pour le déjeuner…
Ce n’était pas particulièrement les attributs classiques que Julien octroyait à une femme moderne mais cela en faisait partie. Il en conclut donc qu’elle était une femme moderne, active, et qui s’assume. Bizarre. Il se méfiait de ce genre de femmes car malheureusement, c’était typiquement les femmes qui l’attiraient. Julien aimait les femmes avec du caractère, qui ne s’en laissent pas compter, qui décident de prendre leur vie en main et de ne pas se refuser les plaisirs les plus classiques. Elle bénéficiait ainsi à ses yeux d’un a priori très positif.
Il se reprit. Il la scrutait depuis trop longtemps, il fallait qu’il se détache d’elle. Il n’allait pas passer son déjeuner à la scruter et à la dévisager. Julien ne connaissait pas cette fille, il était en vacances dans un cadre idyllique, il avait autre chose à faire. Pourtant, irrépressiblement, il ne pouvait détacher son regard de cette fille. Elle était vraiment belle.
Elle se leva. Cela le surprit. Il l’avait figée dans le temps et l’espace. Elle ne faisait pas partie des vivants, elle était là, faisait partie du décor paradisiaque.
Sa beauté, juste entr’aperçue jusqu’ici, sa grâce simple et dépouillée, dans son paréo d’où se détachait des motifs en forme de soleils et de mer bleue, l’attachaient au décor, au paysage. Elle ne pouvait pas avoir une vie autre que celle qu’il voyait là. Il avait totalement évacué les questions sur son potentiel petit ami, mari, fiancé ou amant. Elle n’existait plus que là, maintenant, tout de suite. Sans précédent ni futur. Elle était là et s’exposait à ses yeux de manière aussi ravissante que l’enchantement du paysage l’entourant, l’englobant, dans lequel il se noyait avec délectation. Il était là pour ça. Il était là pour changer ce que ses yeux et son cœur avaient trop emmagasiné depuis des mois, pour trouver autre chose à voir, à regarder. Il ne pouvait pas imaginer qu’elle puisse se détacher de l’environnement dans lequel il l’avait trouvée. Elle était totalement indétachable du reste. Elle faisait partie du rêve qu’il était en train de vivre.
L’impossible arriva pourtant. Elle s’était levée. Un élément du tableau qu’il contemplait bougea. Comme si la Joconde se mettait à tirer la langue. Comme si un guerrier de l’enlèvement des Sabines dégainait une mitraillette. Comme si l’un des naufragés du Radeau de la méduse sortait son téléphone portable.
Elle se leva et se dirigea vers lui. L’effroi le saisit. Non seulement Mona Lisa lui tirait la langue mais en plus, elle sortait du tableau pour venir vers lui. Un éclair de lucidité traversa son esprit.
— Bien sûr que non elle ne se dirige pas vers toi mon pauvre garçon pensa-t-il en souriant. Aurais-tu déjà oublié où tu es placé pauvre idiot. Ben oui mon pauvre garçon, continuait-il intérieurement, tu es juste devant le buffet. Tout le monde va se diriger vers toi s’ils veulent manger, ne serait-ce qu’un peu ! Elle ne se dirige pas vers toi idiot mais vers le poulet sauce piquante et le riz pilaf.
Etait-ce son regard différent sur elle lorsqu’elle se dirigea dans sa direction ? Etait-ce les circonstances particulières dues à la fatigue, l’éloignement, le sentiment de se sentir dans un pays étranger dont on parle peu la langue.
Toujours est-il qu’elle s’est dirigée vers le buffet et en passant à côté de lui, dans un déhanchement ébouriffant, dans un geste si gracieux, dans une fraction de seconde dont Julien se souviendrait toute sa vie, elle le regarda, lui sourit et lui lança un Hi ! qui eut pour principal effet de lui couper en même temps la respiration, la voix, la circulation sanguine et les divagations intellectuelles auxquelles il se livrait depuis presque une trentaine d’années.
Hi !
C’est tout.
Le prenait-elle pour un anglophone ? Un local ? Il n’avait quand même pas tant bronzé depuis les quelques heures qu’il était dans ce pays… ? Julien n’en avait aucune idée. Tout ce qui comptait c’est qu’elle lui avait lancé ce Hi ! inoubliable.
C’était le plus beau Hi ! que quiconque lui avait jamais adressé de toute sa vie. Le plus doux, le plus désintéressé, le plus spontané. Si un seul être vous manque et tout est dépeuplé, un seul mot et tout se bouscule. Tout revit.
Totalement tétanisé, il n’arriva même pas à répondre. Une sirène s’approche de lui, l’aborde, lui fait des avances presque et il arrive quand même à la dédaigner avec son petit air pédant qui n’appartient qu’à lui et qui le rend si détestable.
En fait, elle se dirigeait vers le buffet d’un hôtel de vacances, passe à côté d’un type qui la fixe comme un malade depuis presque dix minutes, cherche à être polie en lui adressant une simple formule de politesse et elle le dit tellement bas qu’il peut très bien ne pas avoir entendu ou en tout cas, effectue juste un hochement de tête pour lui rendre la politesse de son bonjour.
Julien fut totalement bloqué par ce Hi ! si inattendu. Il n’eut pas la présence d’esprit de répondre, ni de lui rendre la plus élémentaire des politesses.
Dire qu’il s’en voulut pendant tout le repas serait vraiment en-deçà de la vérité. Il s’en voulut toute la journée de ne pas avoir eu la force ni le courage de lui rendre un simple bonjour.
Se morfondant sur sa pauvre petite condition de débile mental, Julien termina son repas avec un café et l’envie de s’enterrer vingt pieds sous terre pour ne pas avoir à affronter son regard dans la glace la prochaine fois qu’il se croisera.
Cela ne la perturba pas le moins du monde. Tout ce qui se passait autour d’elle ne l’atteignait pas. Elle était étrangère au monde. Rien ne pouvait l’atteindre, elle survolait le monde. Elle planait au-dessus du commun des mortels, évanescente et pourtant omniprésente. Elle était de ces êtres différents du commun des mortels. Pour espérer l’atteindre, il fallait rêver.
Julien se perdit dans ses rêveries jusqu’au moment où il remarqua qu’elle se levait. Elle finit son repas rapidement. Elle prit ce qui restait de sa bière à peine entamée et se dirigea vers le transat qu’elle avait délaissé un peu plus tôt.
Elle ne lui jeta plus un seul regard de la journée. Elle ne l’avait pas plus remarqué que comme un obstacle vers sa salade de concombre. Elle termina sa journée entre piscine, plage, transat, et gorgée de bière, laissant Julien à lui-même s’enfoncer dans ses regrets, son idiotie, son manque de répartie.
Bien qu’Esther ait plutôt de la facilité à supporter les voyages en avion, en arrivant à l’hôtel elle était épuisée. Le voyage avait été éprouvant. En descendant de l’avion, elle avait du mal à émerger en attendant sa valise qui peinait à arriver sur le tapis. S’il y avait bien quelque chose qu’elle ne supportait pas c’était le manque de sommeil. Ces dernières vingt-quatre heures, elle n’avait pas eu son quota de sommeil minimal. Elle avait beaucoup de mal à y voir clair. Les yeux dans le vague, ne pensant à rien, elle regardait fixement le tapis sans se préoccuper de quoi que ce soit d’autre. Elle remarqua à peine l’homme qui la fixait.
La seule chose à laquelle elle pensait c’était dormir.
Elle se retrouvait ici un peu par hasard. Esther travaillait dans une entreprise de la nouvelle économie. Ces entreprises qui prennent prétexte de leur domaine d’activité – les services gérés principalement par l’informatique –, pour faire travailler leurs employés sur des rythmes hallucinants sous prétexte qu’ils travaillent pour l’avenir.
N’en pouvant plus, c’étaient ses collègues qui lui avaient demandée de partir en vacances. Cela devait faire au moins un an et demi qu’elle n’avait pas pris de vraies vacances. Elle était arrivée à un niveau d’énervement et de stress qui ne lui permettait plus de gérer son équipe correctement. Et son équipe avait, en retour, beaucoup de mal à gérer son tempérament explosif. Cela devenait réellement professionnellement problématique. Ainsi, malgré ses réticences, elle avait accepté. De plus, ses collègues lui avaient trouvé la destination idyllique pour se reposer : le Sandy Neptune Pawni Beach, Zanzibar, Tanzanie, Afrique.
Pourtant, même en partant en vacances, elle était capable de stresser et d’être insupportable pour tous ceux qui l’entouraient. Le trajet de Bordeaux, où elle habitait et travaillait, à Paris pour prendre l’avion fut déjà compliqué. Elle réussit à se mettre à dos non seulement le personnel de bord mais également tous les passagers du vol, simplement parce qu’elle ne descendait pas assez vite. Son temps était précieux, et il était hors de question qu’elle prenne un vol une heure avant pour se donner la marge suffisante afin d’éviter de rater son vol international. Malheureusement, une marge de manœuvre d’une demi-heure était trop réduite pour arriver à l’heure pour l’enregistrement de son deuxième vol. Elle avait failli en arriver aux mains avec l’hôtesse, mais avait réussi néanmoins à monter dans l’avion pour la Tanzanie à temps. Une fois installée dans l’avion, elle s’endormit sans demander son reste. Ces quelques heures de repos, bien maigres compte-tenu du nombre d’heures qu’il lui fallait quotidiennement, ne suffirent pas à la détendre. En arrivant à l’hôtel, la seule chose à laquelle elle pensait, c’était dormir. Et elle aurait tué une bonne douzaine de tueurs à gages polonais, est-allemands ou calabrais pour ça.
À peine sa valise posée dans sa chambre, elle enfila son maillot de bain et son paréo pour filer s’installer sur un transat libre. Bercée par l’air chaud et le bruit des vagues, elle s’endormit en deux minutes. Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle eut faim.
C’était le deuxième besoin fondamental d’Esther. Outre les huit heures de sommeil lourd qu’elle devait impérativement avoir chaque jour, Esther avait besoin de manger régulièrement. Elle jeta un coup d’œil à sa montre, et regarda par-dessus son épaule. Elle s’aperçut que les tables étaient dressées, l’heure du repas était arrivée. Elle ne fit même pas l’effort de remonter dans sa chambre pour se changer, les tables étaient dressées en terrasse près de la piscine. Tout se conjuguait parfaitement bien. Elle allait pouvoir déjeuner rapidement et retourner s’allonger. Lorsqu’un garçon de l’hôtel s’approcha d’elle pour prendre sa commande, elle comprit que cela n’allait pas être simple. Esther ne parlait pas un mot d’anglais. Le personnel de l’hôtel ne parlait pas un mot de français. Il allait donc falloir faire avec. Esther comprit que chacun allait se servir au buffet, et se demandait ce que lui voulait ce serveur. Elle comprit enfin qu’il était là pour s’occuper de ce qu’elle voulait boire. Prise au dépourvu, elle commanda une bière un peu au hasard. Quelle ne fut pas sa surprise de s’apercevoir, lorsque le garçon la lui ramena, qu’elle n’arriverait jamais à boire tout ça. Elle en aurait au moins pour toute la journée.
— Quelle idiote, se dit-elle. Je ne suis même pas encore réveillée, je ne vais quand même pas boire de l’alcool. Le plus simple continua-t-elle pour elle-même, c’est encore d’aller se servir à manger.
Un autre serveur se présenta elle. Évidemment toujours en anglais. La seule chose qu’elle reconnut, c’est l’interjection internationale pour se saluer : Hi !
— OK se dit-elle, ça au moins je sais ce que cela veut dire, et je sais le dire.
Elle se leva, bien décidée à répondre à toutes les sollicitations par un bonjour poli, mais en anglais !
En s’approchant du buffet, son regard croisa celui d’un homme assis à une table non loin de là. L’insistance de son regard la surprit. Ne souhaitant à aucun prix entamer la moindre conversation – elle avait trop faim et était trop fatiguée pour faire le moindre acte de relations publiques –, elle prit les devants et lui lança un salut poli rapide tout en se dirigeant vers le buffet où elle se servit une légère assiette. Elle retourna à sa table et avala rapidement les quelques crudités avec un peu de pain. Sans plus attendre, elle ramassa la bière à peine entamée et l’emmena avec elle jusqu’au transat qu’elle avait délaissé auparavant.
Elle cala ses lunettes de soleil sur son nez, regarda la mer au loin, rêva quelques minutes en buvant plusieurs gorgées de bière, puis s’endormit.
Toute l’après-midi, Julien s’était installé sur un transat face à la mer. Il ne cessait de ressasser l’épisode du déjeuner. En désespoir de cause, il décida enfin de se détendre. Il passa toute l’après-midi à essayer de trouver un peu de repos, installé entre la piscine, la mer, et le bar. Il s’était placé sous un arbre dont tombaient des fleurs par moment. C’était de ravissantes petites fleurs blanches et il s’imaginait déjà en train d’en ramasser quelques-unes pour les amener à sa belle et tenter de rattraper la faute qu’il avait commise le midi. Toute l’après-midi, il se demanda comment aborder sereinement une discussion alors qu’il n’avait même pas montré la plus élémentaire politesse. Puis il se décida à prendre son livre.
Il avait pris la résolution de venir en vacances avec un livre assez facile à lire. Il n’en avait pris qu’un seul mais le nombre de pages correspondait exactement à l’idée qu’il se faisait d’une activité intellectuelle sur une plage au bord d’une piscine. C’était un livre dont un film d’horreur avait été tiré, très bon film pour autant qu’il s’en souvienne. Il s’était dit qu’un livre qui faisait environ mille pages suffirait largement pour la dizaine de jours qu’il avait à passer ici. Entre les séances de baignade et de sieste, normalement il arriverait à le finir. À peine commencé, il était passionnant. Cela ne manquait pas de lui causer quelques soucis existentiels et métaphysiques, puisqu’il avait à choisir entre aller se baigner, comme l’exigeaient ses muscles qui n’étaient plus sollicités depuis trop longtemps, s’assoupir comme le demandait son esprit qui n’avait absolument ni la force ni l’envie de faire autre chose que de s’endormir, ou enfin lire son livre que sa conscience et son intérêt demandaient. Pourtant, il n’arrivait à rien d’autre qu’à regarder cette fille qui se trouvait à assez bonne distance de lui, à quelque trente ou quarante mètres. Elle divaguait tranquillement entre la plage, la piscine, et son transat où l’attendait toujours la même bière qui devait largement être chaude depuis.
Il la regardait de loin. Il la scrutait. Il tentait de percer son secret, pourquoi était-elle là. Pourquoi était-elle toute seule. Cherchait-elle, elle aussi désespérément, à trouver son bonheur entre le transat, l’eau de la mer à trente degrés et celle de la piscine à vingt-huit.
Tout au long de l’après-midi, Julien put regarder plus tranquillement la femme allongée sur le transat non loin de lui. Une impression de sérénité se dégageait d’elle.
Il sourit en lisant l’écriteau accroché à l’arbre non loin d’elle. Beware of falling coconuts, y était-il écrit.
— Attention aux chutes de noix de coco… répéta Julien à haute voix en français. Alors ça c’est original, continua-t-il. Et en effet, il vit quelques noix de coco qui trainaient ça et là au pied de l’arbre, probablement tombées depuis quelques temps déjà.
Puis, sans voir l’énormité du lien que son esprit faisait, il continua de s’amuser de ses réflexions.
— Généralement, on dit tomber amoureux mais là, avec le risque de prendre une noix de coco sur la tête, ça devient beaucoup plus risqué, se dit-il en riant.
Il se rendit compte qu’il ne l’avait pas encore détaillée physiquement. Même s’il la voyait de loin, il put s’attarder sur les aspects physiques. A chaque coup d’œil jeté vers elle, il trouvait un nouvel aspect qui lui plaisait. Cette femme était vraiment magnifique. Elle était mince. Presque menue. Elle devait mesurer environ un mètre soixante-cinq mais paraissait plus grande. Il apprécia particulièrement le moment où elle se mit de la crème sur tout le corps. Sans être bronzée, elle n’avait pas la peau blanche d’une parisienne. Julien remarqua particulièrement la finesse de ses jambes, sa taille marquée, ses bras fins, et ses doigts de pianiste. Bien qu’il n’ait pas la moindre idée de la réalité de ce qu’il pensait, il l’imaginait musicienne. Même si ses mollets étaient fins, cela ne faisait pas ressortir pour autant ses cuisses et ses hanches. Seule sa taille parfaitement dessinée faisait la jonction entre son buste et son bassin. Son ventre était musclé, et Julien voyait sa poitrine se soulever régulièrement au rythme de ses respirations. Il remarqua ses seins menus sous son maillot de bain léger. Julien remarqua le minimalisme de son maillot. Il était composé, pour le bas comme pour le haut, de quelques triangles bleus pâles rattachés entre eux par de simples ficelles. Julien aimait particulièrement son visage. Il était comme son corps. Fin, musclé, racé. De manière totalement irrationnelle, Julien voyait en elle une femme décidée, volontaire, autonome. Il avait du mal à voir son visage précisément de là où il était. Il ne pouvait pas avoir sa bouche fine, ses petites pommettes, et ses yeux en amande parés de cils audacieux. Il pouvait cependant voir ses cheveux mi- longs, châtains clairs, qu’elle avait ramenés en queue de cheval.
À plusieurs reprises, Julien put voir comment elle se déplaçait. Que cela soit pour aller se baigner dans la mer, ou plonger dans la piscine, à chaque fois c’était une nymphe qui apparaissait devant lui. Il avait suffi de quelques pas pour que Julien soit totalement subjugué par sa classe naturelle.
Cette femme avait des doigts de pianiste, un corps de danseuse, et la grâce de Vénus sortant des eaux de Botticelli. C’est surtout lorsqu’elle sortait de l’eau justement que Julien évitait de la regarder trop fixement. Le regard qu’il portait sur elle à ce moment-là en devenait presque déplacé. Il était subjugué, envoûté.
Chap. IV
L’après-midi passa ainsi. Entre lectures brèves, baignades jouissives, et regrets tournés et retournés en tentant de se rassurer, il essaya de se convaincre que de toute façon, il n’était pas venu là pour ça. Quelqu’un d’autre pouvait bien l’approcher, un autre plus téméraire, plus audacieux, plus beau de toute façon. Certainement plus intéressant.
L’heure avança et bientôt le soleil tomba pour laisser la nuit noire recouvrir l’hôtel. Il fallait se préparer pour le dîner. Sur le petit panneau qu’il avait eu le temps de voir le matin en arrivant, un petit dessin indiquait que les repas se prenaient dans une tenue correcte à savoir ni en maillot de bain, ni en short. Il fallait croire que cela ne valait que pour le dîner. Julien attendait l’heure du dîner avec impatience. Peut-être allait-il la revoir. Il n’imaginait cependant pas une seule seconde comment il allait pouvoir engager la discussion. Avant de retourner dans sa chambre, Julien se dirigea vers le bar pour prendre un verre. Il ne faisait pas tout à fait nuit. Le jour n’était plus mais il restait encore le minimum de lumière requis pour distinguer les visages. Accoudé au bar comme un vulgaire homme seul dans n’importe quel bar parisien, en train de chercher l’âme sœur, Julien se laissait doucement torturer par son esprit.
Julien bu sa bière rapidement puis rentra dans sa chambre pour se changer.
Lorsqu’il ouvrit les yeux, il faisait nuit. Il s’était endormi. L’inactivité de la journée, l’ambiance chaude, la fatigue du trajet, la bière peut-être, il s’était assoupi. La première chose à laquelle il pensa en se réveillant, c’était cette fille. On dit souvent que faire une sieste d’une demi-heure procure un bien-être vraiment appréciable. Dans le cas de Julien, cela avait l’effet inverse. Il ouvrit les yeux, les frottât vigoureusement, et il lui fallut quand même un petit temps pour reprendre ses esprits. Il jeta un coup d’œil rapide à sa montre. Dix-neuf heures quarante-cinq. Il décida de se lever, se passa un peu d’eau sur le visage et ensuite d’aller manger tranquille pour se coucher rapidement.
Il se rendit à l’endroit même de son désœuvrement du matin. Il tomba nez à nez avec le même serveur. Instinctivement, il se dirigea vers lui. Le restaurant était presque vide. L’homme lui indiqua toute l’étendue des possibilités qui s’offraient à lui d’un geste du bras ample et circulaire. Julien décida d’aller s’asseoir à une table près des baies vitrées. Il n’était pas particulièrement arrivé très tôt au restaurant mais pourtant il faisait partie des premiers. Il n’y avait vraiment que peu de monde, il était tranquille. Encore vaseux mais tranquille et c’était ça le plus important. Après être allé se servir frugalement, il commença à manger doucement.
Deux ou trois bouchées plus tard, il s’aperçut qu’il avait beaucoup plus faim qu’il ne voulait se l’avouer. Cédant à la tentation, il se leva et partit se resservir. Son assiette remplie, il se dirigea vers sa table. Après quelques pas, il regarda son assiette pour voir si rien ne risquait de tomber, si une quelconque sauce ne pouvait pas couler par terre ou sur ses doigts. Il évita une table qui s’était placée sur son chemin, releva la tête en se disant qu’ils feraient mieux de regarder où il va. Il la vit.
Que dire ? Que faire ? La femme à laquelle il avait pensé toute l’après-midi, la cause de ses tourments vacanciers, la raison de ses questions du jour était là, assise.
Assise à une table et pas n’importe laquelle, celle qui se trouvait juste derrière la sienne. S’il se rasseyait à sa place, ils se tourneraient le dos. Littéralement. Ils se trouveraient dos-à-dos. Julien ne retourna pas à sa place. Il prit son courage à deux mains. Il s’approcha d’elle, se pencha vers elle, elle était magnifique.
Dans une tempête de mots et d’incohérences, il l’aborda.
— Excusez-moi, vous êtes seule, je suis seul, je recherche une compagnie, est-ce que ça vous dérange si je viens vous embêter ?
En prononçant cette phrase, il pensait :
— Je ne sais pas si elle a tout compris à ma phrase, je ne sais pas si elle a tout capté, si je me suis bien exprimé et si je vais recevoir une réponse favorable mais au moins je l’ai abordée.
En un instant le sort en était jeté et il ne pouvait plus faire marche arrière. Elle fut prise au dépourvue, une bouchée à peine entamée dans la bouche, et ne prit même pas la peine de répondre. Elle fit machinalement un geste de la main, désignant le siège en face d’elle.
Une approche parfaite et une surprise totale aurait-il pu se dire s’il avait pu utiliser ne serait-ce que dix pourcent de ses capacités intellectuelles. Mais à ce moment précis, ce n’était pas vraiment le genre de choses qui lui traversaient l’esprit. A vrai dire, rien ne lui traversait l’esprit. Rien ne pouvait déchirer le brouillard digne d’une contrée écossaise en plein mois de mars qui obscurcissait son esprit. Non seulement il était totalement incapable de réfléchir tellement il avait conservé l’esprit embué après sa sieste inopinée de tout à l’heure, mais surtout, il prit la décision de l’aborder sans avoir la moindre idée de ce qu’il ferait si elle acceptait sa compagnie. Ou même si elle la refusait.
— Oui, oui, bien sûr, pas de problèmes, vous pouvez vous asseoir Monsieur. On va discuter, on va parler, vous allez me raconter vos problèmes. Dîtes-moi ! Quels rapports entretenez-vous avec votre mère ? Et votre Œdipe, vous l’avez réglé ? Ne vous inquiétez pas, ça va bien se passer, aurait-elle pu lui répondre. Compte-tenu de l’état d’excitation de l’homme en face d’elle, cela n’aurait pas dépareillé du tout.
Mais non, elle ne put rien dire, elle n’en eu pas le temps. Elle eu juste le temps de faire un discret geste de la main, Julien était déjà assis en face de la beauté qui lui avait empli la tête toute la journée.
— Je suis en face d’elle et elle ne m’a pas encore jeté son verre d’eau ou carrément sa main dans la figure. Ça doit faire, en gros, quatre secondes et demi que j’ai engagé le dialogue et toujours pas de soulèvement ou de signes de rébellion, c’est un bon début, se dit-il tout en posant son assiette en face de lui.
Tout à coup, tout l’insolite de la situation lui sauta au visage. Il était assis, et alors ?
Ses pensées se déchainèrent dans sa tête.
— Et ben me v’là beau comme dirait ma grand-mère… Je suis assis, ça y est Julien, t’es content ? Et qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? T’as l’air malin tiens !
Julien pensa qu’il était absolument nécessaire de légitimer son audace. Il devait impérativement expliquer pourquoi il s’était invité ainsi.
Sans attendre quoi que ce soit et surtout pas qu’elle se décide à trouver un sujet de conversation sur lequel il n’aurait rien eu à dire, il se lança dans une logorrhée dont lui seul avait le secret. Julien avait déjà pu expérimenter cette technique. Incontestablement, lorsque l’on ne veut pas être piégé par une conversation dont on ne maîtrise pas le sujet et que l’on ne souhaite pas passer pour un asocial mutique, il ne reste plus qu’une seule chose à faire : parler à la place des autres.
Julien parla, parla, et parla encore. Il parla jusqu’à ce qu’il trouve quelque chose à dire.
Se trouvant devant elle en train de meubler le vide intersidéral et la distance astronomique qu’il avait créé en s’invitant à sa table, il lui fallait absolument ne pas laisser la moindre miette de silence au doute, à LA question qui tue, ou l’interrogation qu’elle ne manquera pas de se poser.
Il se dit qu’il devait absolument meubler la conversation, la prendre à son compte, la monopoliser pour qu’elle ne puisse pas reprendre pied, qu’elle se trouve submergée par un flot de paroles et qu’ainsi, elle ne trouve pas le temps de réagir et de comprendre pourquoi ce type, seul en vacances sous les palmiers, au bord de la mer indienne, entre les coraux et les cocotiers, avait abordé une femme seule.
Esther le regardait depuis qu’il s’était planté devant elle. Elle n’avait pas pu dire le moindre mot. Surprise par son intrusion dans son espace vital, il n’y avait eu que la politesse la plus élémentaire et la fatigue pour la laisser faire pénétrer un intrus dans ses rêveries.
Elle avait décidé de partir en vacances à l’autre bout du monde. Elle prenait son premier dîner toute seule. Elle était tranquille et commençait à peine à se détendre. Elle ne demandait rien à personne et voilà qu’elle se fait aborder par un type qui cherche déjà à accrocher une nouvelle tête à son tableau de chasse. Elle jeta un rapide coup d’œil à sa main gauche. Pas d’alliance, ni de marque si particulière trahissant le port récent d’une alliance. C’est déjà ça, se dit-elle.
Il ne cessait de parler. C’était visiblement pour meubler la conversation mais cela l’arrangea parfaitement. Elle avait tout le loisir de le détailler. Esther le regarda donc un peu plus précisément.
Ce type lui disait quelque chose mais impossible de se souvenir. Où est-ce que j’ai bien pu le voir se disait-elle. Cela l’intriguait.
— Contrairement à la mode actuelle, se dit-elle, au moins lui ne porte pas les cheveux courts et la barbe de trois jours. Au contraire, il a même des cheveux plutôt longs, et est soigneusement rasé. Petit détail étonnant, même si les boutons du haut ne sont pas accrochés, il porte une chemise à manches longues. Avec son pantalon, il ne doit pas forcément être très à l’aise, remarqua-t-elle malicieusement.
Ce qu’elle remarqua le plus, peut-être parce qu’il n’arrêtait pas de parler, c’était la taille de sa bouche. Il avait une grande bouche. Son nez était en conséquence, si bien que ses yeux paraissaient plus petits qu’ils n’étaient vraiment. Esther remarqua ses yeux. Elle n’arrivait pas à déterminer s’ils étaient bleus ou verts. Il y avait quelque chose de différent dans ses yeux de toute façon. Elle décida de chercher à percer ce mystère plus tard, la lumière artificielle n’était pas propice aux conjectures. Il semblait un peu plus grand qu’elle mais pas de beaucoup. De corpulence tout à fait moyenne, une impression de force se dégageait néanmoins de ses bras sur lesquels il avait retroussé ses manches. Elle remarqua ses mains carrées, ses doigts costauds sans être boudinés, ses poignets fins qui accentuaient l’impression de force dans ses avant-bras. Ses épaules aussi étaient carrées, et il ne semblait pas avoir de petite bedaine. Esther se dit qu’elle attendrait bien le moment où il se lèverait pour étudier le reste de son corps. Pour le moment, il fallait qu’elle se reconcentre sur le flot de paroles qu’il déversait dans ses oreilles.
Julien passa dix bonnes minutes à parler. Tout seul. Sans même lui donner le temps de répondre sauf pour obtenir de simples acquiescements sur la qualité de l’hôtel, de l’eau de la piscine, de la nourriture et tout le registre des banalités classiques.
Julien se dit pourtant que quelque chose semblait l’avoir choquée dans son discours.
— J’ai certainement dit quelque chose qu’il ne fallait pas, pensa-t-il. Aie ! Qu’est-ce que j’ai dit encore ? Est-ce que je me suis déjà grillé ? Si vite ?
Il fit le tour des différents éléments à sa disposition. En un éclair, il comprit. Il réalisa ce qui n’allait pas, ce sur quoi elle tiquait ou du moins ce sur quoi elle lui donnait l’impression de tiquer : il la vouvoyait.
— Comment faire se demanda-t-il. Comment est-ce que je vais pouvoir réussir à changer la tonalité de la conversation et transformer le vouvoiement en tutoiement sans pour autant paraître ridicule – ou du moins plus ridicule que je ne le suis déjà.
En effet, Julien ne lui laissa pas la moindre seconde pour en placer une. Même si Esther ne faisait pas particulièrement d’effort pour alimenter la conversation, avoir instauré le vouvoiement depuis le début dans un tel cadre et entre deux jeunes gens à peine trentenaires ne facilitait pas forcément les choses.
Quelque chose inquiéta Julien. Il se demanda pourquoi ne parlait-elle pas plus. Malgré le flot de paroles dont il l’abreuvait depuis plusieurs minutes, il essaya de la faire réagir et de la laisser parler. Il fallait qu’elle prenne le relais car il avait enfin trouvé quelque chose à faire : il fallait qu’il la tutoie. Il fallait qu’il arrête son vouvoiement qui n’était vraiment pas – mais alors pas du tout – de circonstance.
Ainsi, au détour d’une phrase anodine, il se lança.
— Et vous ? Première fois en Afrique ? lui demanda-t-il. Puis, sans lui laisser le temps de répondre quoi que ce soit, il embraya immédiatement. Au fait, je pense qu’il serait peut-être plus pratique de se tutoyer non ? Qu’est-ce que vous en pensez ?
Esther répondit presque timidement.
— Oui.
Sans attendre qu’elle continue sa phrase, Julien reprit la parole.
— Super. Et donc toi ? Première fois en Afrique ?
Lorsqu’il prononça cette phrase, Julien prit conscience de l’absurdité – pire ! de la nullité – de ses propos. Il ressentit un premier tremblement de terre dans sa tête. Un monde s’écroulait derrière ses yeux. Il n’arrivait pas à savoir comment il pouvait faire preuve d’autant de platitude.
Esther, quant à elle, le trouva immédiatement extrêmement mignon.
De manière assez naturelle, la discussion prit une autre tournure à partir de ce moment là. Ils commencèrent à parler véritablement. Julien prit même le temps de réaliser que les présentations n’avaient pas été faites.
Rassuré par le tutoiement, Julien se présenta et lui demanda son prénom en s’accablant de tous les maux de la terre et plus particulièrement d’une goujaterie sans nom.
S’excuser de ne pas lui avoir demandé son prénom avant lui permit de rattraper pas mal de choses. Esther trouva même ça très chou.
Esther avait une théorie. En fait, Esther avait des théories pour à peu près tout et n’importe quoi. Elles n’avaient de théories que le nom étant donné qu’il suffit d’un rien pour les ébranler mais elle ne donnait le droit à personne de les remettre en cause. Et lorsqu’un présomptueux osait le faire, sa mauvaise foi faisait généralement le reste.
Selon Esther, il existait deux types d’hommes : les cons et les très cons.
Les cons passent leur temps à lui faire du mal et les très cons sont là pour réparer les conneries des cons.
Elle se dit qu’elle avait finalement peut-être à faire à un spécimen de la deuxième catégorie, la catégorie des très cons. Néanmoins, elle n’avait pas la moindre envie de lui faire payer quoi que ce soit.
— Bonne pioche pour lui se dit-elle. Je n’ai pas envie de me poser de question. Advienne que pourra.
Julien, quant à lui ne savait plus à quel saint se vouer. Une fille aussi belle, une femme aussi intéressante, ici et maintenant, ce n’était pas normal. Depuis les quelques minutes qu’il était en face d’elle, il ne lui trouvait pas particulièrement de problèmes, pas de soucis d’élocution, rien d’apparent, il fallait donc que quelque chose se cache quelque part.
Cette absence de névrose apparente n’était pas normale pour lui. Il fallait qu’il trouve ce qui n’allait pas. Ca collait trop. Elle ne pouvait pas être seule sans raison valable.
Laissant ces “ objectifs ” pour plus tard, il continua à parler.
— Comment formuler ma question aussi naturellement que possible, pensa-t-il. Il décida de jouer la simplicité. Mais au fait, je suis confus de ne pas te l’avoir demandé avant mais je ne connais même pas ton prénom.
Elle lui répondit tout aussi naturellement.
— Esther, je m’appelle Esther.
— Enchanté, lui répondit-il. Moi c’est Julien. Bon ben voilà, les présentations sont faites.
Cela avait été aussi simple que ça.
Il eut juste le temps de se dire que c’était joli Esther comme prénom. Peu commun et original. Il aimait beaucoup. Cependant, trop occupé au bon déroulement de la conversation pour s’arrêter sur ce point, il revint à la conversation. Elle portait sur les raisons de leurs présences ici sans pour autant aller trop loin dans des explications qu’ils n’auraient pas envie de donner à un ou une inconnue. Ne sachant pas s’il aurait envie de la revoir le lendemain – et inversement –, il était inutile d’expliquer tout un tas d’autres choses qui, même sans être fondamentales, n’en étaient pas moins indispensables pour autant pour estimer les suites à donner à cette rencontre provoquée.
En arrivant sur le sujet de leurs activités professionnelles, ils se rendirent compte immédiatement qu’ils avaient beaucoup de points communs sur ce plan là aussi. Ils travaillaient tous les deux dans des entreprises similaires.
Le sujet avait aiguisé la curiosité de Julien.
— Et où travailles-tu dans Paris lui demanda-t-il. Dans quel quartier ?
Non content de savoir où il pourrait la recroiser fortuitement à Paris, Julien se dit qu’il pouvait très bien connaître le quartier, connaître des gens qui y habitait, qui y travaillait, et peut-être même qu’ils ne travaillaient pas si loin que ça l’un de l’autre.
C’est là que la réponse la plus étonnante de toute la soirée lui tomba dessus. Il fut terriblement surpris d’apprendre qu’il existait des possibilités de travail au-delà du périphérique. Il dut la faire répéter car il pensait avoir mal compris. Un monde s’écroulait. Esther ne travaillait pas à Paris.
Julien décida de ranger ce détail dans un coin de son cerveau. Il sera toujours temps d’y revenir plus tard se dit-il.
Ils prirent quelques fruits en guise de dessert, et décidèrent d’aller vers le bar où ils pourraient boire un verre et continuer à discuter encore un peu.
En marchant vers l’endroit où se trouvait le bar de l’hôtel, Julien pensa que non, décidément, il fallait vraiment croire qu’il n’avait pas fait une si grosse bêtise de l’aborder. Elle lui plaisait. Elle était très sympa et n’avait pas l’air idiote. Elle lui plaisait beaucoup.
En faisant les quelques pas qui les séparaient du lobby de l’hôtel où se trouvait l’un des bars du complexe, Esther se demanda si sa jupe longue ne faisait pas trop… négligé. Elle se ravisa immédiatement. Elle était en vacances après tout. Mais l’idée de ne pas être correctement habillée la surprit. Elle ne comprit pas sur le moment pourquoi elle se posait ce genre de questions.
La discussion fut très agréable et sans temps morts. Ils passèrent un excellent moment et lorsqu’ils se levèrent pour quitter les fauteuils où ils s’étaient installés, ils se donnèrent rendez-vous pour le lendemain matin.
En refermant la porte de sa chambre, Esther ressentit l’envie de sortir sur le balcon de sa chambre. La nuit avait enveloppé l’Afrique. Le vent soufflait. Des cris d’animaux divers surgissaient de l’obscurité et venaient cogner dans sa tête. Elle avait sommeil mais ne regrettait pas le moins du monde que cet inconnu se soit invité à sa table ce soir. Elle l’appréciait et ne voulait surtout pas penser au lendemain. En se dirigeant vers la salle de bain, elle s’arrêta devant le miroir accroché au mur. Elle se regarda de plein pied et se trouva jolie. Sans trop savoir pourquoi, elle se dit tout haut qu’elle avait bien fait de mettre cet ensemble ce soir. Cette jupe longue était vraiment très jolie et mettait ses fesses parfaitement en valeur. Elle trouva le sommeil rapidement sans penser au lendemain.
Julien avait passé une excellente soirée. Il était tellement heureux d’avoir rencontré une femme superbe, intelligente, intéressante et qui lui avait presque laissé l’impression qu’elle l’appréciait.
— Au moins, se dit-il, elle n’a pas pris ses jambes à son cou.
Compte-tenu de son état d’esprit, c’était déjà une victoire énorme.
Pendant plus d’une demi-heure, il resta assis comme un imbécile sur son lit en repensant à chaque moment de la soirée. Il n’arrivait toujours pas à croire qu’il avait abordé cette femme pendant son repas. Et le premier soir en plus. L’instant d’après, le Hi de ce midi résonnait dans sa tête. Il se mit à sourire tout seul et justifia son audace laconiquement en pouffant de rire.
— De toute façon, c’est elle qui a commencé ce midi !
Il avait conscience d’avoir accompli – de son point de vue – un acte inconsidéré. Il ne s’était pas soldé par un échec, bien au contraire. Il prit une grande inspiration. L’air s’infiltrait dans ses poumons et c’est son corps tout entier qui se réveillait enfin.
— Terminé, c’est fini dit-il tout haut. Cette relation naissante ne se laissera pas pourrir par un esprit mal tourné et malfaisant. C’est fini. On verra bien demain. Elle viendra ou elle ne viendra pas me voir, peu importe. Advienne que pourra.
Il se coucha et ferma les yeux sur ces belles et définitives résolutions.
Dans le noir, allongé, les yeux grands ouverts en écoutant les bruits de la nuit et l’océan indien qui cognait au loin, Julien ne peut cependant s’empêcher de répéter plusieurs fois son prénom. Comme un mantra pour se donner du courage et affronter enfin sa vie.
— Esther… Elle s’appelle Esther.
Il ferma les yeux puis s’endormi rapidement. Calme, reposé, en vacances finalement. Il était bien. Enfin.
Chap. V
Esther et Julien se retrouvèrent effectivement le lendemain matin. Et le lendemain suivant. Et encore les jours d’après.
Ils passèrent leur temps ensemble. Ils déjeunaient ensemble, ils mangeaient ensemble, ils faisaient les excursions ensemble. Pourtant, ils n’arrivèrent pas à s’embrasser. Rien. Ils passaient d’excellent moment ensembles, ils riaient, s’amusaient énormément, se trouvaient jour après jour des multitudes de points communs mais pas la moindre esquisse de baiser. Ils étaient totalement inhibés tous les deux.
Esther, peu avenante par moment ne le provoquait jamais même si elle mettait un soin particulier à ses tenues et son comportement. Julien, quant à lui, se conduisait comme un benêt, attentif au moindre des désirs d’Esther et prévenant ses attentes autant que possible.
Esther le trouvait de plus en plus mignon avec toute l’ambiguïté de la formule. Julien était terrorisé et souffrait de ne pas trouver le bon moment pour se montrer plus audacieux.
Puis, lors du quatrième jour, alors qu’ils étaient près de la piscine, installés sur leurs transats respectifs en train de lire sagement chacun de leur côté, Julien fut la proie de sentiments très différents. C’était un mélange d’agacement et de plénitude, de bien-être et de frustration en même temps.
Julien referma son livre, ferma les yeux et se mit à écouter le vent dans les branches de palmiers au-dessus de lui. Il ne manquait pas grand chose à son paradis, juste qu’elle en fasse partie plus longtemps que quelques jours.
Ne cédant pas à une mélancolie malvenue dans ce décor de rêve, il décida de bouger. Prenant prétexte d’aller chercher à boire, il se leva. Esther lui jeta un coup d’œil, acquiesça d’un grognement, et replongea dans son livre.
En revenant, Julien passa sous l’arbre sous lequel il s’était allongé la première matinée – il y a une éternité –, cet arbre avec de belles petites fleurs blanches qui tombent en silence sur l’herbe. Des dizaines sont d’ailleurs par terre, intactes, blanches comme la neige inconnue ici, immaculées.
Une femme au loin et des fleurs devant lui, l’équation était simple. Le résultat lui paru évident. Il évita de réfléchir et en ramassa une plus grande et plus ouverte que les autres.
Elle était blanche, toute simple, composée de cinq pétales et un peu de jaune au milieu.
— Aussi simple et belle qu’elle, se dit-il.
Tout en continuant à marcher, Julien la cacha dans son dos. Il arrivait près d’elle, la main toujours en arrière. Pourtant, lorsqu’elle l’aperçut, Esther se releva et s’assit sur son transat comme si elle attendait quelque chose. Aussi naturellement que possible, il lui tendit la fleur avec quelques mots pour tenter de dédramatiser la situation.
— Tiens, c’est pour toi. Tu ne trouves pas qu’elle est jolie ? Je l’ai ramassée sous l’arbre là-bas et ne me demande pas de t’expliquer pourquoi, j’avais envie de t’en ramasser une…
Esther resta étonnamment silencieuse pendant quelques secondes puis lui répondit seulement que c’était très gentil et qu’elle était très jolie. Elle était atrocement gênée et n’avait pas la moindre idée de comment réagir.
Julien fut rassuré de tant de simplicité. Au moins se dit-il, elle n’en a pas fait toute une histoire, c’est déjà ça. Esther le remercia en bafouillant une fois de plus et la posa sur ses affaires au pied du transat. Posée légèrement en équilibre, la fleur tourna légèrement sur elle-même et vint se caler contre la clef de sa chambre. La chambre 308.
La fin d’après-midi se passa de manière particulièrement silencieuse. Ils se baignèrent alternativement dans la piscine translucide et la mer qui l’était tout autant. Mais des questions avaient surgi visiblement dans la tête de l’un et de l’autre. Puis, la nuit tomba rapidement. C’était le signal. La nuit tombant aux alentours de dix-huit heures, c’était le signal pour l’exécution de leur petit rituel.
Ils rentraient chacun dans leur chambre pour se doucher et se préparer avant de se retrouver pour prendre un verre et dîner ensuite.
De son transat, Julien vit qu’ils préparaient déjà les tables dehors. Il réalisa qu’une fois de plus, ils dîneraient sur une petite table près de la piscine, dehors, dans la chaleur de la soirée, en tête-à-tête, seuls au monde ou presque.
Julien désigna à Esther le personnel de l’hôtel qui s’affairait. Elle lui répondit par un sourire éclatant et sublime.
— C’est génial, il faut absolument vérifier que nous serons à la même table que la dernière fois, ajouta-t-elle visiblement enjouée.
Ils constatèrent avec plaisir que leur table était effectivement réservée et convinrent de se retrouver une heure après au bar pour prendre l’apéritif.
Esther arriva avec une demi-heure de retard. Elle était sublime.
Esther avait mis un ensemble en lycra souple. Julien le remarqua tout de suite et il ne put s’empêcher de fondre devant sa tenue. Elle lui rappelait ces vêtements en satin des films des années cinquante. Il la regardait arriver de loin en pensant aux jupes et aux déshabillés que portaient les grandes actrices hollywoodiennes, très souples, qui ne font aucun pli et qui tombent parfaitement. Le bas de son vêtement était finalement assez classique. C’était juste un bas de robe fendu mais magnifiquement bien fendu sur le côté. Le haut était sublime. Assez près du corps, cela ressemblait à un dos nu tenu par de simples bretelles qui se rejoignent dans le cou et tombent dans le dos. D’une sensualité extrême, Esther savait l’effet qu’elle provoquerait. Effectivement, Julien avait complètement craqué.
Le repas fut idyllique. Ils avaient l’impression que les gens s’étaient tus spécialement pour eux. Le monde n’existait même plus d’ailleurs. Il ne restait qu’eux, seuls sur terre avec cette petite table ronde, une bouteille de vin frais, un petit vent rafraîchissant l’atmosphère, la piscine d’un bleu foncé étonnamment clair, la chaleur de la journée se dégageant de l’herbe coupé… Une vraie carte postale.
Esther et Julien étaient rentrés, ce soir précisément, dans une relation plus intime. Même si elle n’était encore que verbale, l’intimité s’était invitée.
Elle lui parla de quelques-uns de ses amis. Il lui parla de la vie à Paris qui n’était pas particulièrement gaie depuis quelques temps pour lui. Ils évoquèrent leurs petits tracas de boulot mais en évoquant des sujets un petit peu plus profonds, en soulevant des questions plus élaborées, plus personnelles. Esther esquissait parfois ces petits gestes qui font qu’une femme ravissante est charmante à mourir. Elle remontait subrepticement sa bretelle de soutien-gorge en passant sa main sur son épaule. Elle laissait ses doigts parcourir son épaule pour rattraper du bout des doigts ce petit bout d’étoffe qu’elle remontait ensuite bien en place dans le creux de sa clavicule. Julien trouva cela divin et superflu à la fois. Superflu car Julien avait remarqué depuis son arrivée qu’elle ne portait pas de soutien-gorge.
Après avoir fini le plat de résistance, Julien se lança dans une grande explication sur ses amis, ses connaissances, les gens qu’il voyait à Paris et surtout sur la solitude qu’il ressentait dans la vie, face à la vie depuis quelques mois.
Esther lui répondit que cela ne doit pas être si difficile de rencontrer des gens à Paris et en profita pour lui glisser un compliment sur le fait qu’elle ne se faisait pas de souci pour lui. Sans s’arrêter, Julien continua sur sa lancée en argumentant, démentant ce qu’elle venait de dire et appuyant sur l’impersonnalité classique des grandes métropoles.
Tout à coup, il réalisa qu’elle avait décroché. Elle ne l’écoutait visiblement plus. Esther le regardait fixement. Elle le dévorait des yeux même mais elle ne l’écoutait plus. Lui-même d’ailleurs, tout en continuant à parler, ne s’écoutait plus non plus. Il alignait des mots mais ne savait même plus ce qu’il disait. La seule chose qu’il voyait, c’est qu’elle le regardait et qu’elle pensait à autre chose.
— A quoi peut-elle bien penser ? Je me demande vraiment ce qu’elle peut regarder comme ça, pensa-t-il. Puis les questions s’enchaînèrent. Qu’est-ce que j’ai donc sur le visage ? Je me suis fait une tâche sur ma chemise ? Je parle, je parle et je ne comprends toujours pas ce qu’elle veut me dire en me regardant ainsi. Ses yeux sont absents, je ne sais pas ce qu’elle regarde et cela m’inquiète.
A la fin d’une phrase, il marqua une pause et la regarda lui aussi fixement. Mystérieux, presque interrogateur, il laissa passer quelques dixièmes de secondes dans un silence assourdissant.
Esther ne répondait pas. Sans réponse, sans mouvement de sa part, sans explication, Julien décida de reprendre. Il n’eut pas le temps de prononcer cinq mots qu’elle l’arrêta.
— Tu sais Julien, je m’en fous, lui dit-elle simplement. Je n’en ai rien à faire de ce que tu me racontes. Je ne t’écoute pas, je ne t’écoute plus. Je me demande simplement quand est-ce que tu vas te décider à m’embrasser.
Julien venait de se faire percuter par un camion remorque.
Il avait le souffle coupé. Une goutte de sueur perla sur sa tempe. Ses yeux plongèrent dans ceux d’Esther. Enfin, il avança son visage. Esther ne recula pas. Il continua d’approcher et ce fut elle qui s’avança. Ses lèvres approchent de celles de Julien et dans une douceur mêlée d’excitation et d’appréhension, ils joignirent leurs lèvres doucement, tendrement, amoureusement déjà.
Après ce premier baiser, d’autres suivirent. Plus ou moins langoureux mais toujours aussi discrets, doux, toujours aussi tendres. Des baisers d’amoureux en voyage de noce, des baisers de complices, des baisers exquis et tellement en accords avec leur histoire. C’étaient des baisers de vacances, des baisers de bonheur, des baisers tanzaniens.
Après le repas, Julien raccompagna Esther à sa chambre et n’insista pas lorsqu’il comprit qu’ils ne dormiraient pas ensemble cette nuit. Ce n’était pas ce qu’il recherchait et ce n’était pas non plus ce qu’elle attendait. Ils étaient sur la même longueur d’onde. Ils ne coucheraient pas ensemble cette nuit. Il leur restait plusieurs guets à franchir, plusieurs étapes à parcourir. Ils se séparèrent en s’embrassant doucement et en se souhaitant bonne nuit.
Chacun dans leur chambre, ils regrettèrent tous les deux de ne pas être allés plus loin. Symétriquement, chacun sur leur terrasse, contemplant le théâtre majestueux de leur amour naissant, ils restèrent de longues minutes les yeux fixés dans le vide.
Leur histoire pouvait commencer.
Esther et Julien firent l’amour pour la première fois en plein milieu de la savane dans une réserve où ils étaient allés passer trois jours en safari photo. Ils se dirent tous les deux qu’il ne pouvait pas y avoir de plus beau départ à leur histoire d’amour. Et c’était effectivement le cas.
Les vacances se terminèrent quelques jours plus tard et ils rentrèrent en métropole pleins de bonnes résolutions. Les choses allèrent très vite. Ils se voyaient tous les quinze jours, l’un descendait à Bordeaux ou l’autre le rejoignait à Paris.
Au bout d’un an, lassés l’un et l’autre de cette vie à distance, ils envisagèrent de se rejoindre. Malheureusement, la situation se dégrada rapidement. Ils avaient soigneusement évité cette question qu’ils pressentaient conflictuelle entre eux. Et ils avaient raison. Aucun des deux ne voulu abandonner son cadre de vie, quel qu’il soit. Ils se disputèrent et arrivèrent au constat qu’ils faisaient face à leur premier choix de vie “ commune ”. Or, ils étaient bien incapables de le résoudre. Cela n’augurait rien de bon pour un futur potentiel.
Leurs visites chez l’un ou chez l’autre s’espacèrent. De tous les quinze jours, cela passa à toutes les trois semaines puis une fois par mois. Les week-ends qui pouvaient commencer le vendredi midi et se terminer le lundi matin, tard dans la matinée, se changèrent en arrivée le samedi midi et en départ pour le retour juste après le déjeuner du dimanche.
Le constat était assez clair. Leur amour avait duré deux ans. Ils devaient se faire une raison.
L’un et l’autre pourtant n’avait pas totalement lâché l’affaire. Ils conservaient de longs échanges téléphoniques et épistolaires. Quelque chose les retenait l’un à l’autre. Quelque chose de plus fort qu’une amourette de vacances. Une amourette qui avait duré deux ans n’était quand même plus une amourette, ils en étaient conscients mais étaient par ailleurs incapables de remonter la pente sur laquelle ils avaient glissé comme des imbéciles bornés.
Lorsqu’était arrivée la période de Noël, Esther avait fait l’effort de délaisser sa famille pour se réserver de bons moments avec lui à Paris. Elle avait prévu un repas, une soirée tranquille qui aurait eu lieu après une balade comme ces couples qu’il voyait dans la rue dans leurs manteaux, gants et chapeaux. Mais le sort et surtout le travail de Julien en avait décidé autrement et cela avait été la source d’une dispute supplémentaire. Cette dernière dispute en date avait sérieusement entamé leurs envies respectives de vie commune.
Pourtant, Esther y croyait encore et lui avait dit. Mais il y avait cette opération, ce deal qu’il ne pouvait pas faire capoter. Alors il était là, au bureau, et avait fait le deuil d’une soirée qui aurait pu être agréable en sa compagnie.
Repensant à leur rencontre africaine tandis qu’il regardait au travers de sa fenêtre l’animation parisienne de décembre, il n’arrivait pas à faire le deuil de leur relation. Il était cependant bien incapable d’imaginer comment rattraper toute leur histoire. La dernière dispute avait été violente et de mauvais mots avaient été dits de part et d’autre.
— Esther ne donnera vraisemblablement pas de nouvelles avant plusieurs jours, se dit-il en lui-même.
Il se força à la faire sortir de sa tête et se concentra de nouveau sur son travail. Il avait bientôt fini. Bientôt vingt-trois heures, et pourtant il restait encore des gens dans la rue. Il n’en revenait pas qu’autant de gens soit encore dans la rue. Ca l’énervait tout ces gens. Ne pourraient-ils pas tous rentrer chez eux ? Il y avait ceux qui n’ont pas encore dîné et qui cherche une place dans les nombreux restaurants pour touristes qui parsèment l’avenue. Il y avait ceux qui ont déjà dîné et qui sortent des restaurants laissant des places libres pour ceux d’avant qui arrivent après. Et il y avait des couples. Ca l’énervait tout ces couples. Heureusement qu’il en avait presque terminé avec cette affaire, il pourrait rentrer chez lui se préparer un repas micro-ondes, à moins qu’il trouve le courage de se commander une pizza.
— Tiens, se dit-il. Je me commanderais bien une pizza en effet. D’ailleurs, il n’est pas trop tard. Si j’attends de rentrer chez moi pour la commander, là, il sera trop tard. Autant que je la commande tout de suite au bureau plutôt que d’attendre de rentrer chez moi.
Un coup d’œil sur son téléphone portable et il trouva le numéro de la pizzeria. En trois minutes, c’était commandé. Ca sera livré dans moins de 20 minutes, lui avait dit l’opératrice.
— Juste le temps de finir, pensa-t-il. Juste le temps de mettre la touche finale au rapport de présentation. Un peu de cosmétique juste pour présenter les choses correctement et ce sera bon.
Et en effet, quinze minutes plus tard c’était bouclé. Après quinze relectures et vingt corrections, il appuya fièrement sur la touche Envoyer de sa messagerie électronique. L’ensemble du dossier partit à ses destinataires qui passeraient les deux jours à venir à plancher dessus et à tenter de trouver toutes les failles qu’il venait de relever, corriger, anéantir et faire totalement disparaître. Son dossier était parfait. Il le savait et il était sûr de lui. Mieux, il était fier de lui.
La sonnette de la porte du bas de l’immeuble retentit.
Sa pizza.
Sans même écouter l’autre personne au bout du combiné, il appuya sur le bouton pour ouvrir la porte d’entrée du bâtiment. Il savait que le livreur connaissait le chemin par cœur. Quelques secondes plus tard en effet, on toqua à la porte. Il se leva. Ses pas sur le vieux parquet du bureau résonnaient dans toutes les pièces vides. Il ne prit même pas le soin d’allumer la lumière et ouvrit la porte d’entrée tout en se retournant vers sa veste accrochée sur le porte-manteau d’à-côté pour trouver son portefeuille.
Lorsqu’il se retourna vers le livreur en sortant un imposant billet de son portefeuille, il commença une phrase.
— Désolé, je n’ai pas de monnaie, j’espère que vous avez assez pour me rendr…
Ce n’était pas le livreur qui se trouvait devant lui. C’était Esther.
Esther était là, sur le pas de la porte. Elle n’avait pas bougé depuis qu’il l’avait ouverte. Elle le regardait. Tranquillement.
Chap. VI
Elle se tenait devant lui, droite, fine, fière. Il marqua un temps d’arrêt devant elle. Il était tellement surpris de la voir là devant lui à la place de son livreur de pizza qu’il restait là, la bouche entrouverte, les yeux dans le vide. Ou plutôt non, ses yeux la fixaient avec intensité.
— Qu’est-ce qu’elle est belle… fut la seule chose qu’il fut capable de se dire.
Et c’est vrai qu’elle était belle, magnifiquement belle.
Malgré le froid, elle avait mise une jupe. Elle portait des bottes à talons assez hauts et assez larges mais pas trop. Juste ce qu’il fallait pour être élégants sans pour autant devoir la livrer à un numéro d’équilibriste à chaque pas. Il aperçu sous l’ourlet de son manteau long ses jambes gainées de bas noirs sans toutefois voir quoi que ce soit de plus. Son manteau lourd, épais, noir était soigneusement fermé. C’était une épaisse gabardine que n’aurait pas renié un général de l’armée rouge. Il ne manquait plus que les insignes. Le revers boutonné intégralement jusqu’en haut, sa gorge était protégée par une lourde écharpe de couleur crème parfaitement assortie avec son béret et ses gants en cuir de très bonne facture.
C’était aussi ça qu’il lui a toujours plu chez elle, sans jamais la moindre hésitation : sa manière de s’habiller.
Au cours de leur relation, il avait toujours été épaté, bluffé, toujours surpris et étonné face à autant de goût, autant de maîtrise des couleurs, des formes, et des matières. Esther savait vraiment s’habiller. Lui qui aimait les beaux vêtements, les belles tenues, l’à-propos en la matière, lui qui devait rester un des seuls hommes en France à savoir faire cinq nœuds de cravates différents en fonction de l’occasion, lui qui s’attachait encore à tout un tas de codes désuets et devenus inutiles, avec Esther, franchement, il n’avait jamais été déçu.
Ni à ce niveau là, ni à un autre d’ailleurs.
Non seulement elle savait parfaitement bien s’habiller mais de surcroît, elle était extrêmement jolie. Et c’était sans compter sur son maquillage. Le maquillage d’Esther avait toujours été divin. Il avait vraiment toujours fait attention et franchement, de jour en jour, de manière indescriptible, il découvrit de nouvelles subtilités, de nouvelles nuances de couleur, un accord absolument parfait avec ses boucles d’oreilles, elles-mêmes assorties à son collier, des cils qui s’étiraient un peu plus chaque jour, qui devenaient plus fins, plus longs, plus beaux, ce qui rendait encore plus éclatant ses yeux immenses. Tout dans cette femme, dans ce qu’elle avait de plus féminins le transcendait, exaltait la beauté, et la grâce. Ses vêtements et son maquillage par dessus tout ! Et le pire c’était qu’elle n’avait vraiment pas besoin de tout ça. Elle était tellement belle naturellement.
De prime abord, l’élément le plus frappant, c’était ses yeux évidemment. Tout le monde lui disait, tout le monde les voyait, les remarquait, et tombait en admiration devant ses yeux. Ils étaient superbes. Il s’était souvent dit que les poètes qui avaient pu être inspirés par le bleu des yeux de leurs muses ou de leurs songes, n’auraient certainement pas résisté à ceux-là, à ses yeux si beaux, si éclatants, si pétillants, si perçants et si intenses. Mais c’était bien la moindre de ses qualités. Bien que fin, racé, et taillé dans le marbre, son visage respirait la tranquillité et la douceur absolue. Ce contraste lui rendit souvent service d’ailleurs. De nombreuses personnes ne voyaient en elle que la douceur sans faire attention à la détermination que l’on pouvait lire parfois dans certaines de ses expressions. Elle avait toujours aimé surprendre ses interlocuteurs, quels qu’ils soient.
Depuis leur rencontre, elle s’était laissé pousser de longs cheveux. Ils s’échappaient de son béret pour glisser le long de son cou et venaient tomber dans son dos, par dessus le col réglementaire de son manteau de l’armée rouge. Elle était sublime.
Malgré tout ce que Julien pensait de la beauté d’Esther, il ne lui avait jamais trop dit. Il avait toujours estimé qu’elle le savait déjà suffisamment ou plus précisément, qu’elle devait tellement avoir de compliments à longueur de journée qu’elle ne prendrait pas à sa juste mesure tout ce qu’il pouvait lui dire. Ce ne serait qu’un compliment de plus pour elle, se disait-il. A l’égard de sa beauté, il avait toujours eu en tête la chanson de Sinatra : Something stupid. Il aimait bien Franck Sinatra et très rapidement, après avoir fait sa connaissance – la connaissance d’Esther bien sûr, pas de Sinatra –, les paroles qu’il connaissait par cœur de cette chanson lui étaient venues à l’esprit :
“ I can see it in your eyes
That you despise the same old lies
You heard the night before
And though it’s just a line to you
For me it’s true
It never seemed so right before ”
C’était exactement ça. C’était pour cela qu’il ne lui avait jamais trop dit à quel point il la trouvait belle. Il avait trop peur de tomber à plat, d’être creux et que le rêve s’évanouisse. Il avait trop peur qu’elle réalise que finalement ce ne sont jamais que les mêmes balivernes de plus qu’un homme est capable de dire pour séduire une femme, quelle qu’elle soit.
C’était en partie ça aussi qu’Esther n’avait pas supporté. Beaucoup de choses chez lui l’avaient agacée. Pas énervée, agacée.
Combien de fois l’avait-elle intérieurement traité de petit con !
Esther avait remarqué qu’il était capable par moment d’être si imbu de lui-même, si prétentieux, si sûr de lui et de ses prétendues connaissances, si naturellement satisfait de lui-même. Comme si tout ce qu’il avait, tout ce qu’il lui arrivait lui était dû finalement. Elle trouvait cela totalement exécrable. Elle avait essayé de lui dire, plusieurs fois même. Mais ça n’avait rien changé. Il était resté toujours aussi fier, toujours aussi brusque même parfois dans ses réponses, dans ses affirmations. Il était d’une brutalité verbale parfois qui frisait la gifle. Mais pas du tout, ça n’a rien à voir ! avait-il l’habitude de dire parfois après qu’elle ait exposé son point de vue sur tel ou tel sujet. Cette manière de s’exprimer l’irritait au plus haut point.
Autre chose l’avait profondément déçue également.
Elle avait beau faire les efforts les plus importants, les plus minutieux, les plus infimes, il ne voyait rien, ne s’apercevait de rien, ne remarquait rien.
Elle avait beau avoir fait attention, pendant toute leur relation suivie, à ne pas remettre trop souvent tel ou tel vêtement, mettre des heures et des heures à harmoniser ses bijoux avec ses vêtements, faire attention à ce que ses chaussures soient les plus propres possibles, rien n’y avait fait. Aux yeux d’Esther, Julien semblait totalement imperméable à tous ces efforts. Elle était même allée jusqu’à participer à un cours de maquillage pour lui plaire. Elle était allée dans une de ses grandes enseignes de parfumerie et maquillage et avait obtenu son inscription à des cours basiques mais ô combien select sur l’art de se mettre du terracota cher au lieu d’un fond de teint basique, sur l’épineuse question du choix de l’ustensile approprié pour apposer son mascara en fonction de la texture de ses cils. Elle n’avait cependant rien appris de particulier excepté deux ou trois trucs de professionnelles du maquillage et surtout vider un petit peu plus son porte-monnaie sans pour autant voir la moindre réaction de ce mollusque.
— Et il continue encore à ne rien dire d’ailleurs, pensa-t-elle avec dépit. Ca doit faire au moins deux minutes que je suis là, plantée au beau milieu de la porte, un pied dans le couloir, un pied dans l’entrée et qu’il ne bouge pas cet imbécile. Avec son portefeuille griffé dans une main et son billet dans l’autre, il pourrait au moins avoir la décence de m’inviter à rentrer. Pfff… Vraiment il est nul, pensa-t-elle.
Mais elle corrigeât pour elle-même immédiatement.
— Mais qu’est-ce que j’l’aime ce nul !
Il se dit qu’il avait vraiment l’air d’un imbécile avec son argent dans les mains. Elle était fière de son coup et de sa surprise. Il s’attendait vraiment à voir le livreur avec son casque et sa pizza à bout de bras et son empressement. Le choc fut rude pour lui. Il ne s’attendait vraiment pas à la voir là.
— Qu’est-ce que je peux faire maintenant, se demanda-t-il. Il se revoyait comme au premier jour de leur rencontre avec les mêmes questions, les mêmes silences, les mêmes doutes.
Après être passé pour un imbécile, il se demandait vraiment comment il pouvait rattraper une telle bourde. Il réalisa qu’il ne lui avait même pas proposé d’entrer. Décidemment.
Finalement il arriva à bredouiller quelque chose, une phrase d’excuses confuses. Il commença même à se lancer dans une explication sur la raison du quiproquo.
Esther le coupa net et presque brutalement.
— Oui, c’est bon, tu attendais une pizza, ça va j’ai compris. Tu as certainement pris une pizza reine ou une au poulet, comme d’habitude, n’est-ce pas. Elle laissa un temps passer puis lui lança bravache. Tu crois que j’ai l’air d’un livreur de pizza ?
— Non, pas vraiment c’est vrai lui dit-il l’air piteux. Puis il reprit, avec plus d’assurance. Ou alors, je me suis vraiment trompé de pizzeria et je vais garder le numéro car ça fait du bien de te voir.
C’était quelque chose de gentil, et cela lui fit plaisir. Esther ne s’attendait pas à une telle remarque. Son visage se détendit un peu. Il le remarqua immédiatement, et évidemment, lui aussi commença à se détendre.
Elle ne savait vraiment pas comment elle allait être accueillie en venant à cette heure-ci. Elle était dans la rue, dans le café d’en face. Elle l’avait vu d’ailleurs plusieurs fois regarder par la fenêtre. Elle ne se posait pas forcément beaucoup de questions sur le fait qu’il soit encore au bureau à cette heure-ci, elle avait l’habitude et surtout, elle était prévenue. De toute façon, toute leur relation avait été rythmée par ces fameux impératifs, par ces soirées au bureau, interminables qui gâchent tout. Mais c’était comme ça, c’était la règle et c’était une des raisons les plus importantes qui avaient empêché qu’il vienne la rejoindre à Bordeaux. Elle s’y était pliée. Et ce soir encore elle s’y pliait.
Il avait gâché l’invitation qu’elle lui avait lancée il y a longtemps déjà pour ce soir là. Mais elle l’aimait. Et voilà pourquoi elle s’était postée pendant une heure dans le café d’en face en se demandant ce qu’elle devait faire.
Elle savait comment fonctionnait son métier et savait donc qu’en décidant de se présenter à la porte à cette heure-ci, il aurait certainement terminé. La deadline approchait et elle savait qu’il arrivait toujours à terminer à temps. Pas le genre de la maison de rater un deal. Pas lui en tout cas. Pas sur le plan professionnel du moins…
Elle décida de reprendre la conversation et lui demanda si elle pouvait entrer.
En un éclair, Julien perdit la mince sensation de détente qu’il ressentait depuis quelques secondes.
— Mais bien sûr, je t’en prie, entre, lui fit-il en accompagnant ses mots d’un geste ample de la main balayant l’entrée du bureau.
— Merci, lui répondit-elle simplement.
D’un pas qui n’appartient qu’à elle, gracile et assuré, elle fit les quelques mètres qui séparent la porte de l’entrée des bureaux. La voir ainsi bouger mit Julien dans tous ses états. Il avait toujours adoré sa démarche, cela l’avait toujours littéralement fasciné. Il avait beau savoir qu’elle avait plus de quinze ans de danse derrière elle, il était à chaque fois étonné et fasciné par la grâce donc elle pouvait faire preuve.
Telle une statue qui prendrait vie, elle qui n’avait pas bougé d’un cil depuis qu’il avait ouvert la porte, se déplaçait en flottant dans l’air. Comme si elle prenait gare de ne pas briser ses membres de verre, comme si chaque mouvement était parfaitement contrôlé, parfaitement maîtrisé.
Ses années passées à faire ses exercices, à enchaîner les diagonales, à chercher autant que possible à positionner ses membres, chaque partie de son corps au bon endroit, au bon moment, faisaient qu’elle savait parfaitement comment chacun de ses membres bougeait, comment elle devait coordonner ses mouvements pour marcher avec ses talons. Elle savait parfaitement ce que montre tel élan donné à sa jambe, comment ses bras pouvaient amplifier telle ou telle impression lorsqu’elle marche. Esther maîtrisait parfaitement son corps sublime. Elle ne le savait même plus maintenant. Elle n’y faisait même plus attention. Elle vivait simplement avec. Pour le plus grand plaisir de Julien qui n’avait jamais compris comment elle faisait. Et à chaque fois ça l’épatait. A chaque fois il restait ébahi.
Il l’avait déjà noté un soir qu’ils étaient allés au restaurant. A l’heure de se lever, de prendre congés, elle avait mis tellement de grâce pour se lever de sa chaise, enfiler sa veste et parcourir les vingt mètres qui séparaient leur table de la sortie que tout le monde s’était arrêté de manger. Les hommes comme les femmes avaient tous stoppé leur activité et tous les visages s’étaient tournés vers cette femme capable d’illuminer tout un espace rien que par sa présence, rien que par sa démarche. Et Julien la suivait. C’était lui qui était à son bras et il en retirait une fierté insolente. Comme tous les autres hommes de l’assistance, il était en adoration à la différence que c’était avec lui qu’elle avait dîné. Et ça, personne ne pouvait lui enlever. Il savait que c’était une perle et savait parfaitement qu’il devait tout faire pour la garder.
Ce soir, dans ses bureaux, il en était encore là. Emplit de fierté et de désir pour cette femme si fabuleuse. Tellement frappé par tant de beauté et de grâce qu’il était resté comme un imbécile, près de la porte, son billet et son portefeuille à la main, à côté de la porte encore ouverte.
Elle fit quelques pas, comme une statue se déplaçant de quelques mètres puis reprit sa position réglementaire. Esther était redevenue cette statue de glace au cœur de laquelle le feu couve. Elle le contenait ce feu. Elle savait qu’elle ne devait pas craquer, que c’était à lui de se faire pardonner, que c’était elle qui avait fait la démarche la plus importante ce soir, pas lui.
Sans se retourner, elle entendit des pas dans les escaliers.
— Ah ben tiens ! il tombe bien celui là, dit Julien.
C’était le livreur de pizza justement. Elle entendit qu’il expliquait qu’il n’avait pas sonné car la porte était encore entrouverte, et qu’il était désolé pour le retard. Trente secondes plus tard l’affaire était réglée et la pizza se retrouvait dans les bras de son commanditaire. La porte était refermée et tandis qu’elle n’avait pas bougé, Julien se retrouvait comme un imbécile avec sa pizza au poulet sur les bras.
Tout en se confondant en excuse, il trouva enfin son prétexte pour sortir de son immobilisme et alla prestement poser la boite en carton sur la banque d’accueil de la secrétaire. Il reprit enfin pied dans la réalité en lui proposant de prendre son manteau. Elle lui répondit qu’il était temps. Elle commençait à avoir un peu chaud et se demandait s’il avait vraiment perdu toutes ses bonnes manières si délicieuses.
C’était en partie ses fameuses bonnes manières qui l’avaient séduite. Elle avait été élevée comme une vieille vieille fille avec de vieilles vieilles manières se plaisait-elle à dire souvent. Et elle appréciait énormément toutes ses attentions, le fait qu’il lui ouvre les portes, qu’il prenne son manteau, qu’il la laisse passer la première quand il le fallait et surtout qu’il sache ne pas le faire quand il ne le fallait pas. Elle avait rapidement remarqué d’ailleurs qu’il passait le premier là où il le fallait et particulièrement dans les escaliers. Esther avait appris tout cela et particulièrement qu’elle ne devait jamais passer la première pour monter ou descendre des escaliers et lorsqu’un garçon respectait cette étiquette désuète, cela la faisait fondre. C’était idiot mais c’était comme ça, elle avait toujours été attachée à ce genre de détails.
— Je ne suis vraiment qu’un imbécile, n’arrêtait-il pas de se répéter. Non vraiment, on ne pouvait pas faire pire comme entrée en matière.
Il se rendait compte à quel point il avait manqué de tact. Il mettait toujours un point d’honneur pourtant à se conduire dans la plus pure tradition de la galanterie. Cela lui plaisait d’être galant, cela lui plaisait d’être raffiné, de savoir quoi faire quand il le faut et surtout, quoi ne pas faire quand il ne le faut pas. Et là, il avait été nul. Il sentait qu’il devait se rattraper.
Cela lui avait plus qu’elle apprécie ces petites attentions. Il ne savait pas tout à fait si elle s’apercevait de tout mais au moins, il savait qu’elle s’apercevait du minimum. Et puis de toute façon se disait-il, même si elle ne s’en aperçoit pas, au moins lui, cela le satisfaisait. Il se conduisait d’une bonne manière et c’est, avant tout, cela qui lui importait. C’était important pour lui. Même s’il pensait qu’il pouvait être profondément ridicule parfois face à une femme qui ne comprenait pas pourquoi un jour il la laissait passait et une autre fois, il passait devant mais il considérait ceci comme un petit secret qu’il partageait avec lui-même. L’important c’était qu’il le sache. Si en plus la femme en question s’en apercevait, c’était déjà beaucoup. Il n’allait pas lui demander de s’apercevoir de tout. De toute façon, il n’était pas galant pour qu’elle s’en aperçoive, c’était devenu naturel pour lui, comme une sorte de satisfaction facile qu’il pouvait s’accorder sans trop de mal.
En prenant son manteau, il tomba une fois encore amoureux d’elle. Comme à chaque fois.
Il se tenait dans son dos et tout en enlevant délicatement cette lourde veste, il la découvrit à nouveau. Il vit à nouveau celle qu’il avait rencontrée plusieurs années auparavant à l’aéroport de Zanzibar, Tanzanie.
Esther portait une jupe trapèze noire assez épaisse à liserés crème. Jusque dans ce genre de détail elle savait accorder les couleurs. C’était vraiment exceptionnel se dit-il. Il ne pouvait pas s’empêcher de penser qu’elle était vraiment très forte. Elle avait réussit à accorder une jupe à ses gants, son écharpe et son béret. Couvre-chef qu’elle porte régulièrement en hiver d’ailleurs. En haut, elle porte un top en lycra noir qui lui couvre le cou avec une sorte de col officier et qui lui recouvre tout le haut du corps, bras y compris.
En regardant de plus près, il s’aperçoit que son top est brodé de motifs noirs verticaux. C’est comme tout ce qu’elle peut porter, subtil, raffiné. En un mot, classe. Julien, en un éclair, repensa à sa tenue lors du fameux soir où ils s’étaient embrassés. Il dut se reprendre rapidement pour ne pas glisser dans de doux rêves.
Esther enleva ses gants, son écharpe et son béret et lui posa le tout dans les bras. Il n’avait plus qu’à se dépêtrer avec tout ça maintenant.
— Bien fait pour lui, se dit-elle. Elle l’avait pris pour un vulgaire valet de pied. Il n’avait qu’à pas être aussi empoté pensa-t-elle en souriant.
Il l’a fit entrer dans son bureau, le seul éclairé, et s’installèrent dans les fauteuils prévus autour de la table basse dans la partie plus détendue de cette si vaste pièce. Ils s’assirent et commencèrent à se scruter.
Tous les deux silencieux et immobiles, ils savaient parfaitement qu’ils s’aimaient. Ils savaient parfaitement qu’ils étaient faits l’un pour l’autre et ils attendaient tous les deux comme des adolescents amoureux de voir qui allait faire le premier pas.
Julien lança la conversation. Il lui expliqua ce qui s’était passé ce soir, qu’il avait travaillé dur, lui épargna les détails rébarbatifs. Il lui dit qu’il avait terminé à temps, que maintenant il était beaucoup plus détendu et termina en lui disant que c’était réellement une surprise de la voir là et que ça ne pouvait pas mieux tomber, que ça lui faisait vraiment très plaisir de la voir.
Elle lui répondit sèchement qu’il l’avait déjà dit. Puis décida de se montrer encore plus effrontée.
— Je m’en doutais que tu serais content de me voir, sinon crois-tu que je serais venue ? Pour ton information, sache que si je suis passé te voir c’est parce que j’avais besoin de te voir. J’ai quelques petites choses à te dire.
Julien lui coupa la parole.
— Avant que tu ne dises quoi que ce soit, moi aussi j’ai quelque chose à te dire.
Esther se tut et se redressa tout doucement sur son fauteuil. Surprise, elle guettait comme une panthère les mots de la bouche de Julien pour les attraper, les manger, et voir s’ils peuvent être digérés.
Très calmement, elle le regarda, le fixa de ses yeux perçants, et lui indiqua qu’il avait absolument toute son attention.
— Je suis curieuse de savoir ce que tu as à me dire, lui dit-elle juste avant de fermer ostensiblement sa bouche.
Ses lèvres se scellèrent. Elle dirigea vers lui son regard le plus attentif sans le faire noir par avance. Elle se tenait prête à tout entendre. Elle ressentait un mélange de peur et d’espoir. Elle avait tant espéré et elle espérait tant encore. Elle ne put s’empêcher de réaliser à nouveau qu’elle l’aimait profondément.
Julien se lança. Il savait que ça n’allait pas être facile. Il savait que de lui dire tout ça, ça n’allait pas être simple. Il se demandait surtout si elle allait lui pardonner. Il l’aimait, il avait besoin d’elle. Il était tellement fou d’elle, de sa présence d’esprit, de son charme, de son à-propos, de toutes ses qualités qui faisaient qu’elle était si adorable, si définitivement LA femme. Son absolu, sa vérité, celle qu’il attendait, celle dont il avait besoin.
Alors il lui dit tout ce qu’il éprouvait pour elle.
Enfin.
Elle avait tant attendu ce moment, et cette déclaration. Elle avait tant espéré qu’il dise enfin ces mots, ces mots-là. Elle n’en revenait pas de tout ce qu’elle entendait, de tout ce qu’il avait remarqué, de toute l’attention qu’il lui portait finalement.
— Alors comme ça il avait vu pour le maquillage, réalisa-t-elle. Alors comme ça, il s’aperçoit de tous les efforts qu’elle fait pour s’habiller. Il a tout remarqué, il n’a jamais rien dit. Mais quel imbécile.
Esther ne pouvait s’empêcher de le traiter d’imbécile. Mais pourquoi donc ne l’avait-il pas dit plus tôt. Elle rageait tout en ressentant une joie immense au plus profond de son cœur.
Il lui fit une vraie, une grande, une fondamentale déclaration d’amour. Esther n’en revenait pas. Elle en était muette de bonheur. Ainsi il l’aimait autant qu’elle l’aimait.
Enfin elle pouvait s’abandonner. Enfin elle était heureuse. Et le pire, c’est qu’il n’avait pas la moindre idée du bonheur qu’il venait d’engendrer en elle…
Chap. VII
Lorsqu’il eut fini, Julien commença à ressentir la peur s’infiltrer dans chaque veine de son corps. Il était suspendu à sa réaction. Il avait bien remarqué le pétillement dans ses yeux. Il avait bien vu qu’ils brillaient, qu’il y avait comme un feu d’artifice dans ses pupilles mais il attendait. Et pourtant, il était encore à se poser la question de savoir comment elle pouvait réagir et si elle lui pardonnerait.
Esther savait parfaitement rendre son visage illisible. Cela avait perturbé Julien pendant très longtemps. La confiance nécessaire pour effacer les angoisses d’Esther n’avait jamais réussi à s’installer entre eux alors une fois de plus, mais surtout cette fois-ci, il attendait avec angoisse en se demandant vraiment comment elle pouvait réagir.
Esther ne bougea pas. Ou alors peut-être un cil mais pas plus. Julien attendit. Son cœur battait à deux cents à l’heure. Elle aussi avait le cœur qui s’emballait. Depuis bien longtemps d’ailleurs elle savait que son cœur avait rendu les armes. Pour lui, pour eux, pour leur histoire improbable.
Elle l’aimait et cette déclaration la remplit de bonheur pourtant elle savait qu’il avait peur. Elle savait qu’il tentait, en vain, de décrypter son, ses attitudes.
Esther s’était retenue autant que possible pour ne rien laisser transparaître, comme d’habitude. Des restes de la danse là encore. Quand elle devait danser avec les pieds en sang tout en souriant, tout en faisant comme si. Il s’était déjà fait la remarque d’ailleurs. Il s’était déjà dit qu’elle aurait été capable, dans un dîner en ville, de rire aux éclats pendant que, sous la table, elle se planterait une fourchette sous les ongles tellement elle savait parfaitement maîtriser ses émotions. Ca exaspérait Julien. Lui qui était si attentif à tout, lui qui voyait tout sans que personne ne le remarque, il n’avait pas encore réussi à trouver la faille, la porte d’entrée chez elle qui lui aurait permis d’aborder la relation d’une manière beaucoup plus sereine.
Cela fait maintenant presque trente secondes, peut-être même une minute pleine et entière qu’il avait finit sa dernière phrase et elle n’avait toujours pas bougé.
Il était terrorisé, il était incapable de bouger.
— Tout ce que j’aurais dit serait donc tombé tellement à plat, se demanda-t-il.
Que pourrait-il dire de plus ? C’est elle, c’est sûr, il le sait tellement.
Esther était prête à lui bondir dessus pour l’embrasser. Elle était folle d’amour pour lui et la déclaration qu’il venait de lui faire l’avait bouleversée, l’avait renversée. Elle était prête à s’effondrer en larmes de bonheur et de joie. C’était lui, c’était sûr, elle en était persuadée.
Doucement, délicatement, la statue se mit à bouger. Elle déplia ses bras qu’elle avait croisés sur ses jambes. Elle se redressa totalement, lentement, tout doucement. Elle était maintenant complètement droite.
Elle se leva, fit un pas, puis un deuxième. Elle passa à côté de la table basse, choisit le grand côté, le plus éloigné de lui, elle fit durer le plaisir.
Il était mortifié. Mais que faisait-elle ? Elle s’en allait ?
Alors c’est ça ? Sans un mot, sans lui faire le moindre reproche, l’humiliant jusqu’au bout, elle allait partir. Elle allait reprendre son manteau et partir, refermer la porte tout doucement derrière elle et oublier son existence, ne plus jamais le revoir.
Il entrouvrit la bouche pour la retenir mais elle se tourna vers lui. Elle ne se dirigeait plus vers la porte mais vint au contraire se positionner face à lui. Julien attendait la gifle magistrale qu’elle n’allait pas manquer de lui lancer violemment. Il l’aurait bien mérité pourtant, il le savait mais ne voulait pas y croire, il serait perdu.
Elle vit bien qu’il se demandait ce qui se passait, qu’il était en pleine perdition. C’est pour cela qu’elle fit durer le plaisir. Esther voulait qu’il apprenne, qu’il comprenne, ne serait-ce que durant ces précieuses secondes à quel point il pouvait tout perdre en un instant, à quel point il devait se battre pour l’avoir elle.
Elle aussi était fière. Elle savait qu’elle l’aimait et qu’elle traverserait des déserts pour lui mais pas à n’importe quel prix. Il fallait qu’il le sache, qu’il l’entrevit, ne serait-ce que ces quelques secondes ce que cela lui ferait si elle partait, si elle le rejetait. Si, un jour, une seule fois dans sa vie, tout n’était pas si facile pour lui.
Elle se positionna face à lui, calmement. Puis, dans une lenteur insoutenable, elle se baissa. Elle plia les genoux, les deux jambes serrées et les replia entièrement pour faire reposer ses fesses sur ses talons. Son visage était à hauteur du sien maintenant. Elle s’approcha. Leurs visages se rapprochèrent, s’attirèrent, s’aimantèrent. Il ne bougea pas d’un pouce. Julien comprit mais ne voulu pas y croire. Il était tellement heureux.
Elle approcha ses lèvres des siennes. Elles se rencontrèrent et elle y déposa un simple baiser. Il put à peine sentir le gloss qui relevait ses lèvres. Il avait fermé les yeux, il était parti, il s’était envolé. Embarquement immédiat pour la Tanzanie.
Esther l’embrassait. Cela voulait donc dire qu’elle l’avait écouté pensa-t-il. Elle l’avait compris. Il y avait un espoir que peut-être un jour elle l’aime se dit-il.
Après avoir déposé délicatement ce simple baiser sur ses lèvres, elle recula légèrement, calcula la distance pour lui permettre de lui rendre ce baiser tout en cherchant à obtenir un vrai mouvement de sa part. Elle attendait qu’il bouge, elle attendait qu’il agisse, comme toujours. Julien lui rendit son baiser. Tout aussi délicat, tout aussi doux, tout aussi tendre, tout aussi amoureux.
Elle posa une main sur sa jambe, il posa les siennes sur son visage. Ils se regardèrent. Ils s’aimaient et enfin, enfin, ils le savaient tous les deux.
Ils prirent conscience qu’ils ne se quitteraient plus. C’est lui pour elle. C’est elle pour lui. Définitivement car ils s’étaient trouvés, ils s’étaient retrouvés et ils pouvaient sentir chacun le bonheur ressenti par l’autre. Ils étaient heureux et leurs baisers étaient devenus maintenant un peu plus intenses, un peu plus appuyés, un peu plus sensuels.
Elle entrouvrit ses lèvres et laissa sortir le bout de sa langue perforant les lèvres de Julien. Ils s’embrassaient pleinement avec force et tendresse. Leurs langues se mêlaient, elles s’amusaient l’une avec l’autre. Leurs salives ne faisaient plus qu’un seul et même fluide. Elle posa ses mains sur ses jambes tandis que lui prit son visage doucement. Pendant qu’ils s’embrassaient, elle caressait doucement ses cuisses. Les mains de Julien s’étaient plaquées totalement sur ses joues et du bout des doigts, il caressait doucement ce petit espace de peau, juste en-dessous de l’oreille, là où la peau est encore plus douce que nulle part ailleurs sur son visage, dans le petit creux entre la fin de sa joue, le bas de son oreille et le début de son cou. Cela la chatouillait légèrement mais ce contact avait également le pouvoir de l’exciter follement. Elle sentait la tendresse dans ce geste et en même temps, le pouvoir sexuel qui se cachait derrière cette caresse anodine. Ce sentiment que même lorsque la caresse s’arrête, elle continue, la peau se souvient et rappelle au cerveau qu’elle a été stimulée, qu’elle a été excitée, qu’elle a été titillée.
Quand Esther décida de se lever, il l’entraîna dans son mouvement en relevant son visage dans ses mains. Elle se retrouva au creux de ses bras. Ils s’enlacèrent sans avoir cessé de s’embrasser avec passion. Leurs deux corps se retrouvaient en communion au beau milieu de ce si grand bureau.
Oubliant un instant la sensualité de ce moment, Esther essaya de se remémorer les conditions géographique de ce bureau. En un instant, elle passa en revue toutes les questions matérielles les plus basiques : y a-t-il des vis-à-vis de l’autre côté des fenêtres ? La petite lumière sur son bureau qu’il a laissé allumer ne permet-elle pas à quiconque dans la rue de voir ce qui se passe dans ce bureau ? La porte d’entrée est-elle fermée à clef et à double tour ? Qui pourrait venir les déranger à ce moment précis une veille de week-end de Noël ?
Aussi vite qu’elle se posait ces questions, elle y répondait. Non, personne ne pouvait les surprendre ici. Elle se souvint que la porte ne s’ouvrait pas de l’extérieur, expérience fâcheuse que Julien lui avait racontée il y a quelques temps où il avait oublié ses clefs à l’intérieur. Pour ce qui concerne les fenêtres et la lumière, pas de problème non plus, pas de vis-à-vis et on ne pouvait rien voir de la rue là où ils se trouvaient. Tout était OK, elle pouvait s’abandonner totalement dans les bras qui la serraient maintenant un peu plus fort, un peu plus intensément, un peu plus passionnément.
Julien se posa exactement toutes ces questions en même temps qu’elle et tout aussi silencieusement. Il y avait répondu exactement avec les mêmes réponses et avec la même rapidité. Rien ne pouvait venir troubler ce moment de bonheur qu’ils s’apprêtaient à vivre.
Debout et collés l’un à l’autre, leurs bouches ne se quittaient pas. Ils s’embrassaient avec force et cela laissait présager de la meilleure manière possible les moments à venir.
Elle mit ses mains autour de son cou et elle lui caressa le bas de la nuque. Pour venir travailler ce soir, il avait mis, comme à son habitude, un costume mais pour une fois, il n’avait pas mis de cravate.
— Chouette, se dit-elle.
Elle n’avait jamais réussi à enlever correctement ses nœuds de cravate. Elle ne savait pas comment il se débrouillait pour faire des nœuds si compliqués mais à chaque fois elle avait été très maladroite. Ce soir, ce serait beaucoup plus facile et ainsi elle décida de prendre l’initiative. Elle ramena l’une de ses mains entre eux et commença à déboutonner un à un les boutons de sa chemise. Elle en enleva deux, puis trois. Il ne devait plus lui en rester que deux ou trois se dit-elle. Elle ne savait jamais avec ses chemises sur mesure qui ne suivent pas les codes traditionnels du prêt-à-porter masculin. Peu importe, elle avait maintenant suffisamment de place pour pouvoir écarter les pans et appliquer ses deux mains sur son torse dénudé. Cela l’excitait terriblement de sentir le contact de sa peau. Elle n’avait jamais compris pourquoi son odeur, le contact de sa peau lui faisait cet effet là mais tout ce qu’elle savait, c’est que ça l’excitait terriblement. Le simple fait de laisser glisser ses doigts sur sa poitrine la mettait dans tous ses états.
En ce qui concernait Julien, il avait posé ses mains dans son dos pour venir la plaquer entièrement contre lui. A partir du moment où elle mit juste ce qu’il faut de distance entre eux pour pouvoir lui enlever, ou du moins, commencer à lui enlever sa chemise, il décida de les descendre un petit peu et commença à descendre lui caresser le côté du ventre et le début de la hanche tandis que son autre main descendait à la base de son dos, à la jonction entre le bas de son top et le haut de sa jupe. Il passa sa main sous son haut et put sentir qu’elle portait encore un sous-vêtement à ce niveau de son dos, au niveau de sa taille. En un éclair, il tenta de comprendre, de deviner ce qu’elle pouvait bien porter en dessous, ce qui pouvait encore faire écran entre sa main et sa peau à ce niveau-là. Ce n’était pas logique.
En glissant encore un peu plus sous son top, il comprit qu’elle devait porter un body. Il reconnut bien là sa recherche permanente d’originalité vestimentaire. Ses sous-vêtements avaient toujours été en totale harmonie avec sa manière de s’habiller à savoir totalement sublime. Il avait toujours apprécié les broderies subtiles de ses soutiens-gorges, il avait passé des soirées entières à fantasmer sur ses strings ou tanga absolument magnifiques qu’elle portait en permanence. Un jour même, elle avait dû s’apercevoir quand même qu’il portait une attention particulière à ce qu’elle mettait en-dessous puisqu’elle lui avait fait une surprise beaucoup plus qu’étonnante dans le sens où elle l’avait laissé l’approcher et lorsqu’ils avaient commencé à s’étreindre et à se déshabiller, elle avait pu constater que le fait qu’elle n’ait pas mis du tout de sous-vêtements l’avait fortement excité. Il s’en souvenait de ce soir là et il se souvenait également que cela lui avait énormément plu. Mais ce soir, elle porte un body, il est en maintenant quasiment certain et il a l’air furieusement sexy car en passant sa main sur la couture du haut de sa jupe, il put constater qu’il se termine comme un string. Les légères caresses qu’ils s’adressaient mutuellement commencèrent à réchauffer leurs corps et ils savaient maintenant tous les deux qu’ils iraient plus loin. La soirée ne faisait que commencer.
Elle lui retira sa chemise de son pantalon et en défit les derniers boutons pour l’enlever entièrement. Torse-nu devant elle, Esther put ainsi profiter pleinement de son torse qu’elle appréciait tant. Elle le caressa, l’embrassa, respira entièrement son odeur, sa peau, sa virilité dont elle était secrètement folle.
En même temps, Julien continuait de lui caresser le dos et passait ses mains sous son haut pour le relever petit à petit. Juste après qu’elle ait déposé quelques baisers sur son torse, il retira complètement son top. Elle l’aida en levant les bras. Cela ne fut pas inutile pour faire passer la tête par le col. A ce moment, il réalisa correctement à quoi ressemblait ce qu’elle portait en dessous. C’était un body très près du corps, bleu marine qui ne ressemblait pas du tout à un body traditionnel. Il avait déjà senti qu’il se terminait en string en bas mais n’avait strictement aucune idée de ce à quoi il pouvait bien ressembler dans son intégralité. En définitive, Esther portait une sorte de combinaison lui couvrant toute la taille, remontait sur sa poitrine et continuait vers le haut. Le vêtement ne s’arrêtait pas comme pourrait le faire un soutien-gorge mais continuait en lui couvrant toute la poitrine. Puis, juste au dessus de la poitrine, il se resserrait découvrant totalement ses épaules, se resserrant jusqu’à la jointure de ses clavicules puis repartait en s’élargissant de plus en plus pour venir entourer totalement son cou. L’arrière reprenait la même forme type “ épaules américaines ” c’est-à-dire se resserrant énormément entre les omoplates puis s’élargissant pour faire le tour du cou. Il comprit alors l’intérêt de porter un tel haut comme celui qu’il venait de lui enlever. Etant donné son col droit qui remontait bien haut autour de son cou, cela permettait de cacher autant que possible son sous-vêtement qui reprenait exactement la même forme.
Bien que ne laissant strictement rien voir de sa poitrine, cette forme le surprenait et le satisfaisait pleinement. Ses épaules magnifiquement bien dessinées par la courbe du vêtement étaient totalement découvertes. Des broderies d’ornement soulignaient la courbe de ses seins parfaits et épousaient à merveille l’ensemble de ses courbes, découvrant ses épaules et laissant ses bras nus tandis que le vêtement cachait la majeure partie de son corps.
Il avait toujours trouvé Esther sublime et ce vêtement lui allait à merveille. Il ne put s’empêcher d’en faire la remarque à voix haute en le découvrant. Elle le regarda avec un sourire malicieux et lui répondit tout doucement.
— Je pensais bien que ce genre de chose te plairait. Je l’ai acheté très récemment.
Elle continua en lui disant que ce n’était pas forcément le genre de sous-vêtements qu’on pouvait mettre facilement tous les jours mais qu’elle avait envie d’essayer et qu’elle était heureuse de ne plus être la seule à en profiter.
A ces mots, Julien réalisa qu’Esther pensait à lui en l’achetant. Malgré ce qu’elle pouvait dire, c’est à lui qu’elle voulait faire plaisir, c’est lui qu’elle voulait surprendre en portant ceci et il en était particulièrement fier. Une fois de plus.
— Je suis flatté lui répondit-il simplement. Et je compte bien lui faire honneur.
Ce n’est pas tous les jours que l’on rencontre une forme de sous-vêtements aussi originale et aussi excitante.
Malgré le traditionnel boxer qu’il doit porter sous son pantalon, Esther sentait parfaitement l’effet qu’elle pouvait lui faire. Elle le savait et elle en était profondément heureuse. Elle savait parfaitement qu’elle était jolie. On lui avait toujours dit mais elle s’en fichait pas mal. Jolie ou pas, c’est à lui qu’elle voulait plaire, c’est lui qu’elle voulait séduire, c’est à lui qu’elle voulait donner envie. Elle voulait qu’il ait envie d’elle autant qu’elle avait envie de lui. Et là, elle le sentait parfaitement.
Tout doucement, elle descendit sa main et vint la poser délicatement sur son entrejambe. Descendant sa main vers le bas de son ventre, elle plaqua ses lèvres contre les siennes et ils s’embrassèrent d’abord délicatement puis, au fur et à mesure où sa main descendait un peu plus sur son ventre, de plus en plus fougueusement.
Leurs baisers les entraînèrent dans un enivrement total et ils commencèrent tous les deux à avoir maintenant furieusement envie l’un de l’autre.
Une fois qu’elle posa sa main sur son sexe, à travers son pantalon, elle peut sentir parfaitement la forme se détachant au travers du tissu fin. Une simple pression de sa part sur l’objet de son désir déclencha chez Julien une avalanche de désir et d’envie. Elle le sentit d’ailleurs parfaitement puisque la pression de sa main dans son dos se fit plus forte, se fit un peu plus franche. Elle sentit sa main descendre le long de son dos. Elle sentit sa main arriver au niveau de l’ourlet de sa jupe et chercher la fermeture éclair inévitable.
Julien n’en pouvait plus et voulu impérativement non seulement voir l’intégralité de ce qu’elle portait mais surtout voulait profiter pleinement de son corps à elle, la voir, la contempler, l’admirer, avec ses mains, avec ses yeux, avec sa bouche. Il voulait la manger, fusionner avec elle.
Leurs baisers augmentaient son désir et le fait qu’elle ait commencé à le caresser ne fit que le mettre un peu plus en confiance et lui permirent d’oser aller un peu plus loin. Ce n’est pas qu’il ne s’en doutait pas, ils étaient quand même tous les deux torses nus ou presque mais il avait toujours aimé les bonnes manières. Ce n’était pas son genre d’insister et de provoquer trop lourdement les choses. Esther savait parfaitement doser les choses, en toutes circonstances. Et pour ce qui les concernait à présent, cela n’en était que plus appréciable. Elle était parfaite, définitivement.
Sa main cherchait sur le haut de sa jupe le moyen de la déshabiller et il arriva enfin à trouver le bouton et la fermeture éclair sur le côté, sésame indispensable pour pouvoir l’admirer et lui faire comprendre un peu mieux par ses caresses l’incommensurable envie qu’il pouvait avoir d’elle.
Habilement, il dégrafa le bouton et commença à descendre le zip qui détendit petit à petit le tissu enserrant sa taille. Une fois le mécanisme totalement descendu, il n’y eut plus que son autre main posée sur sa hanche qui retenait sa jupe. Il l’éloigna doucement et le poids de sa jupe l’entraîna à ses pieds.
Il s’agenouilla devant elle. Alors que son visage restait tout prêt du corps de sa princesse, il ne put s’empêcher de prendre son temps, de sentir sa peau, de s’arrêter même dans sa descente pour embrasser doucement son ventre couvert par ce qu’elle portait en dessous. Il glissa sa joue contre ce tissu si doux, devina sa peau cachée derrière. Il arriva au niveau de son bassin, s’arrêta encore pour embrasser sa peau découverte et reprit sur l’une de ses jambes. Il descendit encore pour arriver jusqu’à la couture de son bas et arrêta ses lèvres. Il appréciait ce vêtement magique qui tient tout seul sur sa jambe. Il embrassa doucement alternativement sa peau et la dentelle délicate du haut de son stay-up. Pendant ce temps, ses mains suivirent le contour de ses hanches, de ses fesses, de ses jambes, le creux de ses genoux, le haut de ses bottes pour enfin arriver par terre et récupérer sa jupe. Elle leva l’un après l’autre ses pieds pour le laisser la débarrasser de ce vêtement.
Elle n’aimait pas avoir des vêtements par terre. Par principe. Mais surtout, elle n’aimait pas qu’on ne fasse pas attention à ses vêtements. De plus, elle n’aimait pas du tout savoir que ses jambes ne pouvaient plus bouger. Et puis Esther s’était toujours dit que quelqu’un qui laissait les choses en l’état ne savait pas prendre son temps. Et elle, elle aimait prendre son temps. Particulièrement en amour d’ailleurs. Surtout en amour.
Ainsi, elle le laissa faire. Elle se prêta à ce petit jeu du déshabillage avec volupté, calme, et patience. Elle n’était pas du genre à se jeter sans ménagement sur la personne en face et elle détestait par dessus tout la réciproque.
Esther n’était pas une bête sauvage qui veut dévorer sa proie et elle supportait encore moins de se sentir comme un simple objet de convoitise. Bien sûr, elle pouvait apprécier de se conduire ainsi, elle savait aussi être espiègle quand elle voulait mais pas là. Ce n’était pas le moment et elle appréciait par dessus tout la douceur et la tendresse de Julien.
Accroupi devant elle, il ne s’était pas relevé. Il était resté au niveau de ses jambes. Il adorait ce moment, il adorait être là, devant elle. Il passa ses mains sur l’arrière de ses cuisses et il remonta doucement le long de ses jambes. Il embrassa ses jambes d’abord au travers de ses bas puis un peu plus haut, arriva au niveau de ses cuisses dénudées, ses mains remontèrent encore un peu pour venir se poser sur ses fesses, et là, il prit son temps.
Il prit le temps de la respirer, il prit le temps de la sentir, il prit le temps de profiter de la douceur de sa peau. Il colla sa joue sur la peau si douce de sa cuisse, il embrassa soigneusement la peau qui se présentait devant ses lèvres tandis que ses mains commençaient à caresser ses fesses à elle.
Doucement, il laissa glisser la paume de ses mains sur la peau douce de ses fesses, lentement il laissa aller ses doigts non seulement sur chaque partie de ses fesses mais également de plus en plus près de la ligne de démarcation de ses deux globes si doux. Ses doigts allaient et venaient de plus en plus près de la séparation de ses fesses et il arrivait même à glisser parfois l’un de ses doigts sous le tissu de son body pour venir l’écarter tout doucement de sa peau. Il continua à bouger les mains, il retira ses doigts de l’emprise de ce morceau de tissu tendu, les promena pour profiter au maximum de la douceur de sa peau à cet endroit de son corps et revint quelques secondes plus tard pour en replacer un puis deux sous ce qui lui servait de string. Il écartait à chaque fois un peu plus le tissu. Sa bouche s’était approchée de son pubis et il continuait à l’embrasser à travers son body. Il repassa une de ses mains devant et tandis qu’il continuait de caresser ses fesses avec l’une, l’autre vint se plaquer sur son bas-ventre pour la masser doucement en décrivant de petits cercles de plus en plus appuyés. Esther était excitée au plus haut point et elle commençait à ne plus pouvoir maîtriser sa respiration. Elle se fit plus dense, plus intense, plus sourde. Sa poitrine bougeait de plus en plus amplement, ses inspirations se faisaient de plus en plus longues tandis que l’air qu’elle expulsait de plus en plus difficilement sortait d’une manière rapide et profonde. Elle adorait ça, elle aimait par-dessus tout qu’on s’occupe d’elle et qu’on la caresse ainsi, que l’on prenne soin d’elle dans ces moments-là. Elle n’attendait plus qu’une chose, qu’il enlève le tissu qui passait entre ses jambes pour qu’il puisse prendre soin du désir qui grandissait dans son bas ventre. Julien répondit à ses attentes.
Chapitre VIII
Il enleva le tissu entre ses jambes pour prendre le temps de prendre soin du désir grandissant dans son bas ventre, comme elle l’appréciait tant.
Julien ramena ses deux mains entre ses jambes et dégrafa les attaches du body entre ses cuisses. Le tissu de son body, relativement tendu jusque-là, remonta sur son pubis et à hauteur de ses fesses, lui laissant voir son sexe maintenant dénudé. Il avait toujours aimé son sexe. Il ne se lassait pas de le voir, le toucher, le sentir, le caresser, le lécher. Sans plus attendre, il reposa ses deux mains sur ses fesses et avança son visage pour l’enfouir dans sa toison pubienne. Doucement, il posait ses lèvres, il embrassait doucement ce corps si désiré et tandis qu’il la caressait, sa langue s’approchait de plus en plus du haut de son sexe. Il sentit sa respiration s’accélérer. Esther se cambra un petit peu, fit ressortir son bassin en avant et cela permit à Julien d’aller un petit peu plus loin et d’enfouir son visage un peu plus entre ses cuisses.
L’excitation grandit de plus en plus. Sa langue commençait déjà à approcher ses lèvres vaginales sur lesquelles il déposa un baiser délicat mais annonciateur de l’envie qu’il éprouvait de lui donner du plaisir.
En avançant un peu plus, il réussit à tendre sa langue et elle se plaqua à l’entrée de son sexe. Il sentit son excitation humide maintenant parfaitement et cela eut le don d’augmenter son excitation à un niveau inouï. Lentement, il passa sa langue sur l’intégralité de son sexe. Il la léchait délicatement, doucement, et il s’aperçut qu’elle réagissait à chaque passage de sa langue chaude et humide à l’entrée de son sexe.
En s’approchant encore un peu plus, du bout de la langue, il écarta ses lèvres et découvrit enfin son clitoris brûlant et gonflé. Doucement, tout doucement, il passa le bout de sa langue autour. Il jouait avec, il le léchait, il le suçait. Puis d’un coup, il étalait l’intégralité de sa langue dessus, et lui appliquait une pression intense qui la faisait sursauter et provoquait chez Esther un soupir non équivoque.
Elle prenait un plaisir monstrueux lorsqu’il s’occupait d’elle ainsi. Elle avait posé ses mains dans ses cheveux et l’accompagnait, lui caressait la tête, le guidait dans ses mouvements. Lorsque la tension était trop forte, elle lui prenait le crâne dans ses mains et lui faisait sentir, du bout de ses doigts fins, à quel point elle adore ce qu’il est en train de faire. Elle lui plaquait le visage contre son corps, entre ses jambes, et l’encourageait physiquement à rester là où il était, à continuer de faire ce qu’il était en train de faire.
Elle adore qu’il la lèche. Elle aime tout particulièrement la douceur dont il fait preuve, sa capacité à trouver le bon moment pour se faire plus doux ou plus dur, à trouver LE point sensible qui fait que le désir qu’elle ressent de manière diffuse depuis de trop longues minutes se transforme en plaisir intense et parfaitement localisé. A ce moment là, elle visualise dans tout son corps le parcours cette boule de feu qui prend naissance dans son ventre, au creux de son bassin. Elle la sent grossir, se former de plus en plus, devenir de plus en plus importante au fur et à mesure que sa langue la lèche et que ses lèvres embrassent son sexe. Cette boule de plaisir devient de plus en plus grosse, elle n’arrive pas et ne veut surtout pas d’ailleurs, la contenir, elle veut qu’elle grandisse, elle veut que le plaisir qu’elle ressent ne s’arrête jamais de grandir, de grossir.
Puis, lorsqu’à force de mouvements répétés, à force d’excitation, elle n’en peut plus, il suffit d’une caresse buccale plus appuyée, une caresse de ses mains si douces et si précises plus forte, alors là elle sait qu’elle ne pourra plus résister. D’un coup, elle ne se cambre plus mais se cabre complètement. Sa respiration s’arrête. Elle jette sa tête en arrière. Ses longs cheveux s’emmêlent dans son dos, son ventre se raidit. D’un seul coup, la boule qui devenait de la taille d’une planète dans son ventre explose pour se transformer en un millier d’étoiles qui partent à la vitesse de la lumière se diffuser dans tout son corps.
Tant de fois elle a rêvé ces sensations, tant de soirées seules dans son lit, dans son appartement bordelais elle a imaginé les mains et la langue de Julien entre ses cuisses. Tant de fois elle s’est donné l’illusion que c’était lui qui la faisait jouir dans la solitude de leur éloignement. Et à chaque fois qu’ils se retrouvaient ensemble, c’était imparable. Elle jouissait avec une force incontrôlée.
Et là encore, Esther ressentit cet orgasme jusque dans l’extrémité de ses doigts de pieds. Ses mains se raidirent et plaquèrent complètement le visage de Julien entre ses cuisses.
Il ne put bouger plus. Elle ne lui en laissait pas le droit. La chaleur parcourut son torse, et remplit sa poitrine qui se raidit également. Elle sentit le plaisir monter dans sa gorge et en même temps qu’elle expulsait un soupir plus long, plus dur, plus fort que n’importe lequel autre, en même temps qu’elle arrivait enfin à expulser de son corps une partie du trop plein de la jouissance qu’elle ressentait, une bouffée de chaleur lui monta à la tête et elle sentit que la chaleur de son corps augmentait de plusieurs degrés, jusque dans ses oreilles tandis qu’elle était obligée d’ouvrir les yeux si elle ne voulait pas tomber en arrière et s’évanouir.
Il comprit parfaitement qu’elle venait de jouir et il ne bougea plus. Il attendit qu’elle reprenne un minimum ses esprits pour pouvoir esquisser le moindre mouvement. Il savait qu’à ce moment là, elle ne pouvait plus rien ressentir et que le moindre geste de sa part, le moindre mouvement serait inévitablement la cause d’une perte de plaisir, que cela la dérangerait dans l’explosion d’étoiles filantes qu’elle venait de supporter dans l’intégralité de son corps.
Alors qu’elle arrivait enfin à refermer les yeux, à reprendre une respiration à peu près normale, saccadée certes mais plus régulière néanmoins, il recula un petit peu. Ses mains lui adressèrent une ultime caresse sur les fesses, passèrent sur ses hanches et enfin il les appuya sur ses genoux pour s’aider à se relever et revenir à sa hauteur. Il l’aida à se tenir debout en la prenant par les épaules et vint lui déposer un tendre baiser dans son cou offert à sa vue, n’ayant pas encore eu le courage de ramener sa tête dans le monde des vivants. Là elle se baladait encore avec les autres fées de son espèce parmi les nuages et ne voulait rien de plus au monde que rester dans ce havre de douceur et de chaleur.
Puis, comme par magie, en un instant, un seul instant, elle réalisa qu’elle était sur terre et que l’objet de son plaisir, l’objet de son désir se trouvait devant elle. Elle ramèna son visage droit et ouvrit les yeux doucement pour le regarder et lui sourire.
C’était comme une apparition pour lui de voir son visage revenir en avant et il détailla au millième de seconde près, le mouvement de ses paupières qui découvraient les deux saphirs qu’elle portait à la place de ses prunelles. Ses yeux le transpercèrent et il était profondément heureux de voir dans ses yeux à elle, dans ses yeux uniques, le plaisir qu’il venait de lui donner et tenta, tant bien que mal, de lui répondre de la même manière à la hauteur du plaisir qu’il venait de prendre également.
Elle ne comptait cependant pas en rester là, loin de là.
— Toi mon bonhomme, tu ne vas pas t’en tirer à si bon compte ! Tu vas voir ce que tu vas voir ! se dit-elle d’ailleurs en elle-même avant de décider de reprendre les choses en main.
Et s’il savait lui donner autant de plaisir, elle savait parfaitement également qu’elle était capable de lui en donner autant et de lui faire perdre pied comme elle venait de le faire.
Elle le poussa en arrière, sans la moindre violence mais avec suffisamment d’insistance pour qu’il ne puisse rien objecter, pour l’amener jusqu’au canapé derrière lui à quelques pas.
Il se laissa faire et profita encore de la vue magnifique de son corps et de son visage sans imaginer ce qui l’attendait.
Alors que ses jambes à lui venaient cogner contre le rebord lourdement rembourré du canapé, elle l’empêcha de tomber en arrière et en un tour de main, elle réussit à lui enlever sa ceinture, les différents boutons de son pantalon et sa fermeture éclair.
En un instant, il se retrouva quasiment nu et à moitié allongé sur le canapé avec une déesse en sous-vêtements devant lui en train de fondre sur lui.
Sans qu’il ne s’aperçoive de rien, elle était déjà assise sur lui, ses genoux repliés derrière elle en train de l’embrasser avec fougue et désir.
Il ne s’aperçut même pas qu’elle avait réussi en un tour de main à enlever ses bottes et qu’elle se retrouvait sur lui, simplement vêtue de ses bas alors qu’elle enlevait maintenant son body qui était tenu on ne sait trop comment par quelques attaches placées dans son dos. Il ne réalisait toujours pas ce qui lui arrivait jusqu’à ce qu’il sente son sexe dressé venir s’approcher du sien alors qu’elle bougeait subtilement le bassin posé sur le sien.
Elle plaqua son torse contre le sien et vint toucher sa poitrine avec ses seins. Ses mains passaient sur l’intégralité des côtés de son corps, son buste faisait de petits mouvements délicieux sur le sien. Cela eut pour effet immédiat, non seulement de durcir un petit peu plus le bout de ses seins mais également de renforcer l’érection déjà importante de Julien. Un afflux de sang un peu plus important qu’auparavant dressa d’un coup son sexe et il sentit alors l’humidité qui inondait l’entrejambe d’Esther.
Elle sentit également ce mouvement et cela l’excita un peu plus. Elle se sentit désirée, elle sentait qu’il avait envie d’elle, qu’elle lui plaisait et cela la motiva encore plus pour lui montrer à quel point elle savait comme faire, à quel point elle était capable de le faire jouir lui aussi.
Elle décida de sortir l’arme atomique et de lui offrir une danse dont elle seule avait le secret.
Ses hanches bougeaient doucement mais de manière ample. Julien sentait les cuisses et les fesses d’Esther bouger sur lui. Cela l’excita définitivement.
Elle se pencha sur lui tandis qu’il se redressait légèrement, leurs corps se collèrent l’un à l’autre et ils s’embrassèrent follement. Tandis que leurs corps communiaient entièrement, leurs bouches se mêlaient, leurs langues se liaient l’une à l’autre. Leurs mains parcouraient le corps de l’autre, chaque centimètre carré de leur peau était touché par la main chaude et douce de l’autre. Il lui caressait le dos, sur le côté, il la tenait fermement, suivait le mouvement de ses hanches tandis qu’elle avait pris son visage dans ses mains. L’une redescendit sur ses épaules, sur son torse, passa dans son dos et ramena ses hanches vers l’avant pour accentuer les mouvements de son bassin. L’autre main était restée collée sur son visage, sur sa joue pendant qu’ils s’embrassaient avec fougue, avec passion, amoureusement.
Leurs deux torses étaient collés l’un à l’autre. Ils essayaient de se toucher au maximum, ils essayaient de ressentir chaque centimètre carré de la peau de l’autre avec la leur. La chaleur qui se dégageait de chaque corps venait amplifier celle de l’autre et le désir de chacun s’additionnait pour ne faire plus qu’un. Un seul corps, un seul être dans la communion la plus totale.
Toutefois, il manquait un élément pour que la fusion soit complète. Elle mourrait d’envie de lui, elle le voulait. Elle voulait sentir son corps, elle voulait ressentir ce qu’il ressentait, elle voulait lui donner encore plus de plaisir et en prendre autant. Elle voulait qu’il la pénètre.
Lui était satisfait, lui adorait quand elle était ainsi, lorsqu’elle prenait les choses en main.
Elle le savait et elle appréciait beaucoup la liberté qu’il lui donnait et qu’il lui avait toujours donné dans leurs échanges, dans leurs relations, quelles soient bénignes ou sexuelles.
Elle arracha l’une de ses mains du corps de Julien et vint la passer dans son propre dos. Elle descendit lentement jusqu’à ses reins, passa au milieu de ses fesses, laissa ses doigts plonger encore plus loin, entre ses fesses, puis entre ses cuisses. En tendant le bras, elle arriva à effleurer du bout des doigts le sexe tendu de Julien dressé à l’entrée de son vagin. Elle le prit dans sa main, l’attrapa tout entier et vint le positionner juste à l’entrée de son sexe. L’excitation et la jouissance qu’elle venait de ressentir lui rendait la tâche plus que simple et il ne lui suffit que de déplacer son bassin de quelques millimètres pour qu’elle se trouva en position de faire pénétrer son membre dans son corps, ce qu’elle fit sans attendre.
Un éclair de plaisir les transperça tous les deux en même temps. Elle sentit ce sexe dur et gonflé écarter ses lèvres vaginales et s’enfoncer tout doucement, au rythme qu’elle imprimait elle-même à ce moment par l’action de son bassin qu’elle bougeait lentement.
Il savait ce qui était en train de se passer, mais il ne le réalisait absolument pas.
Julien était déjà parti. Il était déjà bien loin et la seule chose qu’il pouvait sentir c’était ce corps chaud, cette douceur brûlante qui entourait son bas-ventre, qui l’attirait et qui le faisait chavirer littéralement. Il n’en pouvait déjà plus. Il était parti à des kilomètres de la planète. Il était en train de vivre un moment magique, un moment unique.
En jouant subtilement avec ses hanches, avec les mouvements de son bassin, Esther arriva à enfouir son sexe au plus profond de son corps. Elle bougeait doucement d’avant en arrière, de gauche à droite et sentait petit à petit son sexe écarter ses lèvres et s’enfoncer profondément.
Elle le sentait entièrement à elle, uniquement pour elle. Elle sentait ses cuisses contre ses fesses, leurs pubis se touchaient. Ils ne faisaient plus qu’un.
Lentement elle s’approcha de lui, tout son corps se pencha en avant et elle vint se plaquer contre son corps. Il l’enlaça en réponse. Ils ne bougeaient plus ni l’un ni l’autre. Ils n’étaient plus deux mais ne faisaient plus qu’un. Il rejoint ses bras autour de son buste, elle entoura ses épaules de ses bras fins. Ils collèrent leurs cous l’un contre l’autre, ils n’étaient plus enlacés, ils fusionnaient.
Après une éternité, quelques secondes plus tard, imperceptiblement, elle recommença à bouger.
Lentement elle prit appui sur ses genoux posés sur le canapé pour se relever un tout petit peu, juste assez pour faire coulisser son corps sur son sexe sans pour autant briser le lien qui les unissait plus fortement qu’aucune chaîne.
Et elle redescendit.
Quelques instants plus tard, c’étaient de larges va et vient qu’elle imprimait à tout son être pour qu’ils jouissent tous les deux au maximum de cette fusion. Ils s’étaient très légèrement désolidarisés. Esther avait encore ses bras autour de son cou mais Julien avait posé ses mains sur ses hanches. Il accompagnait ses mouvements avec ses bras tout entier, il l’aidait, il participait à leur plaisir partagé, commun, entier.
Elle s’écarta légèrement en arrière pour trouver une petite liberté de mouvement et mieux contrôler ce qu’elle avait entrepris. Cela lui laissa la possibilité de se jeter sur ses seins. La tension monta d’un coup de plusieurs crans.
Non seulement leurs mouvements se firent de plus en plus rapides et appuyés mais les mains de Julien se resserrèrent sur sa peau. Il attrape Esther fermement. Elle posa ses mains sur ses épaules, imprimant un massage énergique dont la vigueur venait en réponse à chaque aller et venue qu’elle faisait le long de son sexe. Ses ongles s’enfonçaient dans sa chair à chaque mouvement. C’était son corps tout entier qu’elle faisait monter et descendre le long de son membre. Elle le sentait. Elle voulait être transpercée. Elle ne voulait plus sentir que lui, que son sexe, que le plaisir qu’elle prenait et qu’ils partageaient pour qu’il lui revienne.
Il réussit à s’approcher suffisamment de sa poitrine pour prendre l’un de ses seins entre ses lèvres. Il le lécha, il l’embrassa, il le mordit même. Il déposa sur l’extrémité de son sein des baisers fougueux et humides. Ses mains vinrent l’aider et pendant qu’il caressait sa poitrine toute entière, il en profitait pour l’embrasser, pour manger ses seins délicieux et si doux. Il en était fou. Il adorait sa poitrine et aurait passé des heures rien qu’à les regarder, à jouer avec, à les contempler avant de les dévorer, de les noyer sous des camions entiers de baisers tendres et virils à la fois.
Cela excite énormément Esther. Elle était totalement incapable de savoir d’où venait le plaisir qu’elle ressentait. Elle adorait ce qu’il lui faisait. Elle aimait faire l’amour avec lui et elle savait qu’elle allait jouir. Julien allait la rendre folle.
Elle avait fermé les yeux depuis longtemps maintenant. Elle se perdait dans les nuages. Elle bascula la tête en arrière. Ses longs cheveux tombaient dans son dos. La chaleur devenait extrêmement intense, élevée. Esther n’en pouvait plus. Elle voulait jouir et elle savait qu’elle allait arriver dans quelques instants à un point de non retour, un point où elle serait incapable de savoir ce qui lui arrive, comment elle s’appelle ni comment il est possible de ressentir autant de plaisir.
Julien allait jouir aussi. C’était trop bon, c’était trop intense, c’était trop délicieux. Il ne pouvait pas résister. Il savait qu’elle était en train de l’amener à un point de jouissance et de plaisir qu’il ne connaîtrait jamais qu’avec elle.
Il savait à présent, bien qu’il fut totalement incapable de le verbaliser à ce moment précis, que c’était elle, qu’il ne pouvait éprouver, ressentir, endurer même, autant de plaisir qu’avec elle, qu’avec son corps de rêve, qu’avec sa manière de lui faire l’amour, qu’avec cette femme exceptionnelle et unique.
Esther allait jouir. Elle le sentait. Elle sentait monter une nouvelle fois un orgasme monstrueux, un orgasme qu’elle ne croyait pas possible.
Elle n’en revenait pas. Elle n’imaginait pas qu’il était possible pour une femme normalement constituée de ressentir deux orgasmes aussi forts, aussi intenses en aussi peu de temps. Ses hanches ne cessaient pas de bouger. Elle devenait folle.
Jamais elle n’aurait pu imaginer qu’elle aurait mis autant d’ardeur, autant de force dans l’acte sexuel. Et pourtant elle se découvrait, elle se voyait en train de se faire jouir et de le faire jouir avec une intensité qui n’était que la simple résultante de l’amplitude et de la force des mouvements qu’elle imprimait à son corps sur le sien.
Julien n’en revenait pas. Il n’imaginait pas qu’il était possible de ressentir aussi fort le plaisir et la jouissance.
Il allait exploser. Il le savait. Il le sentait. Il ne pouvait plus se retenir. Il ne pouvait retenir plus longtemps l’expulsion de son sperme.
Lorsqu’Esther se cambra d’une manière irréelle, lorsqu’elle rejeta sa tête entièrement en arrière, que son dos se plia littéralement en deux, que son bassin vint décrocher une ultime ruade sur le sien, elle explosa. Le comprenant, Julien ne put retenir son propre orgasme et il expulsa en plusieurs fois l’essence de son être au plus profond du corps d’Esther.
Les yeux fermés tous les deux, ils n’arrivaient plus à respirer. Ils ne pouvaient plus respirer qu’en émettant des râles. Leurs ventres et leurs poitrines respectives montaient et descendaient amplement tandis qu’ils essayaient de reprendre leurs esprits, de redescendre sur terre.
Esther et Julien avaient fait l’amour avec passion et une intensité folle. Ils jouirent ensemble dans une extase inouïe.
Après avoir réussi à retrouver un semblant de respiration normale, Esther s’écroula contre lui et enfouit son visage dans son épaule rassurante et trempée de sueur.
Il l’enlaça tendrement et put sentir la moiteur de son dos sur lequel avaient perlé des gouttes de sueur dues à la température intenable dans leur espace vital.
Là, pendant de longues secondes qui leur parurent des siècles, ils se rassuraient, ils réalisaient qu’ils étaient bien vivants, que ce n’était pas un rêve, qu’ils avaient bien vécu et qu’ils étaient toujours en train de vivre un moment unique, un moment inoubliable.
Esther n’avait plus aucune force dans le moindre muscle de son corps. Elle s’était proprement étalée sur lui et ne pensait qu’à le respirer tout entier, sentir sous ses doigts la chaleur de sa peau. Elle passait ses doigts sur ses épaules qu’elle meurtrissait il y a quelques instants, comme pour calmer la douleur qu’elle lui avait elle-même infligée.
Julien n’avait toujours pas réussi à ouvrir les yeux. Il l’enlaça et alors qu’une de ses mains lui caressait le dos doucement, du bout des doigts, l’autre jouait avec ses cheveux emmêlés. Il lissait ses cheveux pour tenter de les remettre un peu en ordre.
Ils venaient de vivre un moment inoubliable. Ils échangèrent au même millième de seconde le plaisir qu’ils ont ressenti.
Leurs corps se réveillant doucement, leurs bouches retrouvèrent alors le chemin de celle de l’autre. Ils échangèrent quelques doux baisers et arrivèrent enfin à ouvrir les yeux de nouveau. Ils se regardaient tendrement, incapables de prononcer la moindre parole.
Et pourtant.
Pourtant, ses lèvres à lui s’ouvrirent. Doucement, difficilement mais elles s’ouvrirent.
— Mais que peut-il bien avoir à dire à ce moment précis se demanda-t-elle quand elle entendit un murmure, un souffle, un chuchotement.
Julien savait qu’il allait falloir qu’il s’applique, qu’il se concentre un petit peu car il était vraiment dans une situation où le moindre mot était un effort.
Les mots qu’il prononça à ce moment précis n’étaient jamais sortis de sa bouche avec autant de clarté et de sincérité. C’était certainement d’ailleurs les seuls mots qu’il pouvait prononcer et même si c’est dans un souffle, presque imperceptiblement, Esther savait parfaitement ce qu’il avait dit. Elle entendit parfaitement ces fameux trois mots magiques et si importants.
Je t’aime.
Premier baiser un week end de veille de Noël, un vrai conte de fée. J'adore. Fan de ton Julien....
· Il y a presque 11 ans ·Isabelle Leseigneur
Je l'aime bien aussi mon Julien. Un peu benêt, un peu maladroit, un peu (beaucoup) torturé aussi avec toutes les questions qu'il se pose en permanence sur tous les sujets possibles et imaginables... mais je l'aime bien quand même.
· Il y a presque 11 ans ·J'en ai fait, je crois, quelqu'un de plutôt pas mal.
Et oui, l'époque va bien à la lecture de cette petite histoire, tu as parfaitement raison.
Merci d'être passée par là.
wen
Une belle histoire, un seigneur et sa princesse...j'en veux encore
· Il y a presque 11 ans ·Isabelle Leseigneur
Merci beaucoup des compliments, ça me touche beaucoup.
· Il y a plus de 11 ans ·Il était plus agréable, je pense, de la lire par épisode avec les illustrations et musiques.
Merci beaucoup une fois encore et au plaisir.
wen
Alors là, merci beaucoup Cerise, ça me fait énormement plaisir. Je suis tres heureux si tu as aimé mes personnages et suis touché par ta lecture et ton commentaire.
· Il y a presque 12 ans ·Je lirai ton texte dès que possible.
wen
"Julien venait de se faire percuter par un camion remorque."... J'ai beaucoup aimé. J'ai lu d'une traite. Je retrouve certains traits de caractères de mes personnages... Le passage au bord de la piscine est un de mes favoris...
· Il y a presque 12 ans ·Je te laisse lire mon idée de l'amour...
cerise-david
je prendrais le temps de regarder les illustrations et d'écouter la musique ! et puis , j'aime les histoires d'amour ....
· Il y a presque 12 ans ·mysterieuse
Oh ne t'attends pas à quelque chose d'exceptionnel tu sais !
· Il y a presque 12 ans ·C'est une histoire d'amour. Et même si c'est quand même une histoire d'amour, ce n'est qu'une histoire d'amour...
;-)
C'est dommage surtout car tu ne peux pas profiter des illustrations ou de la musique liée aux épisodes.
En tout cas, bonne lecture à toi (moi je te donnerai des nouvelles de Mathilde et Benjamin rapidement)
wen
J'attendais la fin, je vais pouvoir déguster à présent ....
· Il y a presque 12 ans ·mysterieuse