Billet Dakarois

mls

L’aventure commence par une ville. Une ville qui s’étend à perte de vue. Avec un néon sur chaque maison. Allumés, les néons, quand le jour est bon. Une enfilade de petites lumières après l’autre, Dakar s’étale sous nos yeux, infinie, immense, incommensurable. Peu d’immeubles, presque exclusivement des petites maisons. Un tapis de lumière en pointillés. Une constellation terrestre. Un chemin du noir au néon, une métropole humble et africaine d’une étendue fabuleuse.

Puis entre en scène le dépaysement sonore, immédiat. Une autre langue, brandie comme un fer de lance pour se défendre contre la marée touristique. Une manière de se faire valoir et de se gausser certainement un peu de ces « incomprenants ». Une langue belle, musicale, qui coule comme du miel dans les oreilles, qui sait se faire coupante, mais qui reste douce la plupart du temps. Une langue d’oralité, qui ne s’est jamais envisagée écrite, ne s’est jamais pensée trace.

Le festival des couleurs prend la suite. Au blanc des maisons, au gris foncé des goudrons, à l’ocre chaud du sable répondent les mille couleurs vibrantes des tissus. Grands caftans des hommes, ensembles des femmes dont elles affichent la couleur par le fichu noué de manière extraordinaire et périlleuse sur le sommet de leur tête. Des rouges, des verts, des violets, des bleus, des roses qui s’organisent en motifs aussi divers que variés, formant une mosaïque aux tesselles dépareillés, un vitrail au dessin trouble.

Les bouchons arrivent enfin, immenses et impénétrables, d’une densité telle qu’on s’interroge sur la possibilité de s’en extraire. Le défilé des véhicules, allant du vieux 505 aménagé en sept places au moderne et luxueux 4x4, des bus desservant tout le pays aux petits 25 places. Ceux-là, on les appelle cars rapides, aux carrosseries jaunes et bariolées, et ils n’ont de rapides que le nom puisqu’ils s’arrêtent partout, dégorgeant de voyageurs-sardines qui prennent une grande inspiration avant de monter dans la carcasse infernale.

Les vendeurs défilent, le long de la route. Tous mettent la même marchandise à disposition des clients, et des autres. Ils accourent dès qu’on les appelle, ou dès que leur attention est attirée par le son d’une pièce contre une vitre, ils tendent à l’acheteur la marchandise ou la font glisser dans l’entrouverture minuscule de la vitre (eh quoi ?! Elle est coincée, de toute façon !), récupérant leur argent et courant comme des dératés s’ils n’ont pas eu le temps de s’en emparer avant que la voiture ne redémarre. Journaux, mouchoirs, arachides, beignets, dentifrices, vêtements, recharges téléphoniques : l’enchaînement est identique, mais différent selon les saisons.

Enfin la sortie de Dakar, après parfois des heures d’embouteillage. A-t-on idée, aussi, de bâtir une capitale sur une presqu’île ? Car pour la quitter, il n’existe qu’une seule route. A-t-on idée ? C’est bien une trouvaille de colons, ça, qui n’envisageaient que le site original, la situation exceptionnelle, la fraîcheur de l’endroit entouré par la mer. Maintenant, les colons dans leurs tombes doivent être ravis : Dakar n’a rien à envier à Paris. Mais hors de la capitale, enfin, les villes plus modestes, les villages plus pétillants, tous différents et tous un peu pareils, mais tous vivants. On y découvre les langues nouvelles, les gens ouverts. Mais là, c’est une autre histoire.

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