Blanc, comme un mur blanc

nyckie-alause

Le fauteuil se balance, se balance au rythme de mon souffle, de ton souffle, léger, aérien. Ce n'est pas le fauteuil qui grince mais le parquet chuinte comme si sous les planches entre les lambourdes courait une tripotée de souriceaux ayant perdu leur chemin. 

L'impression de perdre son chemin est difficilement supportable. En premier lieu je vois bien le paysage de ma pensée, la carte mémoire qui se dessine, les sinuosités qui y mènent. Puis, je me tourne et il n'y a plus rien que le blanc des murs. Le blanc des mur ? ce n'est qu'une manière de dire car, blanc ils ne le sont pas, pas partout, mais je me sais incapable à  ce stade de nommer leurs différentes couleurs. Quelle vie dans ce lieu, dans cette pièce, dans cette maison, à la périphérie de cette ville-même avec dehors cette gare crasseuse qui est celle qui est utilisée pour, enfin, surtout partir. Très peu pour arriver, simplement arriver. Un passager du train pourrait remonter le boulevard, tourner à gauche, jusqu'à atteindre l'entresol, appeler l'ascenseur, monter au quatrième gauche et… je ne sais pas vous dire quelle porte emprunter. Elles sont toutes semblables du même gris jaunâtre sans caractère.

Recommençons. Toi, petite fille tu ne dis rien. Que pourrais-tu faire pour guider ma pensée vers l'hier. Tu ne t'es rendue compte de rien. Tu as tété, dans mes bras. J'ai dû te laisser un moment sur le rocking-chair pendant que je réchauffais quelque chose pour me sustenter, à peine pour me nourrir. Dormi dans mes bras, pleuré aussi mais je n'en suis pas sûre, ou bien c'était moi qui pleurais.

Reprenons du début. Mais où vais-je le situer. Ta naissance ? Le jour où il a tant plu que j'ai failli disparaitre, m'effacer comme une tache d'encre, lessivée. Ou bien le soir quand le téléphone n'a pas sonné avant que nous dormions, seulement plus tard dans le milieu de la nuit, de la nuit, cette nuit…Oui, je tiens quelque chose avec cette histoire de nuit. 

Je regarde le mur de droite et je comprends que cette tache blanche grande comme une fenêtre est le fantôme d'un miroir et que cet espace uniforme s'oppose aux stigmates de la vie, un trou de punaise, des coulures d'on ne sait quoi, gris, jaune, ocre, perlé, des détails, imperceptibles. Et l'interrupteur, quelle analyse supporterait-il si je me penchais sur sa vie clignotante, agitée. Je divague, qui peut décemment parler de la vie d'un interrupteur. J'examine comme on contourne. 

L'autre mur. Des lignes horizontales, parallèles, longues, mais longues comme pour y écrire une vie. Pâles, mais si pâles que je me demande que sont devenus les livres qui vivaient là, qu'est-il advenu des histoires écrites, des vies suggérées ? Et les planches ?

Du sol jusqu'au plafond ? Y avait-il une photo de nous dans un cadre minuscules ? Je devrais voir dans les cartons qui se sont amoncelés comme un rempart entre hier et maintenant. Je pourrais sûrement, moi qui ne suis plus sûre de rien, éclaircir ceci ou cela. Si je te pose, délicatement, entre les coussins du fauteuil. Voilà mon amour continue de dormir. Une petite impulsion qui longtemps te bercera pendant que j'interroge.

Le mur du fond, derrière nous, deux portes dont les entrebâillements se font face comme à s'épier d'ombre en ombre. Entre les deux, l'espace est plat et lisse comme une feuille blanche. Aucune marque, aucune nuance, du blanc pur face à la fenêtre unique qui a projeté mon ombre en son milieu. 

Le parquet couine un peu sous mes pieds nus. Une légère aspiration produite par la cire. Avant de marcher je n'avais pas senti son odeur mielleuse qui se mêle à celle de la peinture fraîche. C'est vrai, ce blanc-là est une peinture fraîche. Que la mémoire me revienne et les tâches réapparaitront. 

Les cartons. Sur la face arrière, sur chacun, à grands traits de feutre noir, des mots sont écrits. Des noms, des lieux, des contenus… 

Elise ici, Helène là, chambre, bibliothèque, entrée… 

Je suis l'une ou l'autre, forcément ! Je dois choisir, je le dois.

Tiens on sonne à la porte…

Ne te réveille pas je t'en supplie, dors encore un peu. Je pensais que nous venions d'arriver mais je maintenant je me souviens. Ils vont charger tout ces cartons dans leur camion et toi et moi allons partir. Enfin si je leur ouvre la porte, si tu veux je continue à retenir ma respiration et nous faisons semblant, encore un peu.


Signaler ce texte