Boire, déboires & paiement cash
anton-ar-kamm
Quand Landry se réveilla, le jour pointait déjà au travers des persiennes. La lumière tamisée illuminait la chambre de façon à lui laisser constater qu'il ne reconnaissait pas l'endroit où il se trouvait. Combien de temps avait-il dormi ? Cinq ou six heures peut être ? Assez en tout cas pour se souvenir que la soirée avait été bien arrosée en liquides alcoolisés de tout genre. Et il s'en était envoyé suffisamment entre le nez et le menton pour être sûr que le mal de crâne qui l'assaillait allait durer jusqu'au moins sa prochaine nuit complète de sommeil. Son estomac dansait un pogo endiablé. La position allongée n'avait duré que trop longtemps.
Il s'assit au bord du lit. Il suait beaucoup. Le monde autour de lui tournait aussi vite qu'un manège d'Eurodisney. Comme le lui avait appris son grand frère le jour de sa première cuite, il chercha un point fixe pour reprendre le contrôle – et surtout pour ne pas vomir ! -, et, chose qui lui parût étrange, son regard s'arrêta sur ce qu'il reconnu dans la semi-obscurité comme être un gros ours en peluche de fête foraine. Il cibla ce qui ressemblait au museau de la bête, respirant par le ventre. Le roulis se calma. L'habitude sans doute.
Tant bien que mal, Landry inspecta du regard les lieux, mais ses yeux semblaient se croiser en permanence, l'un voulant dire merde à l'autre et inversement. Ses neurones nageaient dans la semoule. Semoule qui, s'invitant partout où on ne l'attendait pas, encrassait les rouages qui liaient les neurones entre eux. Bref, un beau bordel qui ne se résoudrait que par un café bien fort.
Quoi qu'il en fût, il se heurtait à un mur dans sa tête quant à savoir où il avait pu atterrir.
Les formes de la chambre ne lui rappelaient rien et la texture des draps ainsi que leur odeur lui était inconnues. Chose certaine, la chambre n'appartenait pas à l'un de ses potes. Jamais l'un d'eux n'aurait eu un gros ours en peluche sur une commode mais plutôt une collection entière de bouteilles de bière étrangères. Et puis l'odeur des draps. Trop propre.
Landry s'apprêtait à rendre les armes face à tant d'obstacles pour se recoucher illico, quand il entendit un soupir derrière lui. S'élevant des profondeurs de la couette, le chaud souffle puissant d'un fauve résonnait. Le doute lui serra les tripes subitement et son estomac s'effondra dans son derrière.
Des éléments de sa folle nuit jaillirent alors dans son esprit, déchirèrent le brouillard éthylique dans lequel il pataugeait et claquèrent dans sa tête comme des flashs en pleine obscurité.
La sortie entre copains en boîte de nuit, du whisky-coca « en veux-tu ? en voilà ! », des râteaux successifs, et un trip étrange sur une vieille chanson disco. Et cette fille qui avait déliré avec lui sur cette même vieille chanson disco. Laquelle était-ce déjà cette chanson ?
Elle n'était pas très belle et plutôt ronde. Voir grosse. Ses potes lui avaient fait remarquer qu'elle portait de la moustache. Mais Landry lui avait payé plusieurs verres, songeant que, plus la fermeture de la boîte approchait, son cheptel de chasse s'amenuisait, et qu'il valait mieux assurer le coup, l'alcool lui rendant l'aspect de la fille plus doux et plus supportable. Et puis, à défaut de rentrer bredouille et de tirer un coup, il profiterait de son décolleté pigeonnant et de quelques galoches. Les grosses avaient au moins cela pour elles : des gros seins et un tourné de langue doux et gourmand. Comment c'est son prénom déjà ? Emilie ? Mélanie ? Sophie peut –être ? L'étendue des hypothèses lui provoquait mal à la tête.
Des bribes d'événements et de petits détails lui revenaient petit à petit. Ils avaient finalement pris un taxi. Mais comment l'ai-je commandé et payé ? Elle était montée la première dans le véhicule, assez maladroitement, se penchant en avant, son jean prenant le chemin inverse, et révélant la haute tenue d'un string orange CGT. Puis, entrant dans un immeuble – son immeuble ? -, lui tenant la porte –où est-ce la porte qui me tenait ? – il lui avait asséné une claque sur les fesses quelque peu virile et mal venue. Emilie, Mélanie ou Sophie n'avait pas apprécié et lui avait fait savoir. La dernière chose dont il se rappelait était qu'ils se jetèrent sur le lit et qu'il fit la rencontre du chat de la demoiselle – Croquette ou Roquette ? -. Mais avaient-ils baisé ? Là, il ne s'en souvenait pas. En tout cas, il était nu sous la couette.
La fille dormait encore à ses côtés, plongée jusqu'au nez sous les draps, la respiration tranquille et régulière, les cheveux étalés sur l'oreiller. Au moins, il ne voyait pas sa moustache et cela lui allait grandement. Après coup, il constata qu'elle était brune et non châtain comme son souvenir le laissait l'imaginer.
Landry aurait souhaité ne pas être dans ce lit, nu comme un ver, cette fille à ses côtés. Devoir attendre qu'elle se réveillât, pour l'embrasser puis partager un câlin complice ne l'enchantait pas, pas plus que de subir ces formes mal proportionnées et ce duvet sus-buccal qui l'obsédait. Mais le pire eût sans doute été de devoir expliquer à ses potes qu'en plus d'avoir passé la nuit avec cette bombe nucléaire, il avait patiemment attendu son réveil pour partager un instant de tendresse. Il allait prendre un abonnement pour un bon paquet de mois de chambrage en règle.
La retraite discrète hors des lignes ennemies, sans laisser de trace, paraissait alors la meilleure stratégie à adopter. Au pire, que risquait-il ? De la recroiser un jour ? Il ne la reconnaîtrait vraisemblablement pas. Elle non plus d'ailleurs. Et si d'aventure cela arrivait, il pourrait faire mine de ne jamais l'avoir vue.
Landry s'extirpa d'abord du lit si lentement que même une alarme du Musée du Louvre ne se serait pas déclenchée. Puis, à tâtons sur le sol, il rechercha ses vêtements qui, par bonne fortune, gisaient en totalité au pied du lit. Pour finir, il s'enfuit à pas de loup à travers la chambre, veillant à ne pas percuter le moindre objet qui trahirait sa fuite.
Il poussa la porte avec précaution et pénétra dans le séjour du studio d'Emilie, Mélanie ou Sophie. Le chat –Roquette ou Croquette ? – qui dormait en boule sur un canapé gris, vint se frotter à ses jambes.
Il jura. La sale bête miaula. Landry l'envoya valser sur le canapé et enfila son pantalon tant bien que mal. Il prit la direction de ce qui ressemblait à la porte d'entrée de l'appartement. Mais alors qu'il allait pousser la poignée, il s'arrêta net, et jura une nouvelle fois. Ses mains fouillèrent frénétiquement les poches de son pantalon.
- C'est ça que tu cherches ? fit soudainement une petite voix fatiguée venue de nulle part.
Tétanie musculaire. Nouveau juron étouffé.
Il se retourna, s'apprêtant à devoir affronter l'ennemi qui venait de le rattraper par le col. Emilie, Mélanie ou Sophie se tenait près de la porte de la chambre, couverte par un drap de la poitrine jusqu'aux genoux. Dans sa main droite, reposait le téléphone portable de Landry.
- Tu l'avais laissé sur la table de nuit, dit-elle sans animosité mais avec beaucoup de lassitude.
Il eût un sourire nerveux et gêné.
Sous son maquillage de la veille, les traits étaient tirés et les yeux cernés, mais un léger sourire atténuait le tout. Le drap la boudinait quelque peu et soulignait la rondeur de ses épaules. Elle n'avait pas de moustache – où est-ce qu'il avait pu en apercevoir une ? Et finalement, ses cheveux étaient bien châtain. Elle s'approcha de lui - et il put remarquer son regard bleu-, et lui tendit le téléphone. Elle ne chercha pas à l'embrasser ou à l'étreindre mais juste à lui donner son putain de téléphone. L'instant parut une éternité pour Landry, qui, prit les doigts dans la confiture, ne désirait rien de plus que de rétrécir et de se cacher dans le fond d'un trou, perclus de honte. Il ne pipa le moindre mot et se contenta de saisir le téléphone.
- Et ça aussi c'est à toi, ajouta-t-elle, tendant dans son autre main un billet de cinquante euros que Landry prit machinalement. C'était sympa, je me suis bien amusée.
Sa voix était un peu voilée.
Il voulait disparaître, partir en courant, mais il ne le pouvait pas. Un fauve lui faisait face et il n'attendait qu'un signe de tentative de fuite pour lui sauter à la gorge. Leurs yeux se croisèrent. Il était piégé. Elle n'avait plus qu'à l'achever par une remarque bien cinglante et la honte l'étoufferait à tout jamais.
Mais Emilie, Mélanie ou Sophie se détourna de lui, se dirigea vers sa cuisine puis prépara la cafetière.
- Au fait, je te rassure, reprit-elle toujours légèrement souriante, on a mis une capote et je prends la pilule.
Landry hocha de la tête, toujours interdit.
- Je suppose que tu n'as pas le temps de prendre un café ? Tu avais l'air pressé.
Il se sentit obligé de répondre.
- Ecoute, je suis...
- Claque bien la porte en partant, s'il te plaît, coupa-t-elle. Elle ferme mal.
Elle était charitable. Elle l'aidait à se foutre dehors lui-même.
- Eh bien, bonne continuation ! Peut-être qu'on se recroisera un de ces quatre, conclut-elle, accompagnant ses mots d'un petit signe de la main.
Landry se mit en marche arrière et se contenta d‘un « ok » bien timide, dont il n'était même pas sûr qu'elle l'avait entendu. Il sortit de l'appartement en prenant soin de bien claquer la porte. « Charlotte Lebon » indiquait l'étiquette sous la sonnerie.
Il prit l'ascenseur et quitta l'immeuble de Charlotte Lebon. Crevé et hagard, ses pieds le traînèrent jusqu'à une station de tramway à deux pas de là. Il s'assit dans la première rame. Ses doigts dansèrent dans sa poche et rencontrèrent le billet de cinquante euros. Il l'observa le petit papier chiffonné de couleur jaune orangé.
Il repensa à Charlotte enveloppée dans son drap. Il sourit. Dans quel état était-il cette nuit pour à peine la reconnaître ce matin ? Il se surprit à imaginer la revoir. Juste pour le fun.
Le billet se contorsionna entre ses phalanges. Puis il réfléchit avec ce qui lui restait de vivacité intellectuelle. Aussi loin qu'il pouvait aller, il n'avait jamais eu de sa vie un tel billet entre les mains.
Elle s'était bien amusée...
Ce sourire fatigué et satisfait... ni rancune ni colère. Juste une envie assouvie. La satisfaction d'un plaisir consommé.
Puis, il comprit. Le billet n'était pas à lui mais pour lui. Charlotte Lebon venait de le récompenser avec ce petit bout de papier.
Une nausée lui noua la gorge.
Durant toute la soirée d'hier, il n'avait été qu'une proie, alors qu'il pensait être le chasseur. Comme ce matin, lorsqu'elle l'avait surpris devant la porte à s'enfuir comme un voleur. Il pensait l'avoir raccompagné chez elle mais c'était elle qui l'avait serré dans ses griffes. Et elle l'avait relâché par pure bonté, lui facilitant sa fuite, sans donner d'explications.
Puis, elle l'avait récompensée pour bon service rendu.
Tout le trajet, il eut envie de vomir.
Rentré chez lui, Landry se doucha deux fois.
La deuxième fois, il n'était pas sale. Il ne se sentait juste pas très bien. Et non, ce n'était pas à cause de la gueule de bois.
Il avait juste honte.
J'adore ce texte! Pas seulement parce qu'il remet les hommes à leur place, mais on se représente tellement bien ces lieux, ces scènes de vie. Merci pour ce moment
· Il y a environ 10 ans ·camishka
Bam ! Dans la tronche !
· Il y a environ 10 ans ·Bien vu Charlotte !
Pas mal du tout, merci Lyse pour le partage.
wen
Je l'aime beaucoup ce texte oscillant comme son héros ...
· Il y a environ 10 ans ·L'humour me plaît, le style aussi (zavez vu ami Quimpérois, j'me la fais critique littéraire ! Chui comme ça, mais quand j'aime po, j'dis po et quand j'aime je dis et partage. Et là, coup de Chouchèn, j'aime !
lyselotte