bonheur conjugal

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femme fouillant dans l'armoire

Honfleur, aux premières lueurs du jour. Nicolas dormait, sa robuste poitrine se soulevait et descendait avec une cadence réglée comme une mécanique parfaitement huilée. Cécile observait son visage plongé dans un doux et profond sommeil, malgré une bonne quarantaine, les trait étaient toujours pleins, signe évident d’une jeunesse qui résistait au temps. Elle faisait attention à ne pas le réveiller. Cécile l’aimait, de ce lien qui rendait l’amour mystérieux. Son mariage avec Nicolas l’avait plongée dans la sérénité du bonheur conjugal, même si le temps, très lentement, avait atténué la passion des corps.

7h00, Nicolas s’apprêta, ouvrit la fenêtre, les volets demeurant toujours clos, puis il sortit de la chambre, jeta un regard triste vers le lit.

Dehors la brume commençait à s’estomper, donnant ainsi la possibilité aux rayons doux du printemps de revigorer la nature.

Cécile remua paresseusement son bras, elle hésita à ouvrir en grand ses yeux noirs. Elle rabattit les couvertures sur les bouts de ses pieds, laissant son corps s’acclimater à la température de la pièce. Une brise tiède tenta légèrement de réchauffer sa peau, mais le froid l’envahissait toujours plus, elle se recouvrit difficilement de l’épaisse couette en duvet d’oie.

Souvent le matin, une nostalgie la gagnait. Alors, elle pensait à Lucie. Lucie, sa seule confidente, son âme sœur. Elles avaient grandi ensemble comme des sœurs de lait. Son mariage avait délité peu à peu leur amitié et mis à mort leurs projets de voyage, de rencontres, de découvertes… le rêve d’une vie à deux. Cécile n’avait pas volontairement oublié leurs promesses mais elle avait rencontré Nicolas. Ses pensées lui échappèrent: « si tu savais, ma Lucie, combien le mariage peut être autre chose que cette prison du corps et l’esprit que tu t’imagines. Il est le plus merveilleux des voyages. Toi aussi un jour tu en visiteras toutes ses contrées et tu réaliseras que préférer la tendresse et l’amour de Nicolas au tien, n’est pas une trahison. »

Son départ avait laissé un vide dans son cœur, que Nicolas avait bien comblé. Elle était si heureuse avec lui ! Elle aimait ses larges épaules, ses longues jambes, son torse velu, son épaisse chevelure noire et ses yeux bruns.

18h30, Nicolas allait bientôt rentrer. Elle aurait dû s’occuper des préparatifs du repas, donner des consignes au personnel domestique, enlever cette chemise de nuit bleue au col orné d’un liseré de dentelle de Calais, la dernière qu’elle eut portée, dompter cette tignasse brune en une coiffure élégante. Mais toutes ces choses d’avant, elle ne pouvait plus les faire. Ses déplacements se limitaient au seul cadre de cette chambre. La plupart du temps, tout lui échappait, tout se dérobait. Hors du lit conjugal, Cécile n’existait plus. La pendule marqua 20 h, Nicolas n’était toujours pas là. Où pouvait-il être ? Ces derniers temps, le chagrin semblait moins l’accabler, il goûtait de nouveau à de simples plaisirs : un restaurant, une sortie au théâtre, une ballade au soleil…

Son chagrin ! Cécile était restée pour lui, présente dans l’intimité de leur chambre conjugale. Parfois une lumière venait réchauffer de son éclat lumineux, son corps glacé. Elle devrait la suivre, s’en aller. Mais depuis 4 ans le quotidien de sa vie conjugale l’avait happée corps et âme et Cécile adorait plus que tout, cette tranquillité rassurante que lui offrait Nicolas. Elle s’y accrochait avec force comme à la rambarde d’un navire chavirant.

20 h15, la pensée brève d’une autre femme déclencha une profonde angoisse. Un courant électrique secoua son corps de soubresaut et s’échappa de celui-ci en plusieurs faisceaux lumineux qui traversèrent la pièce de part et d’autre. Murs, sols et objets se mirent à trembler. La porte de l’armoire s’ouvrit. D’abord stupéfaite, Cécile réalisa le potentiel de cette énergie brute qui ne demandait qu’à être apprivoisée. Cécile le faisait rarement mais ce fut plus fort qu'elle, elle se glissa hors du lit, déambula comme un pantin désarticulé, son corps lui semblait lourd, elle ne l’appréhendait plus comme autrefois. Les lettres et billets d’amour étaient là, empaquetés d’un ruban en soie rose. Elle voulut serrer toutes ses déclarations contre son cœur, hélas ses mains traversèrent la pile. Penser, visualiser un mouvement, puis plier son corps à cette volonté, lui demandait une intense concentration. Le moindre geste nécessitait un nombre incalculable de répétitions et désormais toutes ces journées étaient vouées à la réussite d’une parfaite synchronisation entre sa tête et ses jambes. Elle essaya de nouveau, ses mains se referment sur le vide. Tant pis ! Cécile connaissait chaque mot des promesses éternelles de son amoureux, gage de sa fidélité et de son amour sécurisant.

23 h, elle sursauta, la lumière du couloir qui menait à leur chambre venait de s’allumer. Les pas l’arpentant étaient lourds. Elle revenait vers le lit quand Nicola tourna la poignée de la porte. Il alluma la petite lampe reposant sur le guéridon. L’odeur de sa Cécile était encore si vivace, un peu comme si son parfum s’interdisait de s’aventurer en dehors des murs de cette chambre. Le cigare à la bouche, il s’installa dans le fauteuil en face du lit. Les yeux fermaient, il la vit, éclatante, rayonnante. Cécile était étendue en travers du lit, souriante, les cuisses aguicheuses et de sa voix mutine, elle appelait ses mains.

6 mois…6 mois déjà que l’amour de sa vie l’avait abandonnée. Morte, soudainement dans son sommeil. Le matin,  elle  le réveillait toujours, Cécile ronronnait, baillait et finalement venait appuyer son corps chaud contre le sien. Ce contact sensuel était souvent les prémisses à des échanges physiques. Ce matin-là, c’était lui qui était venu à la rencontre de son corps froid. Il se leva et enleva ses vêtements, s’approcha du valet de nuit, il vit les lettres et resta un moment étonné. En quittant la chambre ce matin, sa mémoire photographique n’avait pas remarqué  la porte ouverte de l’armoire. En son absence, personne n’avait le droit d’entrer dans cette chambre. Le paquet en main, il hésita à dénouer le large ruban en soie. C’était un rituel amoureux entre eux, tous les matins il écrivait son amour à Cécile, puis dissimuler ses écrits dans l’armoire, sous les plis du linge de maison, dans les revues. Dès son départ, Cécile le cœur battant cherchait son billet doux. Nicolas apprenait à respirer sans elle, hors de cette chambre.

Il reposa le paquet. Il savait que le chagrin attendait patiemment la moindre occasion pour s’abattre à nouveau sur lui, comme une chape de plomb qui l’écraserait de tout son poids.

Il était tard, demain peut-être… Nicolas referma la porte. Cécile regarda l’homme de sa vie venir s’étendre près d’elle, elle vivait. Alors entrer dans la lumière, elle n’y pensait même pas. Hier soir, elle y était presque arrivée.

Nicola sursauta un baiser froid venait de frôler sa joue.

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