bonheur matinal
fable-barrabass
Les premières fois, il s'en était trouvé déstabilisé. Voilà bien des années qu'il n'avait pas été dans de telles situations. Il avait oublié comment réagir seul face des telles conditions. Quand on partage la vie commune, on prend vite le pli de faire appel à son conjoint. On se sent plus fort, ensemble, plus imaginatifs, on trouve de meilleures solutions quand on associe les savoir-faire, pour affronter les tracas du quotidien.
Alors au début, il s'était tourné vers le passé, avait plongé dans ses souvenirs, pour régler le problème avec les manières dont ils avaient usage. Mine de rien, après tant d'années, elle avait laissé sa trace, il retrouvait « sa patte », et se berçait avec ces doux souvenirs.
Il agit ainsi quelques temps, sans y songer, car après tout le problème apparaissait rarement. Cela semblait anecdotique. Surtout qu'il avait décidé de voir la vie autrement. Il avait longuement réfléchit à sa vie d'avant, d'avant avant même, et le résultat de cette introspection fut assez simple. Attention, qui dit simple ne veut pas dire simple à mettre en œuvre. De cela, il en avait conscience.
Dorénavant, il s'attellerait à croquer dans la vie à pleines dents. Oui, à sourire à la vie dès le matin. Se lever en faisant la gueule, quel intérêt y avait-il là-dedans? Il avait conclu qu'une grande partie de ses échecs provenaient de son état d'esprit. Et que cela faisait longtemps que les choses courraient.
Pour sourire le matin, il faut avoir l'esprit léger le soir au coucher. Voilà une première condition. Donc après sa journée de travail, il veillait scrupuleusement à éliminer toutes les causes de pollutions nocturnes. Un sommeil réparateur et apaisant est nécessaire pour détendre les zygomatiques et disposer d'une mine alerte le matin. Quand il arriva à ce résultat, il avait fait un grand pas en avant.
Il souriait plus facilement ! Le matin, au travail, ce fut avec une joie non-dissimulée qu'il retrouvait ses collègues. Dans la rue, s'en était déconcertant de voir avec quelle décontraction il abordait maintenant les femmes, ou comment qu'il dispensait toujours un bon mot pour atteindre les gens autour de lui de son syndrome. Il cherchait la contagion.
Tout ceci n'était que le prélude au changement intérieur, celui qui agit en profondeur. Le changement le plus radical, fut qu'il cessa de courir. Vouloir aller vite, c'est souvent passer à coté des choses simples. Et dans la vie, les choses simples n'ont que des problèmes simples nécessitant des solutions simples. S'en était presque arithmétique.
Cela il le comprit grâce à la synthèse faite de ses expériences passées. Pour une mise en cause personnelle qui porte ses fruits, il faut du temps, enfin se donner du temps. Prendre le temps. La course demande beaucoup d'énergie.
Il avait trouvé la deuxième condition nécessaire pour garder le sourire.
La suivante découlait de la précédente. Il lui fallut assumer les parts de sa personnalité qu'il avait si longtemps refoulées, ou simplement cachées aux autres par peur du rejet.
Il est courant de mettre derrière des barrières certains pans de personnalité quand on vit avec quelqu'un. On érige des murs hauts et opaques pour que personne ne puisse y accéder. Sans le savoir, pardon sans le vouloir vraiment, on entretient un mystère. Le mystère qui aiguise la curiosité.
Donc arrivé où il en était de son changement intérieur, il estima avoir beaucoup progressé. Pensez-donc ! Il était devenu charmant, pour ne pas dire charmeur, il avait le remède à la morosité ambiante qui empoisonnait l'existence, cultivait ses vices comme ses vertus, et instaurait le mystère consciemment et non-plus malgré lui. La liberté !
Mais ces changements , quelque part créaient des jalousies, des moqueries ou encore de la colère. Plus certainement des interrogations.
- Est-il rentré dans une secte ? se demandaient ses collègues goguenards.
- Joue-t-il un rôle pour dissimuler ses vrais sentiments ? s'inquiétaient ses amis.
- N'a-t-il plus aucun respect pour moi ? se plaignait son ex devant cette joie de vivre.
- Cela ne durera pas !
Voilà la conclusion à laquelle ils arrivèrent tous. Ceux-ci savaient-ils qu'en effet un état d'esprit ne demeure qu'un état d'esprit ? En tout cas ils firent étalage de leur expérience de la vie, et au final, ils eurent raison.
Car cultiver ses vices pour garder le sourire avait ses limites, et le nouveau pratiquant le découvrit par lui-même. Il avait érotisé son âme dans toutes les directions pour attiser ses multiples désirs. On peut dire qu'il avait testé l'épicurisme sous toutes ses formes.
Arts de la table, plaisir de faire, création d'un art de vivre, il avait élargi son champ des matières, explorer les dimensions de ses désirs en s'inscrivant dans une démarche cohérente de réalisation. Il ne cherchait plus à assouvir bêtement ses pulsions nées d'un désir provoqué par un facteur extérieur.
Comprenez-bien.
Devant une femme qui l'attisait ouvertement, il ne se contentait plus de lui sauter dessus. Non. Trop primaire. Il cultivait son désir à elle, pour l'emmener petit à petit vers ses désirs à lui.
Mais sur le long terme, il n'eut pas les résultats escomptés. Ne parlons pas des résultats désirés. Quelque chose enrayait la mécanique. Un grain de sable. Une poussière malvenue, inattendue. Un coup d'arrêt extérieur.
Il tomba le bleu de chauffe. Dut se mettre à nu. Nécessaire avant d'enfiler le bleu de travail. Il fit le tour des choses, tourna autour du problème, le retourna dans tous les sens. Il refit les choses à l'envers, stoppa en décidant de ne rien jeter sur l'instant. Ne pas toucher aux désirs, ni à leur mise en forme.
Le problème n'était pas l'aboutissement de ses désirs, mais comment ils apparaissaient aux yeux des autres. Maintenant qu'il faisait grise mine, c'étaient les visages alentours qui rayonnaient. Il ne sut comment y remédier sans se renier.
Et à nouveau cette érection matinale. Suivies d'autres. Inexplicables puisqu'il n'avait plus de désirs. N'ayant aucune solution, il laissa faire le temps. Il n'avait plus le sourire le matin, en échange il se retrouvait avec cette dure réalité de la vie. Un moment il projeta de replonger dans ses souvenirs pour y remédier. Et les meilleurs souvenirs semblaient vouloir s'imposer. Ceux qu'il avait avec Elle, quand le matin, dans la chaleur du duvet partagé, ils prolongeaient la grâce dont ils disposaient. Oui, la grâce. Ceux qui ne l'ont plus la regrette, ceux qui ne l'ont jamais connue la désirent ardemment. D'autres encore s'en méfient comme de la peste.
Un matin où il était encore nu sous son duvet, il hésita. Il était dans les meilleures dispositions, pour n'importe lequel des choix. Pour replonger dans le passé, ou pour enfiler son bleu de travail. Malgré lui, il dut sortir de son lit et remettre son choix, car à l'extérieur, la vie ne lui laissait pas le temps du choix. Il se leva, son pyjama pointant sur le devant. Il trouva ça drôle. Comme si la vie le faisait bander. Son problème se résolut ainsi. Car cela, personne ne le voyait.
Finalement, il avait retrouvé la banane...
Fab.le Barrabass
j'avais ce texte en réserve... je l'ai posté puisqu'il collait au thème d'un concours.. disons que c'était pour toucher des gens différents.. le partage, le mélange, quoi!
· Il y a plus de 12 ans ·fable-barrabass