Bonjour les oiseaux
bathilda
Lunettes noires sur le nez, je déambulais dans les ruelles, respirant l'air à plein poumons comme pour m'imprégner de l'ambiance qui régnait à Etretat. Simplement heureux, j'avais envie de capturer ce moment, de mémoriser chaque détail. La ville bruissait d'une animation particulière. Pas inaccoutumée pour un week-end de juillet ensoleillé, mais sensiblement différente que d'habitude. Autochtones, citadins en villégiature, motards en goguette et quelques touristes, pas de quoi surprendre un habitué des lieux tel que moi. Et pourtant certaines silhouettes aux looks pointus détonnaient apportant une touche décalée à la station balnéaire: garçons branchés, nonchalants, clopes au bec et lunettes en écailles blondes aux bras desquels étaient agrippées des jeunes filles en blouses légères, panama et bouches vermillon. Un vent chaud de modernité soufflait au pied des falaises.
L'affiche pastel du festival "Hello Birds" colorait les vitrines de nombreux commerçants. D'autres au contraire préféraient boycotter l'évènement, craignant que cette "rave-party drainant une faune d'énergumènes dégénérés" ne vienne troubler la quiétude de la baie cauchoise avec ce "bruit qu'ils prétendent qualifier de musique". Je m'amusais de voir avec quelle véhémence les plus grincheux - ou les plus mélomanes, selon le point de vue! - faisaient tout pour jouer les troubles-fêtes, sans succès.
Les groupes se succédaient sur la scène, installée sur le Perrey à quelques mètres de la mer scintillante. En arrière-plan, l'aiguille et les falaises de la Côte d'Albâtre brillaient d'une blancheur éclatante, presque aveuglante. Une foule joyeuse, hétéroclite et bon enfant se pressait: certains venaient de loin pour l'occasion, d'autres, des familles, des jeunes, des vieux, se trouvaient là un peu par hasard. Le son, magique, avait envahi l'espace acoustique, recouvrant le ressac et les cris des mouettes: ondes digitales, chromatiques, sonorités électriques, mélodies voluptueuses et envoutantes.
Le soleil commençait à décliner, teignant le ciel de rose. Je fis quelques pas jusqu'à la plage et m'assis sur les galets. Ils étaient doux et chauds. Adossé à une caïque échouée, j'allumais une cigarette et savourait l'instant, la musique, le soleil couchant.
Soudain, je l'aperçue en contre-jour. Sa capeline de paille dissimulait en partie son visage. Elle jeta sa tête en arrière, pour dégager sa vue. Son oeil était vissé au viseur de son réflex. "Clic, clac". Durant quelques secondes, nos regards se croisèrent. Je cru lire dans le sien une ardeur trahissant, je suppose (j'espère), un trouble comparable au mien.
Coupé dans mon élan par une sonnerie trop familière, je ne pus aller vers elle. Le temps de décrocher, la jolie inconnue s'était volatilisée. Envolée.
Viendra-t-elle l'an prochain? Je l'espère.