Bordel Poétique (contribution)

isk

3 textes pour entrer au Bordel, toujours mieux que le tapin dans le froid -fille de joie comme disait l'autre, mais la poésie ça tient mal au ventre les soirs de pluie...

TAINTED


Et l'Ennui brusquement m'a mordue à la nuque

À l'endroit même

Où tes ongles auraient pu s'enfoncer

Où tu m'aurais mordue

Toi

Tes doigts inquisiteurs

Marbrant de traits livides la peau de mes épaules

Tu n'étais pas l'Élu

Mais dans cette hystérie

Dans la brume éthylène et les vapeurs d'Orient

Aphrodite ivre morte a trébuché sur toi

Tu m'aurais fait plier

Me courbant devant toi

Brutalement

Tu m'aurais fait ramper

À genoux

Écartelée

La main emprisonnée dans mes cheveux défaits

Méduse offerte

Folle

M'arrachant vers l'arrière

Pour sentir plus profond cette chair défendue

Indéfendable

Et puis et puis

Le ronron du moteur et la voix familière

Ils sont gentils n'est-ce pas chérie

Ils sont gentils oui


Surtout lui


Et mon ventre me brûle où tes mains n'étaient pas


MATHÉMATIQUES BLEUES


Les nuits de juin trop douces pour être honnêtes

Le mathématicien

Dérive

Ivre

Dans les ruelles incohérentes du quartier des marins

Cherche l'inconnue

Dans les bordels de la ville basse

Je trouvais ça propre moi

Les mathématiques

Cette magie précise

Propre et oui presque

Romantique

Ne ris pas

Géométrie dans l'espace

Ce qui doit s'imbriquer s'imbrique

Tes courbes et mes tangentes

Je te dirai les formules pour t'emboîter sans qu'un souffle n'y glisse

Ne ris pas

Il étouffe d'un chagrin sans nom qu'il ne comprend pas bien

Prend Euclide à témoin

Il voudrait dire à la putain tu es mon Ixe

Dans les plis de tes hanches les fatigues de ton ventre usé

Mes équations se taisent enfin

Mon Ixe

Enfin résolue

Il sait qu'elle va rire

La tête enfouie entre ses seins trop lourds il voudrait raconter

Quand elle le traite de minable

Avec cette tendresse infinie des putains

Que le zéro est né une autre nuit de juin dans la chaleur d'un Orient révolu

Sous les étoiles mortes

Que c'est beau la naissance du zéro sous ses yeux qu'elle pourrait

Montrer un peu de respect

J'aurais dû faire autre chose

Ne ris pas

Les tables de mes lois à moi

Étaient immuables

Et je dormais serein sur leur marbre glacé

Mais si je te mords au sang le goût de fer

Le fer sur ma langue entre tes cuisses

Chimie

Et les battements fous de ce cœur imbécile que je sais encore compter

Mais son chant d'alarme et de désastre imminent

Peut-être

Que je ne déchiffre pas

Biologie

Et l'odeur de mouillé sur les pavés du port si seulement je savais

Le nom des pierres mouillées

Sous les ports

Géologie

Et si j'étais physicien je pourrais te dire

L'infini et les cordes

Pour jouer ou se pendre

Le visage de Dieu dans les nombres

Ne ris pas mes nombres à moi

Ils ne me disent rien

Ils sont là

Seulement

Muets aveugles

Et c'est tellement triste mon Ixe

J'aurais dû j'aurais pu

Soûl comme un rationaliste russe

Astronaute en armure à l'assaut du néant

Astronome au secret des abîmes

Je t'aurais donné les marées les pleines lunes les saisons

L'électricité

Et des chats dans des boîtes

Laborantin de foire

Savant fou échevelé dans la cave du bordel

Capturant les orages

Alchimiste devin

N'importe quoi

N'importe quoi

Ne ris pas j'aurais dû oui

Et puis plus bas juste pour lui

Le rouge au front de ses propres blasphèmes

Faire de la littérature…


ERRANCES


Errance

Nuit

Jetée au hasard

Ivre-folle

Ivre-floue

À trébucher sur les pavés

Et rire aussi

Enfin

Rire

Éthylène plein de fumée rire malsain rire de hyène à rebours quand rien n'est drôle

Mais quand même

Rire

Princesse

Il a dit

Princesse des rues

Princesse en jean échevelée

A cassé son talon

A saigné

Un peu

A vomi

À genoux sur l'asphalte

Toute la rage

A marmonné des choses stupides

Sur la rage

Qui a peut-être le goût du bourbon

Peut-être

A chassé l'ennui un instant

Princesse ne pleure pas

Il a dit

On n'y croit pas

De toute manière

En tenant ses cheveux

En essuyant son front

Ne pleure pas

Ça commence à se voir tu sais

Il a pris la lune à témoin

Et l'astre imbécile

S'est empressé d'éclairer

Les cernes noirs

Les plis amers

Et puis a détourné les yeux

Ça commence à se voir

Chienne de lune

Il a dit Princesse des rues je t'offre la nuit

Je t'offre toutes les nuits

Tu perdras tout

Il a réfléchi un peu il a dit

Redit

Tu perdras tout

Princesse

Sauf les nuits de désastre

Ivres-rouges

Ivres-fièvre

Sauf les hoquets à genoux

Sur l'asphalte

Et ce rire

Qui résonne

Qui se cogne contre tous les murs

Qui te fait mal

Entre deux spasmes

Pauvre Princesse il a dit

Pauvre Princesse des rues en guenilles tu perdras tout

Oui

Sauf les chansons à boire la nuit et les marins soûls et les rues de ta ville

Et la tendresse des éclopés

Mais Princesse

Que demander de plus?


Contraintes:


Elle est belle, ô mortels, comme un rêve de pierre... et c'est tout ce qui lui reste d'ailleurs, heureusement, des illusions elle en a plus alors c'est elle qui illusionne, une bouteille de rhum brun à la main pour pas ricaner trop fort sur ses talons trop haut, elle sera là, fera le show pour pas penser, soufflant les mots-paillettes avec la fumée bleue au visage des enfants béats, des barbons ravis, comme si elle y croyait encore.


©ISK

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