BRUXELLES MA BELLE

giuglietta

Bruxelles, ma belle...

Bruxelles. Ma belle, je te rejoins bientôt. Je

sais, il y a longtemps déjà que j'écris cette phrase, et

que je ne viens pas.

Au téléphone encore, samedi

dernier, j'ai dit : «Je te rejoins bientôt», et tu trouvas

que ma voix manquait cruellement de conviction.

Tu

n'as pas employé les mots "conviction" et

"cruellement", bien sûr, toi, tu évites les poncifs, en

fait, tu n'as rien répondu.

Ce que je fais ici, tu te le demandes pourtant,

même si moi, tu ne m'interroges jamais.

Jamais, moi, je

ne te dis que je t'en sais gré, de ton absence de

questions pressantes, de ta patience inespérée, de ton

incroyable gentillesse.

Et je ne mérite rien de tout ça.

Ce que je fais à Bruxelles, je ne le sais plus. Je

m'entête. À prouver quelque chose que j'ai perdu de

vue.

Le ciel gris, la beauté écrasante et lugubre de la

ville, s'accordent avec les chansons d'ici que j'écoute

inlassablement, masochiste.

Brel, Annegarn, leurs mots dans le temps

libéraient mon angoisse puisqu'ils chantaient ce que

décidément, moi je n'exprimais pas.

Désormais tout ça

m'étouffe, comme sous l'oreiller qu'un fou aurait

rempli de plomb. Plus lourd que de la plume...

Quand c'est vraiment le trop-plein, ces paroles

vomissant ma nausée, quand je risque de l'avaler,

ivrogne auto-asphyxié, je passe des airs de pianos.

Ça ne me vaut rien non plus.

Schumann me tue également.

Bruxelles. Deux heures plus tard.

Ma belle, je te rejoins bientôt. J'ai voulu jouer les solitaires,

les écrivains.

Libre, fier, aventurier. J'ai voulu l'exil, le

froid, le Nord, l'inconnu et puis me voilà bien !

Je n'avais rien à te prouver, tu ne demandes pas ça.

À moi-même, je voulais sans doute démontrer

quelque chose. Je ne suis pas plus avancé, si ce n'est

sur ma propre capacité à me ridiculiser. Je vais essayer

autre chose : me réveiller près de toi le matin, te quitter

pour écrire, ou du moins griffonner, te retrouver

encore, quêter ta bienveillance et guetter ton

approbation, suivre tes conseils et manger ta cuisine,

cirer tes meubles, te regarder vivre. Tâcher de vivre un

peu.

D'après... Bruxelles (Dick Annegarn)

Cette petite nouvelle est extraite de

TEXTES

(25 textes en hommage à la chanson

de

AVEC LA MER DU NORD à

Z'AVEZ PAS VU MIRZA)

Bruxelles, ma belle...Bruxelles. Ma belle, je te rejoins bientôt. Jesais, il y a longtemps déjà que j'écris cette phrase, etque je ne viens pas. Au téléphone encore, samedidernier, j'ai dit : «Je te rejoins bientôt», et tu trouvasque ma voix manquait cruellement de conviction. Tun'as pas employé les mots "conviction" et"cruellement", bien sûr, toi, tu évites les poncifs, enfait, tu n'as rien répondu.Ce que je fais ici, tu te le demandes pourtant,même si moi, tu ne m'interroges jamais. Jamais, moi, jene te dis que je t'en sais gré, de ton absence dequestions pressantes, de ta patience inespérée, de tonincroyable gentillesse. Et je ne mérite rien de tout ça.Ce que je fais à Bruxelles, je ne le sais plus. Jem'entête. À prouver quelque chose que j'ai perdu devue. Le ciel gris, la beauté écrasante et lugubre de laville, s'accordent avec les chansons d'ici que j'écouteinlassablement, masochiste.Brel, Annegarn, leurs mots dans le tempslibéraient mon angoisse puisqu'ils chantaient ce quedécidément, moi je n'exprimais pas. Désormais tout çam'étouffe, comme sous l'oreiller qu'un fou auraitrempli de plomb. Plus lourd que de la plume... Quandc'est vraiment le trop-plein, ces paroles vomissant manausée, quand je risque de l'avaler, ivrogne auto-5asphyxié, je passe des airs de pianos. Ça ne me vautrien non plus. Schumann me tue également.Bruxelles. Deux heures plus tard. Ma belle, jete rejoins bientôt. J'ai voulu jouer les solitaires, lesécrivains. Libre, fier, aventurier. J'ai voulu l'exil, lefroid, le Nord, l'inconnu et puis me voilà bien ! Jen'avais rien à te prouver, tu ne demandes pas ça.À moi-même, je voulais sans doute démontrerquelque chose. Je ne suis pas plus avancé, si ce n'estsur ma propre capacité à me ridiculiser. Je vais essayerautre chose : me réveiller près de toi le matin, te quitterpour écrire, ou du moins griffonner, te retrouverencore, quêter ta bienveillance et guetter tonapprobation, suivre tes conseils et manger ta cuisine,cirer tes meubles, te regarder vivre. Tâcher de vivre unpeu.Bruxelles (Dick Annegarn)


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