Caleb
Greg Soros
1
Mady m’évitait un peu.
Elle m’évitait d’ailleurs complètement à vrai dire. Depuis deux mois je trainais inlassablement dans les endroits où j’espérais la trouver, mais elle avait certainement changé ses habitudes (elle n’avait par ailleurs aucune obligation, ce qui devait faciliter ses nouveaux trajets).
Je m’étais invité à une soirée chez des gens que je ne connaissais pas pour la revoir. Ce n’est pas ma façon de procéder. Mais c’est ainsi qu’on agit lorsqu’on est un homme je me disais : on entreprend le destin et on force la porte – avec tact et délicatesse autant que possible.
Je me préparais à des retrouvailles difficiles et douloureuses, j’éprouvais par avance à la fois son mépris et son absence totale de scrupule à mon égard.
Aussi en l’attendant je m’exerçais à des œillades téméraires et ignorées depuis le bout de la pièce, à des tentatives vaines et irrésolues, à des approches à la fois audacieuses et distanciées, à des discours en suspens - elle qui tournerait la tête ou qui refuserait tout simplement de me voir.
Je m’étais même dit qu’elle ne serait sûrement pas là, et c’est un peu ce qui m’avait donné le courage de venir pour finir. Je ne connaissais personne. Je me rendais utile : je me donnais une certaine contenance en pilant la glace pour les cocktails.
2
Rien ne s’est passé comme prévu.
Je ne voulais pas avoir l’air triste ni même inquiet, je ne voulais pas donner l’impression d’attendre quelque chose, mais je réalisais soudain que je n’avais rien à faire là. C’était ridicule. J’imagine qu’elle a du trouver ça précisément charmant.
Elle tardait. Je m’apprêtais à partir, le plus discrètement possible. J’hésitais à saluer personnellement tous ces inconnus qui m’avaient toléré muet, sourcil froncé et silencieux toute la soirée – le protocole que je m’autorise ici est strict sur les formes mais ce que je voulais avant tout c’était disparaitre.
Je retenais ma respiration tandis que j’approchais de la porte de sortie - plus que quelques mètres - et paradoxalement plus la situation semblait se résoudre plus la tension accumulée devenait insupportable, comme si tout ne serait véritablement oublié que lorsque j’aurais littéralement disparu. A ce point là, il fallait faire vite.
3
J’avais mis mon manteau. J’ouvrais la porte : Mady était là.
Elle était en retard. Elle portait sa robe rouge, et ses bas à rayures. Elle s’est approchée de moi visiblement heureuse de me revoir – et cela tout de suite, je ne l’expliquais pas.
Elle ne semblait pas surprise, ou pas tant que moi, et elle m’a embrassé sur les deux joues, puis elle a déposé un bref baiser furtif sur mes lèvres comme une signature (personne n’a relevé, je n’étais pas sûr de ne pas avoir rêvé, ou, restant interdit, de ne pas être en train d’imiter quelqu’un sans le savoir - mon ventre se nouait et se dénouait plusieurs fois par seconde, et j’ai bien cru m’évanouir).
Je me souviens après que Mady m’a pris par le bras et puis elle m’a entrainé dans la salle de bain. On s’est retrouvé tous les deux à l’intérieur à se tenir par les mains, comme ça, c’était beau, le temps suspendu et les serviettes humides tout autour, puis quelqu’un a frappé à la porte et on est sorti piqués et rouges comme des adolescents.
Dehors on nous attendait avec des sourires en coin et des bouts de phrase que je n’écoutais pas. Nous étions réconciliés, mais j’ignorais les raisons de ce subit revirement. Je m’en accommodais (on nourrit bien son chien après l’avoir battu…).
4
J’étais heureux, autant qu’on peut l’être je crois, l’espace de quelques secondes. Puis maintenant que j’avais retrouvé Mady, il fallait passer à autre chose. Je décidais d’oublier tous les affres du tourment de l’amour éconduit, et de tirer un trait sur ces sentiments puissants qui m’avaient accompagné lors de longues promenades solitaires les nuits où je ne pouvais plus trouver le sommeil.
C’est un état satisfaisant pour lui seul, et désormais il fallait vivre à nouveau, un peu effrayé. Laisser là le confort duveteux de sa mélancolie, se risquer encore et tout recommencer.
Une fatigue étrange et bienheureuse se glissait dans ma peau, un état léger et libéré, un peu niais, l’esprit saturé et rendu inepte par la beauté simple de ces retrouvailles, ou par la brusque chute d’hormones anxiogènes autorisée par la satiété, après des mois d’hypersécrétion autoalimentée, les glandes surrénales essorées de toute l’adrénaline circulante, et je flottais entre deux concordances de temps : celui que j’étais plus tôt et qui s’était imaginé ce qui allait se passer, et celui qu’actuellement Mady tenait par la main, à ressentir les plus subtiles variations de mouvement, un état d’apesanteur et de ralenti, à m’élancer d’une paroi à l’autre de la station orbitale imaginaire, le vertige et toutes les différences du passé au présent, sans oser encore penser à l’avenir.
5
Quelques mois plus tôt, nous nous étions rencontré pour la première fois lors d’une projection privée dans une galerie d’art, un local mal éclairé en plein cœur d’un quartier épouvantable, si l’on voulait être précis. Il passait pour l’occasion un film long et sans parole sur un fan absolu de Vincent Gallo qui décide par une après midi pluvieuse de traverser la Manche pour aller admire son idole lors d’un concert à Londres – bien sûr notre héros ne verra pas l’apparition du chanteur/comédien, il se fera éjecter de la salle avant la première note, il perdra ses bagages et son argent, décidera de déchirer son passeport, de le brûler puis de disperser les cendres du haut d’une falaise en gré, et il tombera amoureux pour finir d’une admiratrice transie de Billy Idol dans des circonstances soporifiques et donc difficiles à élucider.
Sur les murs on distinguait mal dans l’obscurité des photographies hideusement travaillées de femmes aux yeux outrageusement maquillés, déguisées en clown triste et qui se faisaient face les bras sur les épaules sous des ampoules lumineuses rouges.
6
Mady était assise juste devant moi, par terre en amazone. Sa robe en tutu reposée sur ses jambes dessinait autour d’elle une corolle comme une fleur posée là.
Au bout d’une demi-heure dans cette position, elle a commencé à avoir mal au dos.
Elle s’est appuyée contre moi derrière elle comme si j’étais un meuble, sans un mot, sans une explication, sans prendre la peine de me demander quoi que ce soit ni de me prévenir.
C’était si naturel et spontanée que je n’osais rien dire.
J’avais vécu toute ma vie jusque là sans le contact de ce corps mais je ne m’en souvenais plus. Son attitude immobile, tout près, tout contre moi, mes mains qui voulaient passer dans ses cheveux, ses épaules qu’il me brûlait de goûter : j’avais l’impression d’avoir déjà vécu cette scène là, et qu’elle se répétait sans cesse dans mon esprit en prenant toute son ampleur, le dos contre les genoux et le contact exact au point décomposé - grossir la perspective et multiplier les angles de vue - comme une situation familière ou un souvenir enfoui qui resurgit, un secret au fond de moi que je me remémorais pour la première fois, satisfait, sans en comprendre encore le sens.
7
Les minutes passaient. Je ne regardais plus l’écran, j’essayais de sentir ce parfum si particulier que je mettrais tant de temps à élucider.
Cette proximité de situation créait tout de suite une intimité particulière – je notais mentalement tous les détails pour me remémorer la scène au cas où plus rien de si concret ne se passerait plus jamais dans ma vie.
Je priais aussi silencieusement pour que chaque atome de son corps ressente la même chose que les miens (une sorte d’échange autonome et concret qui faciliterait nos approches).
A côté de nous, un garçon aux cheveux noirs et longs, épais, bouclés, passait sa main sous la jupe d’une jeune femme blonde déguisée en indienne (à genoux et avec une plume sur la tête comme coiffe). Un couple enlacé s’embrassait à pleine bouche debout non loin du bar.
J’avais l’impression d’attendre là silencieux et interdit au milieu d’un théâtre érotique. Je ressentais toute la force inquiétante d’une sorte de repos qui précèderait inévitablement l’action.
Je respirais un peu fort et lentement pour contenir un début d’érection.
8
Dans ces cas là, il faut laisser aller son esprit et ne pas tenter de retenir ses pensées, je me disais.
Mais tout au contraire, je me concentrais les paupières fermées pour tenter de contenir une situation qui pourrait être embarrassante.
Le pli de mon jean entre mes cuisses commençait à me serrer, et la striction un peu soutenue ne faisait qu’amplifier la curiosité d’un état qui s’affirmait : je cherchais à regagner du confort et à oublier quand tout me serrait et m’obligeait, l’esprit obnubilé et fixé sur le poids qui réclamait toute mon attention.
J’avais les jambes repliées l’une sur l’autre non sans effort, la circulation du sang partiellement abolie au bout des orteils à droite, l’artère comprimée par le poids de la cuisse gauche juste au dessous du genoux, et le poids vigoureux qui m’enserrait depuis l’intérieur comme on l’aura compris m’obligeait à chercher une nouvelle position (cet équilibre prolongé mais inconfortable ne tenait que par Mady, qui avait trouvé là un appuie tête formé par la ligne de regroupement des deux flexions).
9
D’un seul élan circulaire, mais lentement, je dégageais ma jambe gauche et m’apprêtais à revers à effectuer une large manœuvre au dessus des épaules de Mady, de ses cheveux, tandis que la légère translation latérale de la jambe droite était censée proposer un appui de substitution pour toute la surface que nous partagions.
Je soulevais la cuisse, la posture maintenue par une solide contraction de la sangle abdominale. Tout l’axe de mon corps supportait la rotation demi circulaire depuis la hanche, les fesses un peu tassées bien plantées dans le coussin sur la chaise en bois.
A l’horloge posturale j’indiquais quatre heures, la jambe gauche des minutes maintenue verticalement et raide au dessus de Mady, doucement, avec attention, et soutenue par les deux mains.
Le buste peu habitué à ce genre d’auto manipulation penché en avant pour compenser le poids d’un membre en manque d’agilité, la posture se prolongeait au-delà de toute attente car il fallait opérer avec minutie, sans troubler le charme des dispositions précédentes, et dégager la prise interne qui m’empoignait au centre, réorientant centimètre après centimètre le corps de Mady sans avoir l’air de commander, vers une solution de remplacement satisfaisante, la face tibiale antérieure de la jambe droite présentée pour toute son accommodation vers une nouvelle géométrie concrète et dans le soin tout particulier apporté à l’élaboration de ces nouveaux rapports, la jambe gauche en l’air était maintenue longtemps au dessus du vide.
Un peu troublé et épuisé par ces manipulations, au comble de l’attention exacerbée, je plissais les paupières, m’extrayant de tout ce qui m’entourait pour ne plus faire cas que du problème complexe que je me proposais de résoudre dans sa phase descendante maintenant, la pointe de la langue de côté affleurant à la commissure entre les lèvres.
10
Soudain on rallumait la lumière : le film avait du se terminer.
Je restais quelques infimes instants – pas plus d’une seconde - saisi dans le mouvement, interdit et dépité, mais il me fallait en finir.
Le mouvement de balancier inverse redescendait la jambe du côté gauche, toujours tenue avec force par les deux mains rejointes au dessous de l’insertion ligamentaire de la cuisse, et la jambe droite cette fois ci voulait exercer une force délicate de poussée vers la droite.
11
Lentement, imperceptiblement, Mady se dégageait de la formulation complexe de nos deux corps, qui ne tenait que par enchantement.
L’équilibre s’était déplacé, alors que c’était cet équilibre même qui faisait débat.
Le mouvement de la jambe droite était trop fort et trop long, le poids de la jambe gauche finissait sa course, le buste en avant se redressait, la rotation s’achevait brusquement et les mains relâchaient leur prise, retombant sans plus de force entre les jambes, et comme par un effet mécanique de compensation, les doigts s’emmêlaient dans les cheveux de Mady.
Puis en essayant encore de s’en échapper, tremblants, noués, ils attiraient entre mes jambes écartées le dos de son crâne, et avant qu’elle ne se rende compte du désagrément, la maintenaient serrée contre le pantalon avec la vivacité et l’ardeur de toutes les forces physiques convoquées pour le grand final (la langue entre les dents saignait un peu, je m’étais certainement mordu par dépit anticipatoire dans la conclusion de la séquence).
12
Nous restions silencieux, étonnés. On n’est jamais vraiment préparé à vivre ce genre de situation.
Les secondes passaient comme des heures. La raison pour laquelle j’avais manifesté mon désengagement positionnel s’était épaissie et avait durci.
Tout contre la nuque de Mady, sur cette mer calme alors, un mât s’était dressé, qu’elle ne pouvait ignorer.
Mady lentement s’est retournée et a levé les yeux vers moi. Il y avait au fond de ses pupilles une étincelle inquiétante que je ne comprenais pas mais qui me serrait le ventre.
Mady m’a souri, un petit frémissement timide et charmant du bout des lèvres, un peu retenu, pudique, et qui découvrait à peine ses dents. La tournure des évènements avait quelque chose de concret qui rendait les choses évidentes. Tout ceci était un immense malentendu, mais qui ne me desservait pas.
13
Mady était mi américaine mi canadienne, elle ne parlait pas le français bien qu’elle vécut à Paris depuis plus longtemps que moi – je quittais quant à moi la province fort tard où j’avais mené jusque là une vie de métronome.
Dès le premier regard je crois pouvoir dire rétrospectivement que j’ai su ce qui m’attendait. Ses yeux perçants, son visage angélique, ses allures de déesse, sa sensualité chaude et vulgaire, ses manières de petit démon, avaient fait jaillir quelque chose en moi qui était en sommeil, mais quelque chose qui ne voulait pas mourir, quelque chose de si incurablement violent qu’il aurait eu à voir avec la prime enfance peut être, aux rapports pulsionnels et fantasmatiques que j’aurais voulu entretenir avec ma mère – quels qu’ils soient d’ailleurs là n’est pas le sujet.
Pourtant je pouvais déjà sentir, et certainement n’importe quel observateur qui se serait intéressé à mon cas en aurait fait de même, que ce mystère une fois dressé et mis sur pied serait incontrôlable. C’était exactement là ce que je cherchais, c’est une hypothèse solide que j’ai établi depuis.
14
Mady vivait de tout et de rien. Elle ne se souciait pas du lendemain.
C’était une artiste volage, comédienne et chanteuse, mannequin, adolescente mentale, danseuse aussi, réalisatrice indépendante et sans budget pour de petits courts métrages mettant en scène des danseurs contemporains persuadés de leur importance, et utilisant chaque élément de la rue pour rechorégraphier le monde.
J’ai toujours aimé ce genre de fille, même si je sais qu’elles ne sont pas faites pour moi.
Elle avait un tatouage en forme de rose à tige longue sur le dos de la jambe gauche qui s’étendait depuis la cheville, aux épines apparentes, et qui s’épanouissait sur l’envers de la cuisse (sur le biceps gauche, là où la peau est tendre, face interne, je portais déjà quant à moi la trace d’une jeunesse que j’avais fait marquer au fer pour une autre raison en lettres gothiques : There will be blood, une sorte de goût commun pour le rouge donc).
Elle faisait la garde d’enfants pour payer son loyer, elle donnait des cours de danse, et quelquefois, elle me l’avoua bien vite, il lui arrivait d’accompagner des hommes au physique difficile dans des soirées libérées où elle allouait son corps contre rémunération (c’était bien une hôtesse comme j’en eu la confirmation par la suite).
Comment dire : j’aurais du trouver ça déplacé. Je me figurais au contraire que c’était excitant.
15
Après la première nuit dans l’enchainement des choses, je la retrouvais chez elle le plus souvent possible en prétextant un rendez vous urgent, ou une réunion qui n’en finissait pas.
Elle habitait une chambre de bonne sous les toits, assez rustique. Les toilettes sur le pallier étaient en construction. Il fallait alors descendre six étages en courant pour se soulager, en face des Archives Nationales.
De fait, elle prenait sa douche dans les bains publics avec les SDF. Elle ne se lavait que rarement d’ailleurs, et il flottait autour d’elle ce parfum si particulier que j’ai eu beaucoup de mal à identifier, un avant goût de scandale bien sûr, mais aussi tout ce que pourrait produire un corps dans certaines situations - une odeur âcre et sirupeuse, du lait de bain sur une peau usée par la nuit, une fragrance de sous vêtement dans lesquels on aurait transpiré à deux, une impression à la fois de sac plastique et de fin de couloir par une chaleur insoutenable.
J’arrivais habituellement chez elle un peu essoufflé d’avoir à gravir les marches en courant (le désir).
Je la déshabillais devant le grand miroir posé par terre. Pour une raison que je n’explique toujours pas j’ai toujours trouvé que son image réfléchie était encore plus jolie qu’elle.
16
Mady avait la peau blanche et douce, un peu moite et odorante. Je me contentais longtemps de la regarder nue sur le lit, puis je m’approchais enfin (au bout de quelques semaines). Particularités : elle aimait particulièrement qu’on lui mordille le bout des seins, puis qu’on les lèche doucement - de petites cercles autour de l’aréole pigmentée et brune, des caresses du bout de la langue sur les pointes - enfin qu’ils lui soient tétés et pris à pleine main (alors s’en échappait au comble du plaisir un liquide laiteux et sucré, un peu âpre, qui commençait par perler doucement avant de fournir quelques centilitres qu’on pouvait reproduire).
Lorsqu’elle avait pris son plaisir, elle se mettait à frissonner puis elle me repoussait et refermait ses jambes : elle ne croyait pas à l’orgasme multiple, mais elle voudrait bien me satisfaire par tous les moyens qu’elle trouverait, reconnaissante, apaisée et tendre.
Une fois, dans le délire des corps, j’ai cru aller si loin en elle qu’une poche interne se serait rompue, et je sentais s’écouler sur mes cuisses un liquide chaud, collant et abondant : elle urinait. Je ne rentrais chez moi qu’après la piscine, où mes apparitions depuis quelques semaines s’étaient espacées - mais ce soir là je trouvais importun de faire quelques longueurs pour me rincer en même temps le corps que l’esprit (les vertus du sport).
17
Je retrouvais Mady tous les jours. Après quelques semaines à ce rythme, nous avions nos habitudes.
Elle me préparait parfois à manger à midi, et si c’était possible, je repassais la voir le soir. Par contre, nous ne dormions pas ensemble. Je rentrais chez moi épuisé et parfaitement calme, je me demandais combien de temps cette histoire pourrait durer.
Je ne vivais pas seul – j’étais installé avec Sonia depuis trois ans, un petit appartement bourgeois et confortable à prix raisonnable.
Le propriétaire était un juge d’instruction procédurier qui menaçait de nous mettre dehors à la moindre réclamation en agitant le bail qu’il avait toujours dans sa poche; il nous impressionnait (nous étions un couple assez effacé).
Je connaissais Sonia depuis le lycée : nous n’étions jamais dans la même classe, nous n’avions pas de connaissance en commun, j’étais trop timide pour l’aborder et elle était trop occupée pour se rendre compte que je la regardais.
Je n’avais pas d’ami à l’époque, j’étais un adolescent anxieux et solitaire.
Je cherchais à me donner des airs romantiques en décoiffant mes cheveux ou en marchant sur mes jeans, et je passais beaucoup de temps à m’insurger par principe.
Je n’avais aucune expérience du sexe, et à peine une vague idée de ce qu’était réellement une femme (si on peut jamais le savoir) : c’était une période difficile.
La façon dont nous nous sommes rencontrés est une illustration parfaite des forces invisibles en présence qui encouragent l’entropie maximale : les évènements les moins prévisibles seront ceux qui perturberont le plus le système, et, rompant avec une certaine structure théorique de continuité au-delà d’un délai dont les variations inhérentes sont définies par le repère considéré, ils auront le plus de chance de se réaliser.
La nature favorise l’aléatoire.
L’accident qui survient est une matérialisation des grandes lois du cosmos : il éparpille les débris de l’ancien système et en propose alors un nouveau qui se propage jusqu’au prochain accident. De petits sauts de puce inattendus et ininterrompus que nous ne comprenons pas, et qui ne nous demandent pas notre avis.
En clair, il était tout à fait improbable que Sonia et moi nous aimions, et c’est sans doute pour cela que c’est arrivé (je n’ai pas d’autre explication).
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Sonia traversait maintenant une mauvaise passe.
Après avoir perdu son travail dans une entreprise de recrutement pour faute professionnelle, elle s’était convaincu qu’elle n’était plus bonne à rien, et elle passait ses longues après midi seule, à rêvasser, à prendre des notes et à écrire, ou plutôt à chercher un sujet sur lequel écrire, comme tout le monde finalement à Paris.
Nous avions convenu que cette situation ne serait pas interminable, mais qu’il lui faudrait quelques temps pour faire le point.
Sans oser lui poser la question, je me demandais tout de même quelle faute professionnelle si grave on pouvait bien commettre dans un cabinet de recrutement pour en être licenciée.
Quand je l’écoutais me raconter le vide insubstantiel de ses journées, je pensais à des arcs de corps tendus et prêts à exploser dans une chambre exigüe, mais cela bien entendu elle ne le savait pas.
Je faisais preuve de délicatesse, je ne voulais pas la blesser. Je voulais la protéger. Je lui mentais.
19
La nuit je m’endormais près de Sonia et je rêvais de Mady.
Quelque chose cheminait en moi, malgré moi. Je m’accommodais jusque là sans inconfort de la situation.
J’étais un lâche aux circonstances extraordinaires.
Mais malgré ces deux femmes qui me partageaient en fragments qui ne se rejoignaient pas, je me sentais seul, et cette solitude me pesait.
J’étais le spectateur de mes propres agissements, étonné, et parfois ravi aussi, s’il fallait avouer.
D’une certaine façon j’avais aussi l’impression de comploter en secret toute cette affaire contre moi, et je redoutais, en tremblant, la fin de cet âge doré qui verrait tout s’effacer.
J’éprouvais aussi une joie un peu perverse à l’idée que j’étais le jouet de mes émotions, de forces supérieures que je n’imaginais pas, ou bien d’éléments déchainés, et tout étonné d’en être arrivé là presque sans lutter, je trouvais enfin un sens à ma vie.
20
Mady ne me demandait rien, et je commençais à trouver ça curieux.
De mon côté je me tenais informé de ses allées et venues, et je lui posais des questions qui en surface et pour un esprit aussi simple que le sien avaient l’air innocentes.
Je voulais lui donner toute sa liberté mais je souffrais de ne pas la posséder toute entière.
Elle avait rompu avec sa vie d’accompagnatrice et ses activités d’hôtesse - du moins c’était ce qu’elle me disait. Qu’attendait-elle de moi désormais? Rien elle disait.
Je ne comprenais pas.
21
Un soir, Sonia a fait le premier pas.
Mon attitude devenait de plus en plus étrange.
Je n’osais plus la regarder en face. Je ne rentrais plus que pour prendre une douche et aller vite me coucher, sans un mot, sans un regard, prétextant lui laisser tout l’espace et le confort nécessaire à sa propre réhabilitation.
Elle n’y tenait plus. Nous devions parler.
Nous nous sommes assis sur les chaises en plastique autour de la table en verre fendue sur le côté (j’avais glissé de tout mon long un soir dans le noir et j’avais cogné le front tout prêt de l’arrête, le verre n’était pas plus épais que mon crâne).
Je me suis approché en la regardant fixement, un peu absent, en cherchant déjà une excuse ou une façon de m’en sortir à bon compte.
Je n’avais pas la conscience tranquille, mais je m’appliquais à respirer lentement pour ralentir mon rythme cardiaque et rester maître de mes émotions.
Je feignais le détachement, quitte à lui faire répéter plusieurs fois chacun de ses mots, ou en les articulant après elle comme pour la corriger en leur donnant un sens véritable par mes inonations, de manière bien sûr à me donner le temps nécessaire pour élaborer une réponse à bon compte.
J’ai mis ses mains dans les miennes, tendrement, très doucement.
Je t’écoute lui ai-je dit.
Je te quitte m’a-t’elle dit, ce sont ses termes exacts, ce à quoi j’ai répondu mais tu ne peux pas faire ça ! pourquoi ? – incompréhensiblement, je pensais en réalité très bien d’accord !
22
Elle me dit tout d’un trait : elle voulait refaire sa vie, elle avait rencontré quelqu’un, elle n’avait pas le courage moral de me mentir – j’encaissais impassible et je l’espérais sans tressaillir, en pensant, pour me consoler de ce que je n’avais pas prévu, que c’était le genre de situation charnière qui décide de la vie d’un personnage dans les romans.
Elle avait fait une fausse couche.
Une quoi ? Une fausse couche, ne t’emballe pas elle a dit, ce n’était pas toi le père.
Je ne savais pas pourquoi mais je ne me sentais pas bien. Aurais-je du me sentir soulagé ? J’avais été aveugle.
Elle partait vivre avec Tom Bradford. C’était lui le père du fœtus – et accessoirement il se trouve que ce bon Tom était son ancien patron, et qu’il avait quitté sa femme et ses enfants pour elle (ce qui définissait bien une faute professionnelle).
Je ne peux pas faire autrement. Je ne peux pas revenir en arrière. Très bien pensais-je. Je me dis aussi qu’il fallait aller de l’avant, et je voulais lui demander ce qu’elle comptait faire, mais c’était trop tard, le temps d’ouvrir la bouche elle n’était déjà plus là (et il faisait nuit).
23
Je restais prostré, immobile, concentré, le temps de faire le point.
Je faisais semblant de justifier mes infidélités à rebours – il y avait une raison qui pouvait tout expliquer, fût elle alors et jusque là inconnue de moi, mais l’esprit se construit des stratagèmes, et une preuve qu’on retrouve plus tard sur les lieux du crime peut toujours accuser.
Une certaine douleur morale perverse me faisait regretter pourtant non pas ce que nous avions vécu, mais tout ce que nous aurions pu vivre, une sorte de futur éventuel qui s’effaçait et que nous ne connaîtrions jamais.
Toute une vie à deux, nos enfants, nos amis futurs, et toute une généalogie fictive s’organisait pour disparaître sous mes yeux, tout à coup.
Toutes ces choses auxquelles je n’avais jamais pensé et sans lesquelles je ne saurais plus faire pour vivre, des cendres dispersées entre les doigts au vent et qui me manquaient déjà de façon inattendue comme si elles étaient la réponse à toutes les questions qui ne s’étaient pas présentées, mais que j’aurais tout de même été toujours susceptible de me poser.
Je me consolais enfin en pensant à Mady, puis j’allais me coucher satisfait, un peu forcé, de cette nouvelle vie qui commençait. J’étais naïf.
24
L’usage d’une langue détermine des mécanismes de pensée et des attitudes.
Par exemple, il est difficile d’être drôle, subtile ou même intelligent dans une langue qu’on ne maitrise pas.
A l’inverse, parler dans sa propre langue natale confère un certain type d’identité taillée dans le marbre, qui ne dérogera pas, et le discours n’est plus qu’une variation de cette voix par son mécanisme propre, déjà établi.
Entre les deux, une langue acquise est une langue neuve, et tout ce qui se dit semble ludique, inédit, de la plus haute importance et séduisant.
Je me faisais la réflexion car avec Mady je ne parlais que l’américain - lorsque j’en étais fatigué je demandais à être encouragé avec un verre d’alcool - et ce que je devenais dans ce nouveau langage qui me déterminait était à la fois ce que j’étais mais aussi en même temps et pour la même part un tout autre que moi.
J’avais dans le crâne des phrases toutes faites de séries télévisées ou de films en VO sous titrés qui pouvaient sonner correctement en situation, des paroles de chanson apprises par cœur qui répondaient toutes seules et à ma place par un arc reflexe linguistique, aussi un vocabulaire limité et une grammaire inexacte qui me demandaient des efforts de concentration et d’honnêteté lorsque je répondais et qui semblaient altérer la fluidité de ma personnalité.
25
Avec Mady, j’étais un autre.
Cela ne tenait pas seulement au fait qu’elle même était une autre que moi, une autre que Sonia et une femme assez unique en son genre. Nos rendez vous furtifs, pour ce qu’ils avaient de passionnés, convenaient parfaitement à ce que nous étions ensemble.
Moi-même la regardant j’avais du mal à savoir ce qui la constituait lorsque je n’étais pas là.
J’annonçais la nouvelle à Mady : j’étais libre pour elle désormais.
Elle l’accueillit sans étonnement, sans enthousiasme – fine.
(je m’étais peut-être fait mal comprendre, j’avais imaginé une histoire un peu différente de la réalité, et ça pouvait paraître compliqué, surtout en anglais).
Nous faisions l’amour comme d’habitude, passionnément, mais aussi de façon technique et variée, et sans plus de soucis.
Mais maintenant que nous avions du temps, nous étions embarrassés. Les peaux ne suffisaient plus, il était de bon usage de se voir plus souvent, et cet équilibre sur lequel nous étions qui ne tenait que par la grâce de l’interdit menaçait alors de vaciller.
Nous n’avions plus de raison de nous cacher, ni de nous voir en coup de vent, mais faudrait-il passer plus de temps ensemble et comment ?
Ces rares moments éperdus, précieux car éphémères et sans promesse, furtifs, juteux mêmes, ne suffisaient ils pas ?
26
Nous avions choisi de nous laisser beaucoup de temps, à chacun, de côté : une manière de faire qui prétendait s’acclimater de ce changement de situation, mais qui était un évitement.
Mady gardait ses soirées pour elle, je devenais jaloux impulsif et violent.
Nous avions de fort belles disputes qui ne trouvaient la fin qu’essoufflés et ravis dans les bras l’un de l’autre, en sueur, puants.
Je devenais possessif et jaloux – la passion n’est pas un amour enviable, les grecs anciens appelaient ça malédiction. Bien sûr je la suivais. C’était vraiment très beau.
Je voulais la surprendre dans les bras d’un autre. J’y pensais tellement qu’il n’y avait plus que ça qui comptait.
Lorsque j’étais sur son corps je me stimulais physiquement en imaginant des hommes qui saliraient sa beauté et la pureté de notre amour. Alors nos ébats prenaient une ampleur extraordinaire et incontrôlée.
Je l’imaginais dans des cours à ciel ouvert ou sous des porches abandonnés, en plein milieu de la rue avec des types de passage sales et idiots.
Mais pour qui me prends-tu ? m’a-t’elle dit un jour où je me confiais avec son délicieux accent qui ne disait pas les r, ou qui voulait les faire rouler en se trompant d’idiome.
Je pense à toi comme à une salope idéale j’ai répondu – c’était un compliment.
Par la suite, elle ne voulait plus me voir.
27
Maintenant que Mady et moi nous étions retrouvés, nous avions déjà une histoire, même si je ne savais pas vraiment laquelle, et des antécédents.
Tout serait beaucoup plus simple, nous n’aurions plus qu’à éviter d’y revenir en nous jetant des regards tendres et chargés, qui en diraient long sur notre désir, sur la nature exacte de nos sentiments et quant à l’espoir un peu fou de se sortir de toutes les situations en ondulant le corps, comme on se sortirait d’un puits.
Je regardais son buste et ses seins magnifiquement dessinés sous sa robe rouge et provocante, et son petit nez coquin. Son cul magnifique et divin, ses jambes que je savais souples et aptes à s’enrouler.
Elle me rendait mes regards de bien des façons, délicate, féminine et séductrice.
La soirée finissait.
Il y avait ce type appelé Guido que je connaissais indirectement – il vendait des vêtements dans une friperie du centre ville, et un reportage d’Arte qui l’avait suivi toute une semaine avait fait de lui quelqu’un d’important.
Guido était venu avec Monica, une allemande brune et très grande, mais aux proportions parfaites, d’une beauté un peu intimidante (Guido était vraiment de petite taille et maigre, une jambe plus courte que l’autre et souffrant d’une déformation du squelette - il était courbé, de sorte qu’il préférait en toute occasion pouvoir s’asseoir plutôt que de rester debout à côté d’elle).
Guido s’approcha du couple enfin retrouvé que nous formions avec Mady. Monica passait sa main dans mes cheveux.
J’étais curieux de la suite. Puis là, dans le salon, au milieu des rires un peu forcés et aux yeux de tous, ils se sont déshabillés.
Partons a dit Mady. Let’s go.
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Dans la voiture, elle était tout près de moi, je pouvais sentir l’odeur de son corps et de son sexe depuis là où j’étais.
Tu veux me faile l’amoulle ? elle a dit.
J’ai dit oui. Elle a dit non.
Tu veux me voiwe toute nue ? Oui. Non – ça claque.
Tu veux que je te prwenne dans le bouche de moi? S’il te plait j’ai dit. Ta gueule.
Elle avait vraiment un accent américain très fort.
C’était, somme toute et dans ces circonstances un épisode assez tendre – dit comme ça, ce n’était pas une insulte, ou du moins je ne l’avais pas perçu comme tel.
En bas de son immeuble, elle me demandait de m’en aller. Falloawe allé doucement bébé tu sais ? Je la laissais chez elle sans demander plus d’explication, ou peut-être décidé à ne pas en recevoir plus pour un soir : après tout, c’était Mady, c'est-à-dire qu’il n’y avait pas plus loin à comprendre et qu’il faudrait faire avec maintenant.
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Par la suite bien sûr, je cherchais à la revoir. Je l’appelais mais elle ne répondait pas –c’était illogique.
A nouveau, comme je l’avais trop fait par le passé, je laissais de longs messages à peine allusifs sur son répondeur, mais pathétiques.
Je ne voulais pas avoir l’air dépité. Je faisais le fier, je faisais l’indifférent, je faisais le sentencieux.
Menaçant puis tendre, j’essayais toutes les approches - en vain.
Pour finir, je ne m’autorisais plus que de longs silences évocateurs, où elle pourrait y mettre tout ce qui lui plairait.
Je ne recevais rien en retours. J’appelais encore.
Puis un soir, alors que je m’attendais à tomber sur le répondeur, et que je m’étais préparé à ravaler mon dépit, pour ne faire jaillir qu’un blanc de trente huit secondes accusateur, mais où je penserais bien fort à toutes les raisons quelle pourrait trouver pour me rappeler - sorte de télépathie d’intention - pour peut-être les lui inspirer, ces raisons, à force d’évocations muettes, comme on essaie tous les stratagèmes surnaturels lorsqu’on veut agir sur des choses implacables - un soir donc j’entendais sa voix. J’étais bien embarrassé.
Je lui dis que je souffrais. J’insistais.
Je débarquerais tout essoufflé : voyons-nous là maintenant tout de suite ! La situation l’exigeait !
Je perdais toute contenance, je me vidais de tout mystère.
Mady m’écoutait sans rien dire, comme si elle attendait un espace entre mes phrases pour s’y glisser imperceptiblement, mais je la suppliais longtemps encore sans reprendre mon souffle, quitte à épuiser toutes ses forces - une sorte de performance physique qui surprendrait l’auditeur par son débordement, une parole donnée comme un sac et qu’on ne reprendrait pas – c’était aussi un peu la raison pour laquelle elle ne répondait pas au téléphone d’habitude, c'est-à-dire quand elle ne s’en sentait pas le courage.
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Nous entretenions ce qu’on pourrait appeler une relation pleine et singulière. Nous ne nous voyions guère plus, et lorsque nous partagions quelques instants, quelque chose nous rattrapait – elle surtout - et nous avions toujours autre chose à faire – moi pas tant.
Malgré les longs jours passés sans nouvelle, la répétition même de nos espacements devenait lassante.
Je commençais à lui trouver des défauts dont je me faisais des montagnes lorsqu’elle me repoussait. C’était un mécanisme de défense et qui est bien connu : on voudrait pouvoir se détourner de qui nous fait mettre à genoux, et l’on s’efforce alors de l’accuser de tous les défauts, mais cela ne fait que renforcer le sentiment premier, celui de l’humilié qui s’avilit encore à penser à mal et à souffrir pour qui ne le mérite pas, et qui finit par aimer sa honte, en oubliant tout le reste – principes, dignité, position orthogonale plutôt qu’à genoux.
Elle avait par exemple de très gros lobes d’oreille, qui lui faisaient un appendice ridicule de vieille grand-mère, mous et pendulaires, heureusement qu’elle n’oserait jamais percer, mais la garniture externe en haut du cartilage du pavillon à droite était par contre traversé d’un vif éclat de petit clou doré, dont je ne voyais pas l’utilité, sauf celui d’attirer le regard en dessous et par comparaison avec cette peau inesthétique qui pendait lugubrement - masse distinguée par quelques ballotements indélicats et soulignée par l’absence de trou, ce qui se justifiait, mais qui paradoxalement était un point d’orgue.
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Elle réfléchissait peu avant de parler, et disait tout ce qui lui passait par la tête : elle était transparente à l’instant, impalpable comme de l’eau dans le creux de la main, indifférenciée et d’une certaine manière informe.
Elle racontait à nos nouveaux voisins de table par exemple ce que nous avions mangé la veille, dans un français éprouvant qui finissait de lasser l’auditoire. Je restais silencieux en attendant qu’elle ait fini, et alors elle me trouvait distant.
Elle ne pouvait pas se concentrer plus de quelques minutes sur un même sujet, et elle ne finissait jamais ses phrases, prise d’assaut et enthousiaste, débordée par le flux d’éléments sans importance qui la renvoyaient à des épisodes insignifiants de sa vie d’adolescente, qu’elle confiait solennellement comme si c’était la clé qui ouvrait sur une pièce cachée au fond d’un couloir humide et terrifiant, là où tous les mystères s’éclairciraient- mais il n’y avait pas de porte, tout circulait librement et avec beaucoup de bruit.
Je lui découvrais une hygiène physique douteuse, et, l’encourageant à utiliser la douche dans mon appartement, j’avais la mauvaise surprise de constater qu’elle se trouvait au dessus de ces contingences.
Elle mangeait comme une petite cochonne enfin et elle parlait systématiquement sans s’arrêter jamais pour avaler dès que sa bouche pouvait être pleine de pâte blanche ou de sauce épaisse (elle attrapait les sushis par ce qui lui semblait figurer la queue du poisson cru, pinçait le riz pourtant collé qu’elle émiettait, mordait de ses dents salies la chair, et souriait en grand toute satisfaite laissant deviner un émail grisâtre derrière une bouillie mêlée de salive qui ne serait rincée que très difficilement).
Elle me faisait prendre aussi de grosses gélules en me bouchant le nez, et elle me demandait de me taire – j’apprenais ainsi qu’elle s’était trouvé des vers.
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Il y avait bien d’autres choses mais le plus exaspérant était de constater que toutes ces petites défauts mis bout à bout me ramenaient en arrière, et me faisaient regretter les gestes simples, le discours clair et rare, la gestuelle voilée de Sonia.
Jamais sa présence ne m’avait semblé inutile ni dérangeante.
Son souvenir se réinventait à chaque instant, dans le silence, dans sa façon de s’asseoir, de se brosser les dents ou de s’allonger près de moi, et maintenant par comparaison il me semblait que tous les défauts grossiers dont j’affublais Mady faisaient de Sonia une femme admirable, idéale, sublimée, ce qu’elle n’était pas non plus – du moins je l’espérais pour ne pas mourir sur le champ d’ennui, d’exaspération, de désespoir ou de regret.
A l’inverse, tout ce temps déjà vieux où j’étais loin de Mady et que j’avais passé à penser à elle, quand les corps étaient encore sur la phase ascendante, à l’imaginer dans des robes transparentes, dansant la nuit nue dessous à la lueur vacillantes des bougies odorantes qu’elle allumait pour parfumer sa chambre, et comme je le découvrais aussi, pour distraire les nez les plus fins, ces sentiments purs que j’évoquais alors lorsque je revoyais sa nuque ou ses fesses les yeux fermés, que je filais à rebours comme des colliers de perle, et dont je la recouvrais, avaient formé une autre femme en rêve que cette fille désinvolte, sale et méconnaissable qui s’accrochait à mon bras dans les moments les plus inappropriés.
Aussi, le temps que nous passions l’avait faite en chair, et l’avait liée, mais je regrettais de ne pas m’en être tenu à sa forme discontinue car ce que nous étions ensemble ne devait se consommer que dans l’instant ou bien ne prenait pas.
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Je ne réfléchissais plus, je fermais les yeux, je n’écoutais pas.
Je n’avais pas la force de prendre des distances.
Le moindre questionnement m’aurait entrainé trop loin.
Je consentais à cette occupation à la fois mentale et physique de cette ennemie dans ma vie, plutôt que de m’exposer à des remises en question douloureuses.
Absolument dépité, j’acquiesçais rapidement à tout en émettant des onomatopées impropres mais qu’importe - elle penserait peut-être que cette façon de s’exprimer par grognement était une éventualité française, et que ce qui se posait là entre nous était une différence culturelle.
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Mady faisait des efforts pourtant, pour me plaire peut-être, pour rendre la situation acceptable sûrement.
Il lui prenait parfois des envies, c’était sa façon à elle de marquer à la fois son authenticité et son originalité.
Parwtons en week end elle a dit. Oui – je ne trouvais rien d’autre à articuler.
Parwtons à Berwlien. (Berlin). Oui oui – à la fois volontairement timide, indécis, troublé, ailleurs.
Je lui passais tout. D’une certaine manière ainsi je l’évitais, tout entier à ma mélancolie secrète et à la croix que je trainais, et qui faisait de moi désormais qui j’étais (c'est-à-dire elle). Je nous haïssais.
Les femmes sentent ce genre de chose. Les animaux aussi – les hommes n’y pensent jamais. Pouvait-elle se méprendre ? Mady est restée un long moment à ne rien dire, ses yeux dans les miens, mais plutôt pour essayer de me faire comprendre quelque chose que pour y chercher une réponse où un indice, enfin un début d’explication.
Attendait-elle que je prenne enfin la parole ? J’allais me résoudre, j’allais m’élancer, qu’allais-je dire ? n’importe quoi sans doute, quelque chose sur le tennis, elle détestait le tennis et a aurait tout simplifié, on aurait préféré se taire, mais à la petite inflexion de ma voix – l’aspiration tandis que je reprenais mon air - elle réagissait et prenait les devants.
Tou a quoi vouloir premier nom ? (Tu as déjà pensé à un prénom ? disait-elle).
Je ne comprenais pas. Elle riait, un morceau de salade frisée coincée entre les incisives du haut.
Elle recommençait en anglais/américain/français.
Un premier dit, pour cuicui fanfan, toi dire si quoi y as pensé ? (Un prénom pour un enfant, tu y as déjà pensé ? – j’imagine).
Les orchestres du ciel rugissaient. - Tu es enceinte ?
J’ai le radar (elle voulait dire du retard). So what ? Et si l’été (comprendre : si je l’étais ?).
Dans ses yeux je pouvais voir se former la fin du monde ou la fin d’un monde ou se déformer le monde ou se « démonder » toutes les formes que je connaissais jusque là, expulsées de cet univers et de cette vie, de cette boîte crânienne, anéanties, et le sol n’était plus un sol mais du feu, et, après tout, tout disparaîtrait, alors pourquoi s’en faire ? C'est-à-dire pourquoi se retenir de hurler ?
Mais en face elle demeurait là, attentive à mes mots, à mes inflexions, au moindre crissement de dents, à la sueur qui se formait sur mon front, prête à en découdre, sûre de son droit et de toute sa biologie - que je ne contestais pas, que répondre à cela ?
Elle aspirait toute la lumière.
Il ne restait que le flou subjectif d’un avenir que je ne voulais pas me résoudre encore à accepter, et en même temps que je ne pouvais cacher mes sentiments - c'est-à-dire toute la gamme du poète à qui on enlèverait la peau, depuis la perplexité la plus primesautière née de l’observation du comportement des insectes féminins dévoreurs de leurs mâles, jusqu’à l’effroi d’une cabane de bois mou sur un lac au fond d’une forêt abandonnée quand le téléphone ne passe plus et que le voisin psychopathe frappe à la porte avec la pointe de sa hache - je sentais en miroir une énorme vague de colère rentrée se former dans Mady, juste en face, qui allait sans doute déferler sur moi et emporter tout ce qui passait.
Mon cœur explosait.
Je n’étais pas en état de répondre, comme on l’imagine. Encore moins en état de subir une discussion « véritable », le moindre changement de ton, la moindre larme ni la moindre dispute.
Je ne sais plus pourquoi j’ai répondu – calme, posé, sans m’affoler, dans le déni total certainement, comme si ce n’était pas moi qui parlait : Si c’est un garçon, ce sera Caleb.
Elle tournait la main sur son ventre, satisfaite par ma réponse, grave, attentive, sans doute pour le bercer, ce petit radar éventuel, maternelle (mais on aurait dit aussi la gestuelle évocatrice de l’appétit pensais-je dans un étrange nuage de nausée).
Et si c’est fifille à mon radar?
Je riais (ou faisais semblant de rire). Ce sera a boy. Fin de la discussion. Nous partions même dès le lendemain pour Berlin.
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Dès l’aéroport, quelque chose n’allait pas.
Je ne pouvais pas la supporter.
Elle faisait des manières de tout. Elle était toujours à se plaindre.
D’habitude, elle ne parlait pas tant.
Elle me regardait de côté, et je ne voyais pas où elle voulait en venir.
Bref, elle n’était plus qu’une sale habitude.
Les nuits d’hôtel étaient une pure formalité : je me caressais seul sous la douche.
Son ventre était gonflé –déjà ? Elle se sentait fatiguée.
Pour finir dehors il faisait si froid que nous passions la plupart du temps enfermés l’un avec l’autre.
Le vent soufflait dans les grandes avenues de l’ancienne zone soviétique. La ville était nostalgique et triste, des marques de balle au carrefour, ici la zone occupée, là le bunker d’Hitler.
Je ne me sentais pas bien.
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L’hôtel était à Mitte. Nous dînions juste en bas de blinis et de vodka. J’étais ivre presque toujours, et comme dans ces cas là l’alcool n’aide pas, je ne pouvais plus passer la moindre minute auprès d’elle.
Je me réfugiais dans la salle de bain comme une demoiselle en péril, je prenais de longs bains très chauds mais elle forçait la porte caméra au poing pour me filmer dans mon intimité – je ne comprenais pas depuis combien de temps mes moindres faits et gestes pouvaient l’intéresser, mais c’était plutôt comme si elle voulait tout filmer maintenant pour pouvoir tout déconstruire plus tard de ce présent, du moins c’est ainsi que je l’imaginais.
En revoyant les bandes enregistrées, je m’y trouvais très laid, stressé, le visage marqué et tendu, comme constipé.
J’avais besoin d’air frais. Je m’habillais en toute hâte, le corps encore ruisselant, prétextant la moindre lubie pour sortir de là.
Elle m’accompagnait dans mes marches sous la pluie là où je ne rêvais que de solitude.
C’est une catastrophe épouvantable je me disais en essayant de faire bonne figure, pour ne pas précipiter les choses, pour ne pas avoir à justifier le moindre de mes actes, pour ne pas rendre de compte, pour ne pas en savoir plus, pour ne rien aggraver, pour surtout ne pas parler, ni l’entendre parler.
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Nous n’évoquions plus jamais son fameux petit radar.
J’évitais toujours fort habilement le sujet depuis très loin quand elle semblait vouloir m’y intéresser.
Elle soutenait son ventre un peu émue, les jambes lourdes, le sourire affecté, et je faisais ce qu’elle attendait de moi en espérant que le vent ferait effondrer un arbre à notre emplacement exact : je mettais mes mains sur les siennes, je lui souriais – mais d’un sourire qu’on pourrait juger inquiétant - et je l’embrassais très doucement sur le front sans même y poser les lèvres.
Il y avait dans tout cela quelque chose d’irréel qui me faisait croire aux pires cauchemars, ceux dont on voudrait se réveiller pour ne plus y penser.
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Dans la zone désaffectée près de la Spree, devant l’ancien mur qui séparait les deux blocs, au dessus des débris d’un siècle qui ne nous appartenait plus, je faisais le touriste reporter pour son petit film de vacance, essayant moi-même de me convaincre que mon malaise, ce dégoût, n’était que passager - mais si je regardais n’importe où la tristesse m’assaillait et bien loin de m’aider à oublier ne faisait que souligner mon état.
Cette ville était l’immense cœur ravagé d’un conflit qui avait duré plus de cinquante ans, qui avait vu s’affronter les forces les plus destructrices qu’on pouvait imaginer, qui avait vu se succéder les tyrannies les plus ignobles et les guerres les plus sanglantes pendant le dernier Reich, puis la tension accumulée de tout un siècle qui agonisait pendant la guerre Froide.
Et moi, égoïste froid, je pouvais encore penser à ce que j’endurais.
Je ramenais tout à ma propre mélancolie, et je serrais les poings dans les poches, les doigts engourdis, le discours déconnecté, la parole sans verbe, l’esprit ailleurs, là où je ne parvenais pas à oublier ces quelques mots sans explication et ce prénom, qui raisonnaient et restaient là comme une énigme dont nous attendions le dénouement sans n’oser rien faire – j’avais dit Caleb et elle avait semblé dire oui.
Le choix était fait, c’était notre choix, Caleb nous appartenait, il était entre nous, que je le veuille ou non, et cela je commençais seulement à peine à le réaliser.
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A son tour maintenant de parler devant la caméra, présentant les restes du mur historique, et essayant de restituer avec beaucoup d’émotion ce qui avait du être la vie quotidienne de millions de personnes – mais bien qu’ayant vu de nombreux films américains sur le sujet elle n’avait en réalité, comme on s’en doute, aucune notion de cette histoire là.
Je sentais bien aux intonations de sa voix qui montaient et au débit qui s’accélérait qu’on arrivait aux limites de l’improvisation et qu’on allait bientôt pouvoir en finir.
J’attendais le dénouement avec une impatience fébrile, espérant qu’il pourrait en surgir quelque chose.
Le vent soufflait toujours au dessus de nous. Ses cheveux fins et rendus blancs et poussiéreux par la dernière pluie de sable qui se déplaçait d’une zone de travaux à une autre se décollaient par plaques et voletaient avec poids comme des lambeaux suspendus autour de son crâne, auréole mystique et crasseuse qui lui donnaient des airs de fausse sainte bafouée, ou que j’interprétais comme tels.
La terre avait été rincée par des pluies récentes. Les caniveaux débordaient encore et nous étions dans la boue jusqu’aux chevilles.
Son pantalon noir troué à l’entre jambe lui grattait les cuisses.
Sur ses épaules, le cuir trop court, humide et rapiécé de son blouson semblait s’effriter par endroits, et crissait à chacun de ses mouvements.
Sa voix aigüe imitait le ton calqué que les journalistes répétaient depuis l’école, qui voulait rendre exaltant un discours monotone, mais elle se perdait de façon horripilante dans cet espace en ruines et elle semblait s’aiguiser encore sur les pierres jusqu’à m’en irriter les tympans.
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Je continuais de filmer avec la mini caméra en observant ses faits et gestes – je pouvais bien faire au moins ça qui me désobligeait de lui répondre, et elle se donnait du mal pour expliquer où se tenait le guet et d’où viendraient les coups de feu.
Elle préparait son effet et je devais me tenir prêt à suivre le mouvement. Je n’écoutais plus.
La dernière phrase tomba comme une feuille morte lestée de plomb.
Puisqu’elle touchait le béton depuis tout à l’heure du bout des doigts, cette fois ci, pour accompagner ses derniers mots et mieux les faire vibrer peut-être, bref pour l’effet, elle choisit ridiculement d’y mettre le pied.
Or c’est précisément cela qui me troublait : je filmais sa botte recouverte de merde en me rapprochant avant de couper, un traveling avant qui devait se fondre dans l’abstraction d’un aplat quelconque, quand tout à coup je réalisais ce qui était écrit juste au dessous d’elle.
Il y avait cette inscription, Caleb, suspendue, seule comme un spectre tiré d’une effrayante imagination, écrite en noir sur fond blanc, parfaitement détachée, et que nous voyions maintenant absolument éberlués, et qui d’une certaine façon aussi nous regardait.
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Nous étions pétrifiés.
La conjonction de nos imaginations et de cette réalité était une promesse épouvantable, un rire d’un autre âge et que nous ne voulions pas entendre : des milliers de fantôme autour de nous grimaçaient depuis le passé, et l’un d’eux nous montrait du doigt depuis un temps qui ne s’était pas encore réalisé.
Tout ce que nous ne nous disions pas était écrit là.
Tu es vraiment enceinte ?
Je ne sais pas.
Curieusement je n’insistais pas. Que pouvais-je espérer d’autre comme réponse ? A cet instant précis, j’avais plus que tout envie seulement de savoir enfin, et de me débarrasser du poids de cette situation irrésolue.
Il me fallait une certitude, aussi pourquoi s’entêter à parler? Que pouvait-elle me dire de plus ? Et qu’aurais-je à répondre ?
Dans le ciel, les nuages hauts passaient au dessus de nous à toute vitesse, sans direction.
Ce sont des choses qui arrivent disait-elle après traduction, ou aussi qui peuvent arriver – sur le chemin de l’hôtel, un test de grossesse se balançait dans le sac en plastique qu’elle tenait dans sa main. Je gardais mes quelques réflexions pour moi.
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Elle sortait de la salle de bain, elle me montrait de loin l’espèce de thermomètre blanc sur lequel elle venait de déposer un peu de son urine : deux traits bleus, Mady n’était pas enceinte.
Elle ne semblait ni triste ni soulagée, curieusement vide, de façon pragmatique. J’avais l’impression que son ventre avait dégonflé sur le coup (on parle parfois de grossesse nerveuse, je ne sais pas vraiment ce qu’il en est ni ce qu’en l’occurrence il en était, peut être une indigestion ou bien des gazs intestinaux, ou bien une forme de conversion hystérique qui à bien y réfléchir pouvait se produire chez certaines personnes au tempérament fort, séducteur et labile à la fois, ou aussi chez certaines femmes en manque d’attention ou d’affection)
(je précise qu’il ne s’agirait pas de mal comprendre mes propos, il ne fait aucun doute que seule une femme peut simuler une grossesse, involontairement on s’en doute, il ne plaît à personne de prendre deux tailles de hanche ni de croire en ses propres varices, c’est une sorte de simulation à son esprit défendant, voilà pourquoi on parlerait d’hystérie ou aussi de dérèglement nerveux)
(entendu bien sûr que ce qui intéressait la précédente remarque était le fait de justifier un propos qui paraissait vouloir ne s’intéresser qu’aux seules femmes et qui aurait put tout aussi bien paraître péjoratif à l’égard de tout un genre)
(car voici ce qu’il convient de formuler en termes clairs : une homme ne pourrait pas faire de grossesses nerveuse, ce qui ne veut pas dire que les hommes ne souffriraient pas de dérèglement des nerfs ou de l’esprit qui les fait agir de bien étrange manière)
(enfin certains hommes aussi peuvent être en manque d’affection ou d’attention).
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J’ai accueilli la nouvelle avec un visage impassible et volontairement chargé d’insatisfaction.
Curieusement, j’étais peut-être déçu. Il y avait cette forme de mélancolie anticipatoire qui me faisait encore regretter à ma manière ce qui n’arriverait jamais.
J’étais prêt à tout vivre aussi, à tout subir, qui pourrait me sortir de l’ennui morne et plat de cette histoire – n’importe quoi en vérité.
Même si c’était difficile à comprendre, ma vie, ce désastre en l’état, aurait été sauvée si tout cela avait eu un sens.
Et ce que hasard proposait, le soulier glaireux du caniveau porté juste à l’endroit qui nous concernait en secret, c’était une certaine forme de cohérence ou d’ironie qui aurait pu tout justifier comme un éclair tombé du ciel.
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A vrai dire aujourd’hui, je ne sais plus quoi penser. Depuis, j’ai choisi d’oublier.
On pourrait dire que c’est dans l’absence que les choses prennent leur vraie valeur. La distance entre les corps, le vide entre les traits. Le silence entre les notes.
Le weekend end se finissait lentement, agonisant seul au bout d’un chemin dévasté. Il n’y avait plus rien à en tirer.
Nous choisissions de le laisser là, sans lui porter secours.
Sur le quai au retour, je déposais Mady sans un baiser, je n’avais pas desserré les dents depuis deux jours.
Ce n’est pas une façon de dire au revoir m’a dit Mady. Elle avait raison. Mais quand je m’approchais d’elle, elle était déjà enfuie.
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Je me souviens de tout et j’écris là exactement les choses telles qu’elles se sont passées. Plus tard, maintenant, quand je refermerai ce petit cahier et que je le mettrai dans ma bibliothèque, ce ne sera plus qu’une histoire, les mots auront défait la réalité.
Mady sera emprisonnée entre les lignes, je pourrai l’oublier et ne plus jamais y penser, rien de tout cela ne se sera passé.
Ce ne sera plus qu’une certaine forme d’antériorité, qui aurait pu se produire.
Et Caleb n’existera jamais, avorté par les mots, comme une fausse couche irresponsable.
Mais la possibilité de Caleb a existé. Et tant que cette inscription durera, elle continuera de briller.
Je n’ai jamais revu Sonia.
fluide
· Il y a environ 4 ans ·same
Bonjour, comme vous n'êtes pas abonné à moi, je ne peux pas répondre directement à votre message. Vous savez ce qui vous reste à faire !!! Bonne journée.
· Il y a plus de 10 ans ·sophiea
quelle force ! Quel verbe ! J'ai été emportée
· Il y a plus de 10 ans ·sophiea
C'est troussé. Bravo.
· Il y a presque 11 ans ·Giorgio Buitoni
J'ai beaucoup aimé et lu d'une traite. C'est dur et ca me rappelle la vie est brève et le désir sans fin. Surtout le début. L'écriture est maîtrisé mais on se perd parfois dans les méandres de son esprit. Mais c'est touchant. Elle comme lui. Merci pour ce bon moment de lecture.
· Il y a plus de 11 ans ·cerise-david