Camille et le ballon

nyckie-alause

C'est Camille qui la première a levé la tête vers la machine volante, bien que dans le cas présent machine ne soit pas le mot qui convient car de moteur ou de mécanisme il n'y en a point. Donc elle a aperçu le ballon , les sens alertés par le bruit du vent faisant siffler les suspentes comme une mélodie à trois notes, lancinante. « Un ballon ! » a-t-elle crié, deux fois. Le père a rétorqué « une montgolfière » sans étonnement Il n'eut pas l'air d'y attacher une quelconque importance, comme si le passage au-dessus du jardin d'un tel aérostat était chose fréquente voire simplement banale. 


Il s'est replongé dans la lecture de son journal.

La mère n'est pas encore revenue de la cuisine où l'on entend des bruits de vaisselle entrechoquée et le robinet qui coule à grande eau dans la carafe.

Les deux garçons, plus jeunes que Camille et jumeaux de surcroit, se disputent le ballon et pour le moment ne se sont rendus compte de rien. 

Tout à l'heure ils se disputeront pour savoir qui des deux l'a vu en premier, et le père dira une fois de plus que ce n'est pas un ballon mais une montgolfière. 

Celui qui porte la chemise claire dira même qu'il l'a aperçue avant tout le monde, avant Camille, mais qu'il a préféré se taire pour ne pas gâcher le goûter. Le second, celui qui porte un polo rouge le traitera de menteur. 

Enfin, dira Camille, ils sont comme tous les samedis, casse-pieds, et que si ça continue elle choisira peut-être de rester au collège le week-end. 

Camille, il lui semble bien que le ballon dérive lentement sans passager visible, au gré de courants tout autant invisibles, ne déplaçant pas plus d'air qu'un oiseau qui s'envolerait, un oiseau tout petit, ou deux. D'ailleurs n'est-ce-pas un oiseau qui se perche sur la bordure de la nacelle et qui s'agite ? Une drôle de bestiole hésitante, blanche comme un fantôme ? Elle fronce les yeux pour mieux voir et une chose froissée comme un vieux mouchoir tournoie prend de l'altitude pour en perdre plus qu'elle n'en a gagné, atterrir en glissant sur l'allée du jardin. Camille l'air de rien marche comme si elle s'ennuyait, pas tout droit, un peu vers la haie, un peu vers le potager. elle reproduit horizontalement la course effectuée par le fantôme blanc qui s'est échappé de la nacelle il y a un instant. Elle jette un coup d'œil vers la table sur laquelle la mère dépose le plateau, le goûter tant attendu par les garçons qui oublient leur chamaillerie pour une brioche.

Camille ramasse la feuille de papier froissée et la lisse. Déchiffrer l'écriture serrée ne sera pas facile. Quelques mots seulement sont directement accessibles, amour, bombe, secret… ils sont soulignés d'un trait rouge et nerveux. Elle n'en lit pas plus, elle a peur du mot bombe et s'apprête à rejoindre sa famille quand quelques feuilles aussi chiffonnées que celle qu'elle tient dans sa main s'éparpillent. 

Les garçons crient « Camille, on a de la brioche ! ». Ils en ont plein la bouche, avec la confiture qui dégouline et les mains qui collent. Camille se dépêche de ramasser les quelques feuillets les plus proches avant qu'ils ne se précipitent. Ils l'on vue, ils arrivent, ils crient — c'est ce qu'ils maitrisent le mieux, pense Camille, les hurlements et les disputes — Attends-nous on en veut aussi des secrets.

Elle ne veut pas, non elle ne veut pas. Elle leur montre le ballon et dit « Faites attention, je crois que maintenant il va tomber des bonbons… ou des cailloux ». 

Camille, pendant que ses frères regardent en l'air, empile soigneusement les feuilles qu'elle a ramassées, une petite liasse qu'elle roule en parchemin et glisse dans sa manche. Elle les garde pour les lire ce soir. Elle aura quelque chose à raconter à ses amies lundi et s'il le faut elle corsera l'histoire, elle inventera un peu. Camille est une jeune-fille qui a beaucoup d'imagination disent ses professeurs.

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