Carnet de vacances

arthur-roubignolle

Carnets de vacances (1)


Je vais vous narrer (qu'est-ce que j' me narre!), mes vacances à Paris, chez ma très chère mère... Madame « veuve » Roubignolle. (On a jamais retrouvé mon père, il a disparu un soir, depuis ma mère tient à se faire passer pour une honorable veuve, mais moi je pense que mon père est toujours en vie quelque-part, tranquille, peinard, heureux j'espère, péchant au bord d'une rivière en fumant sa pipe comme il avait toujours rêvé de le faire et comme ma mère l'a toujours empêché de faire...)


D'habitude, l'été venu, comme la dame qui s'occupe d'elle prend ses vacances, je met ma vieille fausse veuve de mère dans un hospice, là elle est tranquille et peut emmerder comme elle veut le personnel, sans gêner la famille... (C'est à dire essentiellement moi, mon frère, moins résistant s'étant suicidé jeune.)

Je la place à la « Résidence des Hortensias », jolie demeure pour personnes âgées située dans un parc arboré aux arbres centenaires (comme certains des résidents d'ailleurs). Ma mère adore cet établissement.

Mais cette année ils n'en veulent plus !

J'ai reçu une lettre de la directrice :


« Cher Monsieur, voilà trois années de suite que nous prenons votre mère, mais cette fois-ci, nous sommes obligés, à notre grand regret, de la refuser.

Nonobstant le fait que l'année dernière, trois de nos salariés se sont mis en arrêt maladie suite à une GRAVE dépression, votre maman, bien que charmante et gentille,(du moins en apparence, mais votre mère sait admirablement bien soigner les apparences!), votre mère disais-je, perturbe (s'en vraiment s'en rendre compte d'ailleurs), le fonctionnement de notre établissement.

En effet, et je vous rappelle ici ce qui s'est passé l'année dernière, le personnel de salle a fait grève pour protester contre les exigences de votre mère, pour qui les plats n'étaient jamais assez chauds, ou bien trop froid. La viande trop dur, le riz trop mou, la salade trop verte... Les desserts trop sucrés, ou pas assez, selon les jours et l'humeur de votre maman.

Sans compter le fait qu'elle exigeait chaque soir son verre de whisky. Ce que nous ne pouvons, pour des raisons de santé évidente, admettre dans notre établissement.

Et je dois dire que lorsque votre mère à fait main basse sur les réserves d'alcool de la cuisine pour les distribuer généreusement aux autres pensionnaires, c'est la goutte d'eau (enfin d'alcool plutôt) qui a fait déborder le vase...

Nous avons eu tout de même trois hospitalisations suite à ces libations nocturnes organisées par votre mère.

Nous sommes actuellement en procès avec les enfants de ces personnes âgées, procès pour maltraitance qui plus est, alors que la « Résidence des Hortensias » jouissait jusqu'à présent d'une réputation irréprochable...

Pour ma part, j'ai du mal à digérer la lettre que votre maman a envoyée au Ministère de la Santé pour se plaindre de la tenue de notre établissement, lettre qui n'est qu'une longue suite de calomnies à notre égard... Elle y affirme par exemple que les aides-soignants pratiquent des attouchements sexuels sur les vieilles dames, ce qui est faux évidemment, connaissant bien votre mère, je dirais, sans grand risque de me tromper, que ce serait plutôt elle qui tente d'abuser des aides-soignants... Mais la chose n'a jamais été prouvée, en tout cas aucun des aides-soignants n'a jamais osé porter plainte contre elle, par peur des représailles j'imagine...

Vous comprendrez, cher Monsieur, que dans ces conditions nous ne pouvons reprendre votre maman cette année.

Nous vous souhaitons de lui trouver un autre établissement capable de la supporter. Cordialement. Madame X directrice de la « Résidence des Hortensias » ».


Je n'ai trouvé aucun autre établissement, tu parles il s'étaient tous passés la consigne !

Et c'est pour ça que j'ai du monter en toute urgence à Paris pour garder ma mère...


J'avais bien pensé la laisser dans un chenil, mais elle risquait de mordre les chiens...


L'abandonner sur le bord de l'autoroute ? Elle serait capable de rentrer en stop (ou par Blablacar) et de me coller un procès pour abandon...


Non, il ne me restait plus qu'à me résigner à passer un mois avec elle...

Au cas ou il m'arriverait quelque chose durant ce séjour j'avais pris la précaution de souscrire une bonne assurance-vie, mes enfants auraient au moins quelque chose à ma mort... (ma mère m'ayant déshérité devant notaire et ayant refilé son appartement de 300 m2 dans le seizième arrondissement aux "Petits Frères des Pauvres"...)


J'avais pris aussi dix boites de Lexomil au cas ou mes nerfs craqueraient...


Je sonnais à la porte de ma mère...


Elle m'ouvrit et dit : « Ah te voilà, ou t'étais passé encore ? Prends les patins et suis-moi, je vais te raconter ce que m'a fait madame Demarzou, tu sais, la vieille folle du troisième... »


Je poussais un soupir et entrait, mes vacances commençaient...



(A suivre, mais que si vous me le demandez...)




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