Cauchemar

marivaudelle

Cette nuit
Je ne l'avais jamais vu avant ce moment.
Enfin, c'est ce que j'ai confusément ressenti.
J'entrevis ses lèvres pâles et ses yeux gris iridescents, changeants comme un orage.
Ma tête s'inclina d'elle-même en arrière : il emprisonna ma gorge entre ses doigts, délicatement.
Puis je me sentis glisser jusqu'au sol, sans effort, sans volonté, et mon amoureux inconnu m'allongea dans la mousse.
C'était une couche digne d'une nymphe, surplombée par le glacis lustré des feuilles, par les larmes du ciel.
Il cueillit sur ma droite une grappe de raisin noir, puis l'enveloppa de sa main.
Lorsqu'il écrasa tendrement les grains entre ses doigts, les pétrissant et les caressant avec le creux des paumes, je commençai à gémir.
Il  promena la grappe, encore gonflée de jus, sur le haut de mon buste ;
les grains froids et lisses effleuraient ma peau, dans un vertige de douceur insoutenable.
Je passai la main sur mon chemisier, tout le long de ma poitrine, et serrai très fort le poing pour m'empêcher d'en arracher les boutons.
En vain. Je savais que lutter serait toujours impossible.
Je sentais la pointe de mes seins bourgeonner sous le tissu, implorant les attouchements de la brise nocturne.
Je ne portais même pas de soutien-gorge. La chaleur me monta aux joues lorsque je défis en tremblant les boutons.
L'homme miraculeux pressa le raisin contre mes seins, qui frissonnaient sous la fraîcheur d'avril.
Une vague de fièvre me secoua de la tête aux pieds ; je me cambrai à demi-nue contre sa chemise bleue et rêche.
Le jus sanguin du raisin sinua dans le creux de ma poitrine, de mon ventre, s'attarda vers mon nombril
où je sentis son chatouillis qui me torturait de plaisir, puis dégoutta le long de mes cuisses.
C'était irrésistible. Je sentis ma jupe trop fine devenir humide quand le jus la traversa.
Un buvard de sang fruité, christique, virginal.
Je ne pus m'empêcher de fermer les yeux et de gémir, gémir à travers mes lèvres serrées, jusqu'à ce que je craque en étouffant un cri.
Je me jetai au cou de mon maître, les jambes cramponnées à lui.
Il plaqua ses paumes luisantes de rouge sur mes seins.
Ses cheveux me caressaient les joues tandis que le raisin coulait entre mes cuisses.
L'une de ses mains allait et venait dans le creux de ma hanche. Ma chair fondait comme un bonbon.
Les yeux fermés, je sentis qu'il se penchait pour prendre une autre grappe de raisins.
J'étais une biche à demi-morte qui ne se débat plus, tombée dans l'herbe moite et ivre de sang chaud.
Dans un geste puissant d'une incroyable douceur, il me retourna, me mit sur les genoux, troussa ma jupe souillée de raisin,
puis me fit allonger sur le ventre ; il se mit lui-même à genoux entre mes jambes, m'obligeant à ouvrir mes cuisses.
Je sentis à nouveau le jus de raisin couler sur mes reins, glisser entre mes fesses. Des soubresauts incontrôlés me saisirent.
Je gémis lorsque sa langue glissa entre mes fesses, léchant le jus de raisin autant que mon intimité.
Je me laissai disséquer avec mollesse, complaisante et soumise ;
mes gémissements, mes jappements et mes soupirs brisaient le silence, honteusement forts, honteusement bestiaux.
Je me dégageai, me retournai, pour échapper à ces caresses incroyables de sa langue.
Je mordis soudain dans les lèvres de l'ange, comme je mords dans la nuit, si suave et si bleue, d'un bleu de myrtille à mourir de délice.
Il mordit au creux de mon cou. Sa main descendit à la fourche de mes jambes.
J'éclatai en sanglots. Hystérique. Farandole de feux follets, crépitements dans tout mon corps, goût de rose et de raisin…
et surtout, surtout, cet engourdissement exquis entre mes cuisses ouvertes.
J'eus l'impression très étrange – mais très nette – d'enfanter la Terre entière ; l'atmosphère chantait, les lumières grondaient, les cieux transpiraient et le sol galopait.
Était-ce mon propre sang qui s'écoulait entre mes seins ?
Ces crocs dans mon cou, cette sensation qui irradiait dans tout mon être me portait sur des vagues et m'ébranlait jusqu'au tréfonds de l'âme, ne pouvait être que mystique.
« Ne me lâche pas ! hurlai-je en pensée. Ne me lâche pas, oh mon Dieu, je t'en supplie ! Fais-moi disparaître en toi ! »
En sueur, haletante, je me réveillai, malheureuse d'échapper à ce merveilleux cauchemar.
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