Chez la vie
Velina Zvancharova
Les cerises avaient tout pour être heureuses. Le soleil les caressait, pas un ver n'avait aménagé dans leur chair croquante. Et pourtant, toutes les fleurs, y compris les plus petites, savaient que les cerises avaient le cœur gros. A vrai dire, tout le jardin qui entourait la petite maison, était tellement triste qu'il ne songeait plus à se parfumer. Quant au chat, rien ne provoquait son sourire, même pas les souris qui ne savaient pas courir.
La joie avait quitté cette famille, unie malgré les différences, le jour où une de ces grandes voitures qui hurlent pour écarter tout le monde sur leur passage, était arrivée pour repartir aussi vite avec la maîtresse de maison. Le pressentiment des cerises était que cette année-là, elles ne seraient pas les invitées d'honneur sur les gâteaux idylliques que préparait la dame aux cheveux d'argent et au cœur d'or. Les vielles mains n'étaient pas là non plus pour nettoyer les mauvaises herbes et libérer les fleurs, le chat cherchait en vain sa gamelle et finissait par inviter des lézards impolis à ses repas, les arbres regardaient avec soif le jet d'eau en attendant la pluie. Mais tant que la maison était toujours là, avec son toit en tuiles rouges et ses murs peints dans la couleur du soleil, un petit espoir existait encore. Les trois grandes fenêtres, toujours fières de porter les rideaux de dentelle blanche que la vieille dame avait tricotés et cousus spécialement, veillaient sur toute la cour.
Une mouche aventurière apportait régulièrement de l'information concernant l'intérieur de la maison. Grâce au filet usé de la petite fenêtre dans la cuisine, elle visitait ce foyer autrefois chaleureux. Sous sa nappe légère, la poussière endormait de plus en plus le vécu pour réveiller de mieux en mieux les souvenirs. Après quelques vols attentifs dans la cuisine, le salon, les deux chambres et la minuscule salle de bains, la mouche quittait avec tristesse ce grand vide, rempli de nombreux objets. Un jour, très attristée, elle décida de ne plus y revenir.
La restauration du compte de fée
Cet après-midi-là, comme d'habitude, l'œillette avait fait bénéficier tout le jardin de ses propriétés somnifères, voilà pourquoi il n'y eu que le chat qui réussit à voir une jeune femme devant le portail, dans la cour, et oh miracle ! La symphonie sans talent de la porte réveilla tout le monde, mais personne ne sembla détester ce grincement horrible, bien au contraire.
Avec ses deux valises, la jeune femme adora plus que jamais cette maison de plain-pied qui lui avait épargné de s'égratigner les genoux lors de ses jeux affolés pendant son enfance. La clé trembla d'émotion, de longues années s'étaient écoulées depuis son dernier rendez-vous avec sa serrure. Cette dernière ne manifesta aucune rancœur et l'accueillit ouvertement. Après cinq pas dans ce couloir, décoré de photos, de parapluies et d'un tabouret, le salon se mit à se découvrir timidement. Deux perles liquides sortirent des yeux de la jeune femme. Il n'y avait pas de canapés en cuir comme dans les magazines, pas de chauffage discret, pas de plancher en bois brillant comme de l'or, pas de petits gadgets fonctionnels pour faciliter la vie, il n'y avait même pas de toilettes à l'intérieur. Mais la fille se sentit en bonne compagnie alors qu'elle était seule. Elle défit ses valises et accrocha une réplique du tableau de Van Gogh sur le mur de la cuisine. « Les Tournesols ». Dans le passé, de la bonne huile de tournesol dorait ses frites préférées, aujourd'hui les tournesols posaient comme des mannequins. La jeune femme ne savait pas cuisiner, mais savait peindre. Et garder les souvenirs.
Une petite promenade dans la maison… oui, une bonne restauration s'imposerait, rien n'était parfait. Mais c'est si facile d'aimer le parfait, le beau, le neuf mais en revanche, ils ne touchent jamais le cœur en profondeur.
La cerise sur le cadeau
C'était le jour le plus long de l'année. Le solstice d'été. La maison était rénovée mais n'avait pas changée. La grande famille de la cour allait un peu mieux, l'œillette ne distribuait plus ses somnifères. Voilà pourquoi tout le monde vit aussitôt l'arrivée de la jeune fille et de… Amaigrie et courbée, mais parfaite, elle était là ! Folle de joie, la plus belle des cerises atterrit dans les cheveux d'argent. Elle ne voulait pas se préserver pour un gâteau. Elle voulait simplement embrasser son cadeau.
Un joli texte nostalgique :-)
· Il y a plus de 8 ans ·Maud Garnier
Je vote en sa faveur. Une sympathique jeune fille dans un intérieur qui lui ressemble.
· Il y a plus de 8 ans ·frederik
Très jolie histoire, j'y ai vu plein de couleurs, bravo pour ce texte!
· Il y a plus de 8 ans ·donquirote