Coiffeuse pour hommes

Autres lieux, autres mœurs, chaque pays connaît son lot de contradictions. Prenez par exemple les Etats-Unis. Nous avons beau faire partie de la même civilisation dite occidentale, un bon nombre de codes et de comportements reste un mystère pour nous, les vieux Européens. Comment comprendre le puritanisme alors que dans le même temps le fer de lance de la production cinématographique américaine est le porno et que la gâterie sous le bureau de Monica Lewinsky à Bill Clinton ne soit pas considérée comme un coït ?

Les Philippines sont le premier pays catholique au monde. Colonisé pendant trois cent cinquante ans par les Espagnols, il en a gardé des marques profondes. Découvert sous Philippe II, celui-ci décida de ne pas reproduire le schéma de conquête en Amérique. Ainsi, hormis quelques comptoirs commerciaux, l'archipel s'est transformé en un vaste cloître à ciel ouvert où seuls les Jésuites étaient habilités à venir prêcher la bonne parole. Quand on voit le faciès de beaucoup de Philippins, on peut se féliciter de leur travail en estimant que les voies du Seigneur ne sont pas restées impénétrables…

Pour un Français moyen tel que je le suis, c'est-à-dire naviguant entre le catholicisme non pratiquant, l'anticléricalisme, le déisme et l'athéisme, c'est un spectacle étonnant. Le dimanche, les églises ne désemplissent pas. Il faut dire également que le prêtre à encore la mainmise sur les villages. Les extrêmes se rejoignent dit-on. Pour chaque pâté de maison, vous avez un émissaire qui sert de rabatteur pour que personne n'omette d'aller à la messe, comme aux glorieuses heures des grands rassemblements totalitaires. Malheur à celui qui risquerait d'y échapper : la menace de ne pouvoir se marier religieusement, de ne pouvoir faire baptiser ses enfants ou de se faire excommunier plane.

Quand karen est arrivée en France, j'ai très vite trouvé la parade pour la désintoxiquer. Je l'ai amenée dans une église intégriste. A la vue d'un jeune couple allongé à même le sol j'ajoutai, pour lui faire passer la pilule, qu'il était de bon ton que nous achetions un fouet pour expier nos fautes et qu'un cilice était le bienvenu pour nous donner toutes les chances de salut éternel. J'ai pu ainsi continuer tranquillement à fréquenter mon Leader Price dominicalement.

Cependant, je ne suis pas dupe. Derrière les bigoteries observées par les Pinoys, on sent bien que l'Eglise a dû s'adapter au paganisme originel. Santo Niño est un peu l'alter ego de la Pachamama des Andes. L'équivalent de nos rebouteux a encore pignon sur rue.

Mais le plus étonnant est la persistance d'une tradition que j'ai pu retrouver également à Tahiti, celle des travestis. Ils sont naturellement intégrés et ne subissent aucune ségrégation.

Mon chouchou s'appelle Jolena. Il fait office de coiffeuse et de manucure. Pour les massages, j'ai toujours poliment refusé ses offres, prétextant que Karen est jalouse de lui. Il m'adore car je n'hésite pas à faire appel à ses services deux à trois fois par semaine. Il s'exécute de bonne grâce, avec le sourire et avec des blagues dont je devine la teneur. Pour un Philippin, nous sommes un peu dans leur imaginaire ce que sont pour nous les Africains et je réveille donc en lui un vif intérêt. De plus, je suis très généreux. Je n'hésite pas à lui verser le quintuple du prix demandé, le rémunérant trois cents pesos, cinq euros.

La prochaine fois que je me rendrai à San-Pedro, je me suis promis de lui faire un cadeau qui fera définitivement chavirer son cœur : je lui offrirai un parfum Chanel. J'habite à Saint-Denis et l'artère principale ne manque pas de vendeurs à la sauvette qui se feront un plaisir de me vendre un N°5 pour dix euros. Qu'importe le flacon pourvu qu'il y ait l'ivresse.