Combien de temps ?

sophiea

Ca va et toi, quoi de neuf ? Rien de spécial.

Un ami m'a dit : accueille ton rien. Accepte ta vacuité. De toute façon tout n'est pas à raconter, si ?

D'abord j'ai été vexée. Ne rien avoir à dire devenait synonyme de : « tu n'es pas si intéressante tu sais ».

Puis je me suis dit qu'il ne me captait pas cet ami. Que j'étais un peu découragée, fatiguée, usée même. Bouffée par ce stress qu'on laisse se répandre en toute imprudence. Il tapait à côté cet ami. Mais en répondant de travers, il évitait mes plaintes, c'était sans doute mieux ainsi. Dans ce monde autocentré, où son propre nombril passe avant tout, j'avais failli moi aussi. Flagrant délit d'autocomplaisance.

Oui mais quoi ? Continuer à avancer contre vents et marées ? Ne plus se donner la peine de clamer sa peine ?

J'ai déjà tiré la sonnette d'alarme plusieurs fois en vain. Je repense à ce conte de mon enfance : à force de crier au loup  personne ne vient plus aider. Et si ce jeune berger était le premier à hurler son mal-être sans être entendu. ? Si le loup était juste la représentation inconsciente de ses angoisses, de ses peurs innées ? Quelle est la réponse des adultes à ses cris d'effroi ? Nulle. L'enfant se faire dévorer. Combien d'adultes détraqués car incompris, humiliés, écrasés lorsqu'ils étaient petits ?

Pas de psychologie de pacotille. Pas de raccourcis stériles. Les gens sont frileux. Ils n'ont pas envie de se poser de question. Pas envie de chercher des réponses. Ils sont pénibles ces psys à dire que tout vient toujours de l'enfance. C'est culpabilisant pour les parents. Chacun fait de son mieux. Vraiment ?

Qui prend le temps de se remettre en question ? D'interroger son éducation ? D'écouter avant de parler ? De ne pas juger ? De faire un pas de côté ? Qui dans cette société où la vitesse et la simplification font loi ? Où la mondialisation réprouve les différences ? Où le bonheur doit être atteint, cela ne dépend que de soi. Vraiment ?

Ce n'est pas eux mais toi. Tu es trop sensible. Tu exagères. On ne peut plus rien dire, ni rien faire. Ils retournent contre toi tes dires. Je croyais que c'était important de s'exprimer ? Oui mais il y a la façon de le faire voyez-vous ? Je peux accepter ta colère mais pas sa manifestation. Pourquoi ne vas-tu pas crier dans les bois ? Shooter dans un ballon ? Taper dans un coussin ? Sortir ta rage autrement qu'en hurlant, claquant les portes, insultant les gens au volant ou à l'hypermarché ? Vider le trop-plein dans un sac déjà rempli. C'est ça, je suis prise pour un sac, mais il est encombré mon sac. Il est sur le point de dégueuler mon sac. Il a la nausée. Fichez-moi la paix !

« Combien de temps, combien de temps ? Si on restait face à face sans un mot sans une gomme qui efface » me susurre Stéphane Eicher. Combien de temps vais-je encore tenir ? Et si ma gomme était complétement usée ? Où aller pour en racheter ? Se racheter ?  Non la gomme n'est pas la solution. J'abomine l'absolution. C'est si facile de prétendre au pardon. Si facile de s'excuser pour recommencer tout de suite après. Ou pire, ne pas même sentir qu'on va trop loin.  Le déni du mal ou du mal-être, plaies du siècle ?

Manège laborieux. Révolution perpétuelle. Toujours retour au même point. Comment sauter en marche ? Prendre un autre chemin ? Ne plus imaginer Sisyphe heureux mais qu'il le soit ! Non pas côte à côte galériens mais ensemble dans le même bateau pour la même destination. Ensemble, entendez-vous, ensemble !

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