Concert in utero

violetta

Festival de Saint-Denis. Petites chaises paillées bien serrées les unes contre les autres dans la basilique. Mon gros ventre de future mère et moi nous installons tant bien que mal. Mes genoux sont dans les reins de la personne de devant. Les organisateurs ont bien rentabilisé l’espace...

Ce concert, c’est une parenthèse d’art et de beauté dans une vie de plus en plus emplie par la préparation du berceau, des petits habits du bébé, le choix du prénom toujours pas décidé !

Pour l’instant, la nef est une ruche bruissant du brouhaha des spectateurs. L’orchestre se place, le chef d’orchestre arrive, et une cascade d’applaudissements ricoche de voûte en voûte, l’acoustique du bâtiment en fait comme une chute de grêle.

Enfin le silence.

Les musiciens accordent leurs instruments, c’est toujours un moment qui me donne le vertige. Ce sont ces dissonances, puis le bref silence intégral qui les suit, qui annoncent le miracle à venir. Je suspends mon souffle, c’est comme si le temps s’arrêtait.

La magie commence. Strauss. Les Quatre derniers Lieder. La voix sublime de Rosalind Plowright coule comme une source entre les piliers de la basilique, et j’ai l’impression que mon âme est aspirée vers le haut.

Mais le petit ange se sent soudain à l’étroit dans son habitacle de chair. Il se met à remuer et me fait redescendre brutalement du haut des voûtes où mon esprit s’était envolé. Je reprends conscience de la dure réalité de ma petite chaise d’église. Les ruades durent sans interruption pendant les quatre lieder. Les coups de pied déforment mon ventre que j’entoure de mes bras, essayant en vain de contenir cette sarabande endiablée qui me laisse épuisée, essoufflée et écarlate quand les dernières notes s’évanouissent… Un dernier coup de pied, une sorte de virevolte qui me fait l’effet d’un direct dans le plexus, puis le calme revient peu à peu. Moitié riant, moitié pleurant, autant bouleversée par la beauté de la musique que par l’osmose puissante avec mon « habitant », je me remets de mes émotions et essaie de me caler à peu près confortablement sur cette maudite chaise paillée au dossier si raide.

La deuxième partie du concert commence. Les quatre pièces sacrées de Verdi. Pompeux, noir, sinistre, pesant, sont les premiers mots qui me viennent à l’esprit, pardon pour les amateurs ! Je me ratatine sur ma chaise. Dans mon ventre, il n’y a plus qu’une statue. Le bébé est tellement pétrifié que je le chatouille de temps en temps, inquiète, pour m’assurer que tout va bien. De petits mouvements répondent à mes sollicitations. C’est avec soulagement que j’entends la dernière mesure… Mon gros ventre et moi prenons le chemin de la sortie dans le sillage du futur papa ouvrant mon passage au milieu d’une foule dense qui a repris son bourdonnement de ruche.

Qu’a donc ressenti cet enfant dans son « aquarium » pendant ce concert ? Ses mouvements ont-ils été le reflet de sa propre perception, ou bien l’écho de mes émotions ?...

A. est née quelques semaines plus tard. Elle a choisi d’autres sources que Strauss et Verdi pour forger et nourrir ses goûts musicaux, mais il me plaît à penser que ce concert in utero a été pour quelque chose dans son amour de la musique.

Quant à moi, chaque fois que j’écoute les Quatre derniers Lieder de Strauss, je suis transportée sur ma petite chaise paillée et j’y retrouve une émotion intacte qui a pour moi une dimension d’éternité. Une jeunesse éternelle, en quelque sorte… 

  • Que le petit occupant de votre "nef" personnelle ait écouté la musique, c'est évident! Avec ses propres sensations de(futur) nouvel arrivant... Une beau concert que vous avez vécu! Et pour l'inconfort des chaises paillées, je confirme, ainsi que les "bancs" en avant-dernier étage de certains opéras! On en sort le dos et les genoux à genoux, mais le coeur bouleversé de musique...

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

  • Archange, merci pour ces éclaircissements ! Je traduis donc la phrase par "Elle n'avait pas voix au chapitre". Bonne journée !
    Merci Doudoune pour ton commentaire...

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Evelyne lagarde clio 6 redim

    violetta

  • Heu... " Haydn avait pas... Elle n'avait pas ". Oui, je sais, c'est plus que limite. :-D

    · Il y a plus de 10 ans ·
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    Archange Flippé

  • Ton bebe. Ton invite partage tout.. sent tout. J ai eu des emotions identiques quand j attendais nicolas et sabine.

    Beau texte coeurs.

    · Il y a plus de 10 ans ·
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    Helene Bartholin

  • Je sèche sur la dernière phrase, je n'arrive pas à trouver le calembour. Pourtant, j'ai de l'entraînement, avec tes textes !

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Evelyne lagarde clio 6 redim

    violetta

  • Verdi ? Es-tu sûre ? Mahler de ne guère l'apprécier, A. Mais Haydn avait pas eu le choix à la nef.

    · Il y a plus de 10 ans ·
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    Archange Flippé

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